« Georges de La Tour, entre ombre et lumière ».
Musée Jacquemart-André, du 11 septembre 2025 au 25 janvier 2026

Commissariat :

Dr Gail Feigenbaum, historienne de l’art, ex-directrice associée du Getty Research Institute
Pierre Curie, conservateur général du patrimoine, conservateur du musée Jacquemart-André

Scénographie : Hubert le Gall

Catalogue sous la direction de Soline Massot et d’Anne-Claire Juramie, relié, 23 x 28,5 cm, 208 Pages, Hazan, 39 euros

Visite effectuée le mardi 9 septembre 2025 à 14h.

Riche en œuvres de la Renaissance italienne, le musée Jacquemart-André a beaucoup exploité ce filon ces derniers temps, et l’on se réjouit qu’un peintre français y soit à nouveau honoré, ce qui n’était plus arrivé depuis l’exposition Signac en 2021. Georges de La Tour est une valeur sûre qui draine les foules, et la magie de ce caravagesque lorrain devrait une fois de plus opérer en cette rentrée parisienne. 

Comme Vermeer, Georges de La Tour est un de ces peintres qui furent « inventés » assez récemment, après avoir connu une éclipse durable. On en sait encore moins sur lui que sur Vermeer, mais comme le peintre néerlandais, il exerce une fascination telle que le musée Jacquemart-André est à peu près sûr de faire carton plein avec l’exposition qu’il consacre au maître lorrain.

Evidemment, malgré les soutiens dont elle dispose, l’institution du 158, boulevard Haussmann ne peut pas proposer le casse du siècle qu’avait réussi la Réunion des Musées nationaux en 1997, quand le Grand Palais avait présenté la quasi-totalité de l’œuvre de l’artiste. Pour autant, Culturespaces n’en a pas moins réalisé quelques beaux coups, en décrochant des prêts venus d’un peu partout à travers le monde.

Nancy n’est pas loin, mais le Musée Lorrain étant actuellement en travaux, il a pu envoyer sans difficulté envoyer à Paris la Femme à la puce, la Découverte du corps de saint Alexis et le Saint Jérôme lisant. Le musée d’art ancien et contemporain d’Epinal est lui aussi fermé pour rénovation, ce qui nous vaut la présence au musée Jacquemart-André du Job raillé par sa femme, fraîchement restauré. Remiremont et Vic-sur-Seille ont également apporté leur pierre à l’édifice, mais au-delà de la Lorraine ou même de nos frontières, la moisson n’est pas moins remarquable : Washington, San Francisco, Cleveland, Tokyo, Stockholm ou Lviv, pour ne citer que quelques villes, n’ont pas hésité à sacrifier pour quelques mois l’une des pièces maîtresses de leurs collections respectives.

ILL. 1 Job raillé par sa femme, vers 1630, huile sur toile, 147,5 x 97 cm, Epinal, musée départemental d’art ancien et contemporain © Musée départemental d’art ancien et contemporain, Épinal, cliché Claude Philippot

Au total, vingt-trois œuvres du maître et sept de son atelier, que complètent des toiles de caravagistes contemporains, c’est déjà beaucoup pour un peintre dont la production connue n’atteint même pas la cinquantaine de titres. L’exposition permet de suivre le parcours de Georges de La Tour à travers ses différentes manières, ou du moins ce que l’on suppose être ses différentes périodes, compte tenu du manque de documentation sur ses diverses créations.

Il est néanmoins admis que l’artiste pratiqua d’abord une peinture assez rugueuse, plutôt diurne, et plutôt réaliste que religieuse. En témoigne la deuxième salle de l’exposition, avec un chef‑d’œuvre tel que Les Mangeurs de pois (le Musée de Vic sur Seille en possède une version moins saisissante et le Musée Lorrain une copie médiocre) : sous une lumière crue, un couple de paysans affairé à se nourrir – lors que le tableau fut retrouvé en 1971, il avait été coupé en deux moitiés ! – nous saute au visage, pour ainsi dire, du fait de son cadrage très resserré. La facture est âpre, les contours des vêtements laissés imprécis. Dans la série des gueux, on appréciera aussi la réunion de deux grands Vielleurs, l’un de face, l’autre de profil.

