« Jacques-Louis David »
Musée du Louvre, du 15 octobre 2025 au 26 janvier 2026

Commissaires : Sébastien Allard, conservateur général du Patrimoine, directeur du département des Peintures, musée du Louvre ; Côme Fabre, conservateur du Patrimoine au département des Peintures, musée du Louvre ; assistés d’Aude Gobet, cheffe du service étude et documentation du département des Peintures, musée du Louvre

Exposotion visitée le mardi 14 octobre 2025, après-midi.

C’est le jeu habituel des commémorations : le bicentenaire de la mort de David ne pouvait passer inaperçu dans l’institution qui détient probablement le plus grand nombre de ses peintures. Après l’avoir célébré en 1989, bicentenaire de la Révolution obligea, le musée du Louvre remet à l’honneur le peintre du Sacre de Napoléon pour une exposition qui retrace toute la carrière d’un artiste né sous l’Ancien Régime et mort sous Charles X, la dimension politique ayant rarement été absente de son parcours. Mais David, c’est aussi une nouvelle vision de l’Antiquité, le plus souvent héroïque mais pas seulement.


Nous publions cet article momentanément sans illustrations, les événements récents ayant frappé le Musée du Louvre ont occasionné quelques retards dans leur transmission…

Jacques-Louis David est mort il y a deux cents ans, et l’on se dit d’abord que, pour lui consacrer une exposition, le musée du Louvre n’aura pas eu grand effort à produire : ne détient-il pas les œuvres les plus illustres (et les gigantesques) de l’artiste ? La Distribution des aigles, achevé en 1810, est resté à Versailles, tout comme sont restés en Salle Daru Léonidas, Le Sacre de Napoléon et Les Licteurs rapportent à Brutus les corps de ses fils, trois très grands formats. Tout le reste a été descendu dans les salles d’exposition souterraines, et l’on sait que la tâche n’a pas été facile : Les Sabines (3,85 mètres par 5,22) a pu passer de justesse par les portes ; avec Le Serment des Horaces et le fragment conservé du Serment du Jeu de Paume, venu de Versailles, ce sont les trois œuvres les plus encombrantes de l’exposition, groupe dans lequel on pourrait aussi inclure Mars désarmé par Vénus et les grâces, prêté par les musées royaux de Bruxelles. Qu’on ne s’y trompe pas, cependant : bien des institutions françaises et étrangères ont été sollicitées, pour des toiles comme La Mort de Socrate, venu du Metropolitan Museum de New York, ou pour des dessins préparatoires. Il en ressort une vision aussi complète que possible.

Même si Dublin n’a pas prêté Les Funérailles de Patrocle (1778), les débuts du peintre sont évoqués par plusieurs toiles où l’on voit bien que, sur les sujets antiques, le jeune David s’en tient encore à une esthétique proche de celle de Fragonard. Boucher avait failli devenir son maître mais, trop âgé, il l’avait confié à Vien, peintre de scènes mythologiques un rien moins rococo déjà. Ce parrainage n’en rend pas moins étonnante la métamorphose de David, quelques années après avec l’obtention du Prix de Rome en 1774 : disparaissent d’un coup la grandiloquence théâtrale des poses, les nuances pastel des habits – ah, le vert tendre de la cuirasse de Mars dans son Combat contre Minerve (1771) ! – , remplacés par une austérité de mouvement comme de couleur. Selon l’artiste lui-même, c’est la découverte des ruines de Pompéi qui transforma son regard. Et si La Douleur d’Andromaque, en 1783, lorgne encore vers Greuze, avec son héroïne aux yeux révulsés vers le ciel, la rupture est consommée l’année suivante : Le Serment des Horaces s’impose par sa radicalité, par la rigueur géométrique de sa composition, par sa palette limitée, et par l’opposition entre monde masculin actif et groupe féminin éploré. Ls Bâtiments du roi lui avaient commandé une toile carrée de 3,30 mètres de côté, mais le peintre adopte un format rectangulaire supérieur (4,25 x 3,30 mètres).

De dimensions beaucoup plus raisonnables, La Mort de Socrate (1787) persiste et signe dans cette voie. Alors que l’art occidental avait surtout retenu la laideur du philosophe et le caractère acariâtre de son épouse, David le transfigure en figure investie d’une autorité quasi religieuse, son suicide devenant une sorte de Cène. Néanmoins, il faut bien vivre, l’Ancien Régime est encore là, et le peintre doit répondre à des commandes moins ambitieuses : c’est une Antiquité plus aimable qu’il accepte de représenter avec Les Amours de Pâris et d’Hélène (1788, le Louvre juxtaposant l’original qu’il détient avec la variante réalisée peu après, dans des couleurs un peu différentes). Le corsage d’Hélène est bien un peu transparent, mais les postures n’ont rien de lascif, et l’on est à cent lieux de la mièvrerie du Sapho, Phaon et l’Amour peint en 1809 pour un prince russe, et surtout de ces scènes faciles qu’il multipliera lors de son exil à Bruxelles : l’Amour et Psyché de 1817 a été prêté par Cleveland, avec son Cupidon ricanant, mais Les Adieux de Télémaque et d’Eucharis est resté à Los Angeles. Quant au Mars désarmé par Vénus mentionné plus haut, son détournement pour l’affiche du film Promotion Canapé (1990) n’a pas suffi à l’inscrire plus durablement dans ls mémoires.

