Engelbert Humperdinck (1854–1921)
Hänsel und Gretel (1893)
Märchenspiel in drei Bildern
Livret de Adelheid Wette d’après le conte éponyme (1812) des frères Grimm
Création le 23 décembre 1893, Hoftheater Weimar, sous la direction de Richard Strauss

Direction musicale : Vladimir Jurowski
Mise en scène : Richard Jones

Décors et costumes : John Macfarlane
Conception lumière : Jennifer Tipton
Lumières : Michael Bauer
Chorégraphie : Linda Dobell

Peter, Besenbinder : Thomas Mole
Gertrud : Juliane Banse
Hänsel : Rachael Wilson
Gretel : Nikola Hillebrand
Die Knusperhexe : Ya-Chung Huang
Sandmännchen : Meg Brilleslyper
Taumännchen : Iana Aivazian
Echos : Elene Gvritishvili, Nontobeko Bhengu, Iana Aivazian, Lucy Altus, Meg Brilleslyper

Kinderchor der Bayerischen Staatsoper (Chœur d’enfants de l’Opéra national de Bavière)
Préparation : Kamila Akhmedjanova

Bayerisches Staatsorchester

 

Munich, Nationatheater, Samedi 6 décembre 2025, 19h

Ça grouille et ça circule partout, ça pépie et ça respire le bonheur des fêtes dans un Nationaltheater de Munich rempli à ras-bord de familles et d’enfants en ce samedi de décembre où l’on fête Saint Nicolas. C’est qu’on y joue Hänsel und Gretel d’Engelbert Humperdinck, dans une production créée en 2013, signée Richard Jones, mais bien plus ancienne puisque créée au Welsh National Opera de Cardiff en 1997.
Hänsel und Gretel, c’est (avec Die Zauberflöte) le menu de choix des mois de décembre en Autriche et Allemagne, affichés partout ou presque. Rien qu’à Munich en ce décembre 2025, le Kammeroper en propose au Cuvilliés une version intimiste, tandis qu’au Theater am Gärnterplatz, l’autre théâtre lyrique de la ville, plus populaire et plus dédié à l’opérette, on en présente une version « conte de fées scintillant » qui remonte à 1974, et toujours vaillante.
Voir le théâtre rempli de ces centaines d’enfants dans leurs plus jolis costumes a quelque chose d’étonnant, mais c’est aussi la tradition germanique que les premiers opéras qu’on fait découvrir aux enfants sont
Die Zauberflöte, proposée à Munich dans la légendaire production de August Everding qu’il faut au moins voir une fois et Hänsel und Gretel, dont la seule question à mon avis irrésolue est de savoir si c’est vraiment un « conte pour enfants ».
Cette année, Munich propose la création d’un auteur jamais joué encore, Nikolai Rimski-Korsakov, la
Nuit de Noël dans la mise en scène de Barrie Kosky, qui ne désemplit pas, et entre autres cette reprise de répertoire qui affiche exceptionnellement au pupitre le GMD Vladimir Jurowski lui-même, qui fut, en outre, le créateur de la production originale de Richard Jones à Cardiff. Que de motifs pour vivre pleinement quelques soirées munichoises.

Rachael Wilson (Hänsel), Nikola Hillebrand (Gretel)

 

Une production pas forcément pour les enfants

La question de savoir si Haensel und Gretel est un conte pour enfants me rappelle la production déjà fort lointaine (1993) d’un jeune Romeo Castellucci et de sa Societas Raffaello Sanzio, dans une boite noire où entrait le public, et dont les enfants sortaient hurlant et pleurant. Une video youtube en italien donne une petite idée de conte un peu effrayant du temps où Castellucci suait le génie de tous ses pores.

J’ai vu la production de Castellucci, inoubliable pierre miliaire d’un parcours théâtral hors norme, mais il se trouve que j’ai déjà vu aussi la production de Richard Jones au MET, un matin de décembre 2015, dirigée par le regretté Andrew Davis.  On peut en lire dans le Blog de Guy Cherqui le compte rendu.

Juliane Banse (Gertrud)

L’intérêt de la production de Richard Jones est qu’elle évacue les horizons d’attente du public : pas de forêt profonde, pas de maison en pain d’épices, mais trois espaces clos qui forment trois tableaux aux ambiances radicalement différentes : la pauvre cuisine des parents (Gertrude et Peter qui vivent chichement, mais dignement),

Deuxième tableau : Rachael Wilson (Hänsel), Nikola Hillebrand (Gretel)

une salle à manger/forêt rêvée, où le maître d’hôtel est un poisson, et où tout se superpose : les majordomes portent sur leur tête des rameaux de bois, et les enfants sont les rois du festin, et au troisième tableau l’espace de béton clos de la cuisine de la sorcière, où trône un énorme four, avec une table remplie de gâteaux et dans tous les coins des corps (ou des membres) d’enfants en attente de cuisson, ou transformés déjà en pains d’épices.