ILL. 2 Le Vieilleur au chien, vers 1622, huile sur toile, 186 x 120 cm, Bergues, Musée du Mont-de-Piété © Philip Bernard – musée du Mont-de-Piété, Bergues

Ce que l’on vient de lire laisse déjà apparaître une des caractéristiques de l’œuvre : Georges de La Tour fut si apprécié en son temps qu’il suscita d’innombrables déclinaisons de ses plus belles toiles, tantôt due à ses proches – son fils Etienne, son atelier – tantôt à des artistes de seconde zone qui s’essayèrent à l’exercice de la copie. C’est dire combien il peut s’avérer délicat de trancher lorsqu’il s’agit de déterminer si une toile revient au maître en personne ou à ses élèves, si doués soient-ils. La question se pose ainsi dans la troisième salle, avec la confrontation de deux versions du Saint Jérôme pénitent, le chapeau de cardinal de la toile de Stockholm ayant probablement été rajouté pour son commanditaire, Richelieu en personne. Les variantes sont assez importantes pour modifier notre perception de la composition, sans que l’une paraisse véritablement plus aboutie que l’autre ; si copie il y a, elle est de très haut vol.

Malgré cette prolifération des versions plus ou moins concurrentes, et la disparition de certains originaux, on pourra néanmoins s’étonner de voir attribuer à l’entourage du peintre une splendeur comme l’Extase de saint François prêtée par le Musée de Tessé, au Mans. Même si la toile semble avoir été agrandie dans sa partie supérieure, pour laisser un peu plus respirer la composition, ou simplement pour remplir un mur trop grand, les délices dans lesquelles le saint est plongé égalent, par la somptuosité du fond brun et la brillance de la flamme, certaines des plus grandes réussites de La Tour (on pense aux deux extraordinaires tours de force inspirés par la même figure biblique, le Saint Joseph charpentier du Louvre et le Songe de saint Joseph de Nantes, deux œuvres hélas absentes de l’exposition).

Par son choix de peindre les gueux, et par ses origines géographiques, Georges de La Tour peut être rapproché de Jacques Callot (qui pratiqua aussi le clair-obscur pour des gravures moins connues) ainsi que des vielleurs imaginés par son compatriote Jacques Bellange. Un dessin – qui pourrait représenter saint Pierre en prière – a été exceptionnellement associé au peintre de Vic-sur-Seille, mais n’emportera pas forcément l’adhésion quant à sa possible paternité.

 ILL. 3 Saint Jean-Baptiste dans le désert, vers 1650, huile sur toile, 81,6 x 101 cm, Musée départemental Georges de La Tour, Vic-sur-Seille © GrandPalaisRmn / Hervé Lewandowski

Après le réalisme de ses pauvres, De La Tour se consacra à peu près exclusivement à la peinture religieuse et aux moments de contemplation ou d’extase. Parmi ses nombreuses toiles dépeignant Madeleine méditant sur la vanité de ce monde, la version de Washington fait moins regretter, par sa grande beauté, qu’elle soit la seule présente. Le Musée de Rennes s’est dessaisi de son emblématique Nouveau-Né, dont les visages presque trop lisses annoncent ce que la dernière salle de l’exposition affirme être la dernière manière de l’artiste. Ce style s’incarne assez magnifiquement dans un Saint Jean-Baptiste (identifié seulement en 1993 par Pierre Rosenberg) baignant dans la lueur orangée d’une source d’éclairage située hors-champ. Ce qui pourrait être « l’œuvre ultime » de l’artiste voisine avec deux grands déploiements de soldatesque plus ou moins figée, selon un principe illustré par bien des caravagesques : Le Reniement de saint Pierre de Nantes et les plus rares Joueurs de dés conservés à Stockton-on-Tees, dans le nord-est de l’Angleterre. Entre les rugueux débuts et la très lisse fin, chacun trouvera son miel parmi les étapes du parcours du Lorrain tel qu’il est retracé au musée Jacquemart-André.

Catalogue sous la direction de Soline Massot et d’Anne-Claire Juramie, relié, 23 x 28,5 cm, 208 Pages, Hazan, 39 euros

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Laurent Bury
Ancien élève de l’ENS de la rue d’Ulm, auteur d’une thèse consacrée au romancier britannique Anthony Trollope (1815–1882), Laurent Bury est Professeur de langue et littérature anglaise à l’université Lumière – Lyon 2. Depuis un quart de siècle, il a traduit de nombreux ouvrages de l’anglais vers le français (Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, Orgueil et préjugés de Jane Austen, Voyage avec un âne dans les Cévennes de Stevenson, etc.) ; dans le domaine musical, on lui doit la version française du livre de Wayne Koestenbaum, The Queen’s Throat, publié en 2019 par les éditions de la Philharmonie de Paris sous le titre Anatomie de la folle lyrique. De 2011 à 2019, il fut rédacteur en chef adjoint du site forumopera.com, puis rédacteur en chef de novembre 2019 à avril 2020. Il écrit désormais des comptes rendus pour plusieurs sites spécialisés, dont Première Loge.
Crédits photo : © Musée départemental d’art ancien et contemporain, Épinal, cliché Claude Philippot
© Philip Bernard – musée du Mont-de-Piété, Bergues
© GrandPalaisRmn / Hervé Lewandowski


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