L’exposition s’attarde ensuite, avec raison, sur David portraitiste. Une éloquente série d’œuvres est ici réunie, même si l’on peut regretter que New York n’ait pas prêté le magnifique Lavoisier et sa femme qui servait en 1989 d’affiche à l’exposition partagée entre le Louvre et Versailles. On notera en particulier les effigies familiales peintes en 1812 : David n’ayant jamais achevé celles de ses deux filles, contrairement à celle de son épouse, les étapes de sa technique y apparaissent plus nettement, un peu comme pour le grand portrait de Madame Récamier, qui ne fut jamais tout à fait terminé.

Suivant la chronologie, la dimension politique de l’artiste est nécessairement évoquée, et elle rejoint curieusement la question du nu héroïque. Le souci du vêtement est omniprésent chez David : en 1791, il conçoit un costume antique pour son ami Talma, de la Comédie-Française, et il inventera plus tard les tenues des représentants du peuple. Mais comment faut-il habiller les héros ? Comment faut-il les représenter pour qu’ils échappent aux caprices de la mode ? La nudité n’est-elle pas le meilleur choix, en ce qu’elle rejoint le modèle suprême qu’est la sculpture grecque ? Est-ce parce qu’il hésitait, malgré les vêtements modernes déjà tracés, qu’il laissa nus les protagonistes du Serment du Jeu de Paume, commande abandonnée pour cause de revirements politiques ? Quelques années plus tard, lorsqu’il prônera la réconciliation nationale avec Les Sabines, David esquisse les personnages vêtus à l’antique, mais optera finalement pour une nudité choquante (et limitée aux hommes). Bara, « héroïque enfant », est lui aussi laissé nu sur la toile inachevée représentant la mort de « l’héroïque enfant » (un dessin préparatoire, tout aussi dévêtu, donne presque au personnage la posture de la sainte Cécile sculptée par le Bernin). Pour Marat assassiné, ici confronté aux deux copies réalisées par des élèves du maître, la question ne se posait guère, une fois admis le principe que l’Ami du Peuple, même transfiguré en figure christique, devait être montré au naturel, dans son bain. Du portrait d’un autre martyr, Le Peletier de Saint-Fargeau, ne demeure plus qu’un dessin préparatoire où une épée flotte au-dessus du personnage nu. Quant au Sacre de Napoléon, il existe des esquisses où l’empereur est nu, mais ce n’est somme toute que la pratique conforme aux enseignements classiques qui prônaient l’étude des corps nus avant de les peindre vêtus, pour s’assurer de la justesse de leurs proportions.

Même si ce n’est pas l’effet souhaité, les dernières années illustrent un certain déclin, non de la technique mais de l’inspiration, et il est difficile de masquer l’astre montant d’Ingres, présent avec Romulus vainqueur d’Acron (1812) et surtout avec le grand Jupiter et Thétis (1811) prêté par le musée d’Aix-en-Provence. L’Antiquité allait désormais un autre visage, et les pensers anciens devaient donner naissance à encore un autre art nouveau…

 

Catalogue sous la direction de Sébastien Allard, publié par Hazan/musée du Louvre, 23 x 28 cm, 372 pages, 49 euros

 

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Laurent Bury
Ancien élève de l’ENS de la rue d’Ulm, auteur d’une thèse consacrée au romancier britannique Anthony Trollope (1815–1882), Laurent Bury est Professeur de langue et littérature anglaise à l’université Lumière – Lyon 2. Depuis un quart de siècle, il a traduit de nombreux ouvrages de l’anglais vers le français (Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, Orgueil et préjugés de Jane Austen, Voyage avec un âne dans les Cévennes de Stevenson, etc.) ; dans le domaine musical, on lui doit la version française du livre de Wayne Koestenbaum, The Queen’s Throat, publié en 2019 par les éditions de la Philharmonie de Paris sous le titre Anatomie de la folle lyrique. De 2011 à 2019, il fut rédacteur en chef adjoint du site forumopera.com, puis rédacteur en chef de novembre 2019 à avril 2020. Il écrit désormais des comptes rendus pour plusieurs sites spécialisés, dont Première Loge.

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