Rachael Wilson (Hänsel), Nikola Hillebrand (Gretel), Ya-Chung Huang (Knusperhexe)

Pour ceux qui ont lu l’interview de Tobias Kratzer dans nos colonnes, il y est abordé la mise en scène hambourgeoise (1972 et toujours au répertoire) de Hänsel und Gretel par Peter Beauvais, juif ayant échappé aux camps, qui se refusait à montrer un four en scène et la sorcière qu’on y enfournait. Le troisième Reich a rajouté à l’imagerie des contes de fées celle d’une barbarie que l’image du four géant du décor de John Macfarlane inévitablement rappelle à un public munichois (au moins au public adulte) notamment quand la sorcière y est poussée, enfournée et piégée et qu’à travers la vitre du four on voit sa tête effrayée et ses yeux globuleux. Inutile de souligner qu’à ce moment, c’est un lourd silence qui saisit toute la salle…

Devant le four : Rachael Wilson (Hänsel), Nikola Hillebrand (Gretel)

Et ne parlons pas des rideaux de scène qui séparent les tableaux, une assiette et des couverts, une bouche ouverte bien rouge pleine de dents et une langue avide sur laquelle est disposé un gigantesque gâteau, et enfin une assiette brisée et sanguinolente avec un couteau comme si le festin était terminé. Joyeux Noël…
L’idée centrale de la mise en scène est d’abord la faim : le premier acte présente la demeure simple de Gertrude et Peter, le réfrigérateur vide, le manque, le deuxième acte cette salle à manger fantasmagorique, et le troisième une cuisine assez industrielle d’une sorcière qui n’a pas les traits d’une sorcière des contes ni de fée carabosse, mais d’une dame finalement assez chic et digne, qui prépare tous ses plats. Le seul problème : c’est que ses plats sans enfants parés comme des rôtis manqueraient d’assaisonnement.

On pense à Peter Greenaway et à son film The Cook, the Thief, His Wife and Her Lover (1989) avec son rôti humain si réaliste. À la fin on sort du four la sorcière cuite transformée en délicieux pain d’épices que les enfants vont se partager pendant l’image finale.
Il est difficile de penser que Richard Jones n’ait pas pensé à ce film notamment lorsqu’il affirme qu’Hänsel und Gretel est un opéra sur le cannibalisme qui raconte l’histoire de deux enfants qui pour éviter d’être mangés par une cannibale, finissent par la manger eux-mêmes. On est au cœur de rituels presque « premiers » de toute culture. Il en fait un opéra sur la chasse à la nourriture à tout prix, ou plutôt plus largement la chasse à la ressource. D’une certaine manière, il métaphorise le « retour au sauvage ».

Ya-Chung Huang (Knusperhexe), Rachael Wilson (Hänsel), à la broche

C’est donc une mise en scène au goût de pain d’épices amer, où tu survis si tu tues.
Ceux qui veulent émerveiller leurs enfants passeront leur chemin, à moins de leur garantir quelques séances chez le bon docteur Freud.

Le travail de Jones n’a pas vieilli, grâce au décor très précis et suggestif de John Macfarlane, mais surtout aux éclairages toujours efficaces de Michael Bauer, conçus par Jennifer Tipton. Ce sont ces éclairages, notamment au deuxième tableau, qui à eux seuls offrent le mystère et la fascination du conte (magnifique apparition du marchand de sable en marionnette comme surgi de l’Enfer) : ils projettent le décor dans l’irréalisme total, alors que premier et troisième tableau proposent des visions plutôt réalistes voire crues comme Hänsel attaché à un tournebroche, ou tous les enfants et leur restes, voire évidemment la sorcière au four.
Au total, une production qui fonctionne, qui fascine petits et grands : bien peu d’enfants remuent et seules les visions de la bouche rouge-sang ou de couverts sanguinolents avant le troisième tableau provoquent quelques petits remous. Au total, le triomphe est garanti.

Dégustation finale

Les aspects musicaux

Les voix

Musicalement, l’opéra est particulièrement fameux par ses moments symphoniques, prélude, et partie finale du deuxième tableau, plus que pour ses prouesses vocales. Ce qui compte dans les voix, c’est l’homogénéité, l’expressivité, le naturel, plus que la performance, même si Peter (le père) a quelques moments vocaux pleins de relief ou si la sorcière, chantée par un ténor de caractère, doit être d’abord un « personnage » essentiel, à la voix colorée et insinuante. Et dans l’ensemble, la distribution réussit pleinement à convaincre.
Juliane Banse est la mère, Gertrude, chanteuse particulièrement connue pour sa culture de Lied (elle a étudié auprès de Brigitte Fassbaender), une référence dans le chant allemand et même si la voix a un peu perdu en chair et gagné un peu en stridence, elle garde ce naturel et cette qualité d’expression des grandes interprètes.

