Edouard Lalo (1823–1892)
Le Roi d’Ys (1888)
Opéra en trois actes et cinq tableaux
Livret d'Édouard Blau
Création le 7 mai 1888 au Théâtre Lyrique, Paris

Judith van Wanroij : Rozenn
Kate Aldrich : Margared
Cyrille Dubois : Mylio
Jérôme Boutillier : Karnac
Nicolas Courjal : Le Roi
Christian Helmer : Jahel / saint Corentin

Hungarian National Philharmonic Orchestra et Hungarian National Choir

György Vashegyi, direction

2 CD Palazetto Bru Zane

Enregistrement réalisé du 9 au 11 janvier 2024 à Budapest

Après avoir révélé La Jacquerie (largement achevé par Arthur Coquard), il était sans doute inévitable que le Palazzetto Bru Zane veuille enregistrer Le Roi d’Ys, puisque le premier des trois opéras de Lalo, Fiesque, avait fait l’objet d’une gravure récente. La discographie étant déjà belle, mais non pléthorique, on accueillera bien volontiers cette nouvelle version où brillent les artistes habituels du PBZ.

Contrairement à la plupart des opéras enregistrés sous l’égide du Palazzetto Bru Zane, Le Roi d’Ys n’est pas une résurrection absolue, mais peut-être faut-il parler de résurrection relative pour cette légende bretonnante où plus d’un mélomane apprit jadis le wagnérisme à la française. Sans avoir totalement disparu, l’œuvre n’en a pas moins perdu beaucoup de l’éclat qui fut jadis le sien.

On a peine aujourd’hui à imaginer quelle fut la popularité du Roi d’Ys. En ce premier quart de XXIe siècle, il apparaît assez clairement qu’elle est dédaignée par à peu près toutes les grandes capitales. Les seules représentations scéniques hors de l’espace francophone sont l’unique concert donné le 30 mars dernier à Londres par le Chelsea Opera Group (spécialisé dans les raretés), et une représentation à Pékin en 2008, mais assurée par une troupe française. Pour le reste, on chercherait en vain des reprises récentes à Madrid, Vienne, Berlin ou New York, au-delà de l’ouverture, programmée ici et là, ou de l’aubade de Mylio que certains ténors incluent dans leurs récitals. C’est donc uniquement en France et en Belgique que l’on a pu voir Le Roi d’Ys ces dernières années, deux productions se partageant le bilan : une version mise en scène par feu Nicolas Joël à Toulouse en 2007, reprise en 2008 (c’est celle que Pékin a accueillie), l’autre par feu Jean-Louis Pichon, créée à Saint-Etienne en 2007 et redonnée au même lieu en 2016 après être passée par Liège en 2008 (avec captation publiée en CD/DVD par le label italien Dynamic) et par Marseille en 2014. Des spectacles qu’on qualifiera pudiquement de « classiques », malgré les treize mille tonnes d’eau déversées par la première et les robes à tournure arborées par les héroïnes de la seconde ; on se demande ce qu’une mise en scène digne de ce nom pourrait tirer de la partition… A Paris, on l’a entendue pour la dernière fois en 2013, dans une version de concert proposée à les forces de l’Opéra de Montpellier ; signalons pour être tout à fait complet que l’œuvre avait également été présentée en concert à Rennes en 2008.

Pour comprendre l’ampleur de la chute, il est bon de préciser qu’à Paris, Le Roi d’Ys frôlait en 1941 les cinq cents représentations, depuis sa création triomphale en 1888 par la troupe de l’Opéra-Comique exilée au Châtelet pour cause d’incendie de la Salle Favart en 1887. Comme tous les grands succès du « Comique », Le Roi d’Ys avait été accaparé par l’Opéra de Paris sous l’occupation, mais ne semble plus guère avoir été donné par cette institution après 1966. Autre signe des temps : feu L’Avant-Scène Opéra lui avait consacré son numéro 65 en 1984, en prévision de sa présentation au festival de Carpentras, sans que jamais se soit fait sentir par la suite le besoin d’actualiser cette version, le volume n’étant plus disponible qu’en PDF téléchargeable.

Jusqu’ici, l’industrie du disque reflétait assez bien cette situation. La dernière intégrale remontait à 1990, chez Erato : sous la baguette d’Armin Jordan, à la tête de l’Orchestre philharmonique de Radio France, elle réunissait une distribution hélas très internationale où seul Karnac était francophone parmi les quatre rôles principaux. Auparavant, c’était déjà avec les forces de l’ORTF qu’avait été enregistrée, à l’occasion d’un concert, une version disponible sous diverses étiquettes, et où l’école du chant français brillait de ses derniers feux (Andréa Guiot, Jane Rhodes, Alain Vanzo, Robert Massard) sous la direction de Pierre Dervaux. En remontant un peu plus loin, toujours avec la « Radiodiffusion française », on trouve l’intégrale réunissant Janine Micheau, Rita Gorr, Henry Legay et Jean Borthayre, sous la baguette d’André Cluytens. L’une des premières versions (réduite à 75 minutes) reste la captation réalisée à Marseille en 1943 sous la direction de Désiré-Emile Inghelbrecht (Malibran).

Après ce défilé de noms illustres, une nouvelle version s’imposait-elle ? Abondance de Roi d’Ys ne nuit pas, si cela permet de faire découvrir l’œuvre aux jeunes générations. Le Palazzetto Bru Zane a donc décidé de faire entendre la partition de Lalo lors de deux concerts, en janvier 2024 à Budapest et en février à Amsterdam, l’enregistrement en studio ayant immédiatement précédé. Le résultat est séduisant, bien sûr, et l’on y retrouve les usual suspects de ces coproductions franco-magyares. György Vashegyi dirige avec sa délicatesse habituelle l’orchestre philharmonique national de son pays, ainsi que le chœur national hongrois, formations qui respectent le style français jusque dans la sonorité des instruments et la diction des artistes ; si les danses et les chœurs sonnent parfois Mitteleuropa, c’est bien à cause des contretemps, des rythmes et des harmonies qu’y a introduits Lalo, et qui ne sont ici jamais soulignés à l’excès.

Six chanteurs se partagent les sept rôles solistes, Christian Helmer assumant avec toute l’autorité nécessaire les deux personnages de Jahel, le héraut, et de saint Corentin. Même s’il donne son titre à l’opéra, le roi n’est pas le protagoniste principal, tant s’en faut : Nicolas Courjal sait en trouver l’émotion, malgré une intervention initiale au vibrato un peu trop présent. Du quatuor central, Karnac est le moins gâté, car il n’a pas d’air : qu’importe, Jérôme Boutillier hisse le personnage au niveau des grands méchants du répertoire grâce aux trésors de caractérisation qu’il déploie (ne pas manquer tout le poids de mépris que le baryton parvient à conférer au mot « beau » lorsqu’il parle à Margared de Mylio se mariant à Rozenn). Mylio n’est pas Don José, et Cyrille Dubois met tout son art de la déclamation – écoutez-le susurrer la fameuse aubade – au service de ce héros suave et sensible, dont la vaillance est peu sollicitée. Sa connaissance des répertoires plus anciens permet à Judith van Wanroij de charger de sens les mots de la douce Rozenn. Quant à Margared, que Lalo conçut pour son épouse mezzo-soprano, elle échoit ici à Kate Aldrich, qui lui prête un fort tempérament, comme on pouvait s’en douter, mais on avoue un regret : puisque, lors du second concert, donné au Concertgebouw, c’est Isabelle Druet qui était Margared, que n’a‑t‑on aussi enregistré la mezzo française, miraculeuse d’éloquence en Cassandre et Didon des Troyens ? Sa seule présence aurait définitivement balayé toute protestation contre ce nouveau Roi d’Ys qui, en l’état, n’en compte pas moins de très solides atouts.

 

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Laurent Bury
Ancien élève de l’ENS de la rue d’Ulm, auteur d’une thèse consacrée au romancier britannique Anthony Trollope (1815–1882), Laurent Bury est Professeur de langue et littérature anglaise à l’université Lumière – Lyon 2. Depuis un quart de siècle, il a traduit de nombreux ouvrages de l’anglais vers le français (Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, Orgueil et préjugés de Jane Austen, Voyage avec un âne dans les Cévennes de Stevenson, etc.) ; dans le domaine musical, on lui doit la version française du livre de Wayne Koestenbaum, The Queen’s Throat, publié en 2019 par les éditions de la Philharmonie de Paris sous le titre Anatomie de la folle lyrique. De 2011 à 2019, il fut rédacteur en chef adjoint du site forumopera.com, puis rédacteur en chef de novembre 2019 à avril 2020. Il écrit désormais des comptes rendus pour plusieurs sites spécialisés, dont Première Loge.

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