Juliane Banse (Gertrud), Thomas Mole (Peter)

Thomas Mole, issu du studio et désormais dans la troupe, obtient un retentissant succès en Peter, le timbre a une très belle qualité, le phrasé est exemplaire, même si on souhaiterait une projection vocale plus assurée et continue. Il reste que la prestation est notable. On sent qu’il en faudrait très peu pour que la voix sorte vraiment avec franchise.

Ya-Chung Huang (Knusperhexe)

On reste un peu déçu de la sorcière (Knusperhexe) de Ya-Chung Huang, qui nous avait séduit dans Mime (ou David des Meistersinger) à Bayreuth et en Merkur de Die Liebe der Danae à Munich dans la production Guth. La voix est expressive, le phrasé impeccable, le jeu est particulièrement soigné et le personnage vraiment campé, mais il manque un peu de volume et de projection pour donner sa pleine assise à la figure de la sorcière. C’est un peu dommage parce que la composition est vraiment exceptionnelle.
Aucun reproche à faire aux rôles de complément comme le marchand de sable (qui chante aussi un Echo), Meg Brilleslyper ou les « Echos », Lucy Altus, Nontobeko Bhengu et Elene Gvritishvili, toutes membres remarquables du Studio de la Bayerische Staatsoper,

Iana Aivazian (Taumännchen)

mais on a noté surtout l’intervention exceptionnelle de Iana Aivazian, elle aussi membre du Studio, qui chante la marchande de rosée (elle intervient au début du troisième tableau) avec une sûreté, une poésie et surtout une projection et un contrôle du volume qui laissent espérer si tout va bien une future très grande carrière.

Rachael Wilson (Hänsel), Nikola Hillebrand (Gretel)

Rachael Wilson, bien connue dans la maison où elle a appartenu au Studio puis à la troupe, propose un Hänsel très expressif, avec une vérité dans l’incarnation tout à fait exceptionnelle et une sûreté vocale sans failles : elle est Hänsel, on y croit immédiatement, tout comme la Gretel de Nikola Hillebrand, qui impressionne par le volume, la délicatesse, la clarté de l’expression et la présence scénique. Les deux forment une paire absolument remarquable, suscitant l’adhésion immédiate du public qui les fête tout à fait justement.
L’image finale avec la courte intervention du chœur d‘enfants préparé par Kamila Akhmedjanova est impressionnante musicalement, et pas seulement parce que ces petits garnements se partagent la sorcière sortie du four…

 

La direction musicale

Ce qu’on entend en fosse nous confirme que le Bayerisches Staatsorchester est une magnifique formation et sans doute la plus belle et la plus régulière des formations d’opéra. Pas une scorie, des sons nets, parfaitement dominés, un charnu orchestral exceptionnel, ce qui dans cette œuvre est déterminant. Vladimir Jurowski offre de la partition une lecture luxuriante, très limpide, montrant à la fois les effluves wagnériens, avec des cordes à se damner, des vagues sonores qui vous emportent et vous enivrent, tout en respectant les moindres recoins du tissu musical, avec des bois exceptionnels et une petite harmonie tourneboulante.
Jurowski ne joue jamais fort, cherche à équilibrer les différentes strates sonores, il cherche à montrer à la fois les délicatesses de l’écriture, mais aussi les grands moments symphoniques qui emportent et qui émeuvent tant. Il soigne toutes les nuances, garde à l’ensemble une grande intensité, si bien que jamais il ne lâche le tempo, très mesuré, et qu’il tient toute la masse orchestrale avec un grand soin qui respecte les couleurs, si importantes ici, sans jamais couvrir les voix, sans jamais lâcher la bride. C’est une performance exceptionnelle, qui vaudrait à elle seule le voyage. Mais avec une production de vrai niveau et une distribution particulièrement soignée, cette soirée de répertoire devient une soirée qu’il ne fallait manquer à aucun prix. Ce soir c’était Munich, cette salle munichoise éternelle qu’on aime tant.

 

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Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.

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2 Commentaires

  1. les charmantes petites tetes blondes que vous mentionnez n'en tenaient pas large à la fin et se refugiaient dans les jupes de leurs mères… un spectacle magnifique, mais pas du tout pour enfant. Les brioches tailles humaInes en forme d'enfant qui sortaient du four ont provoqué je pense bien des cauchemars.…
    Ceci dit spectacle exceptionnel, Munich reprend totalement du poil de la bete, le soir d'après Petrenko Trifonov et le Rimski dirigé aussi par Jurowski le jour d'avant… Munich est une fete.….

  2. J avais déjà vu cette production à New York il y a très longtemps .
    Ma voisine avait certainement passé de très mauvais moments pendant la deuxième guerre mondiale, la scène de ces corps humains en forme de pain sortis du four avait provoqué en elle une immense détresse. Je revois ces yeux angoissés embués de larmes… spectacle pour enfant..

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