Leoš Janáček (1854–1928)
Lašské tance (Danses de Lachie)
(1888–1890, Rev.1927)
I. Starodávny (L’Antique). Andante
II. Pozehony (La Bénite). Allegretto
III. Dymók. Allegro
IV. Starodávny II (L’Antique). Moderato
V. Čeladensky. Allegro
VI. Pilky (Danse de la Scie). Andante con moto


Béla Bartók (1881–1945)
A csodálatos mandarin
(Le mandarin merveilleux)
Suite de concert BB 82a SZ 73b (1927)
Allegro
Maestoso
Tempo di valse

Pause

Ludwig van Beethoven (1770–1827)
Symphonie n°2 en ré majeur op.36 (1802)
1. Adagio – Allegro con brio
2. Larghetto
3. Scherzo. Allegro – Trio
4. Allegro molto

Orchestra sinfonica nazionale della RAI
Kirill Petrenko,
direction musicale

Turin, Auditorium RAI Arturo Toscanini, mercredi 15 octobre, 20h

© Chris Christodoulou

Prémices en forme d’étonnement

Visiblement le peuple mélomane turinois ne se rend pas bien compte de l’éminent privilège d’avoir la visite pour deux soirs de Kirill Petrenko à la tête de l’un des meilleurs orchestres italiens pour un concert d’un incroyable niveau…
Songeons que ce privilège coûte pour les places les plus chères 30 € (avec un supplément de 1€ de prévente en ligne). Même pour les français frontaliers de Auvergne-Rhône Alpes, cela vaut le voyage et d’ailleurs un œil sur la programmation nous montre une saison où outre Andrès Oroczo-Estrada, actuel directeur musical et celui de Kirill Petrenko, on trouve dans les chefs invités Fabio Luisi (deux programmes), Ottavio Dantone (deux programmes), Michele Mariotti, Diego Ceretta, c’est-à-dire aussi les chefs en vue ou les plus prometteurs de l’Italie d’aujourd’hui, mais aussi Daniel Kawka, bien connu pour son travail sur la musique d’aujourd’hui ou Hannu Lintu, qui a dirigé Pelléas et Mélisande à Munich pendant le Festival 2024.
Et pourtant… Si Kirill Petrenko en concert pour des prix allant de 15 à 30 € provoquerait ailleurs une sorte de ruée, la salle n’était pas pleine, pour les deux soirs à Turin (elle l’était à Bologne où l’orchestre faisait une petite virée pour un troisième concert). Sans doute le programme, affichant Janáček et Bartók et une symphonie de Beethoven moins fréquente n’a‑t‑il pas attiré, et sans doute aussi est-ce le résultat désespérant d’une lente dégradation de la situation musicale en Italie depuis des années, sans cesse dénoncée par Riccardo Muti.
Le mal vient de loin et l’excellence des artistes et du monde musical italiens n’est pas en cause : l’Italie aligne aujourd’hui une pléiade de chefs d’orchestre que n’importe quel autre pays, Allemagne comprise, envierait.
La lente dégradation du paysage, également notable du côté du spectacle vivant a commencé lorsqu’on a décidé, en 1994, qu’il fallait rationaliser et faire des économies à la RAI, où on a fusionné les quatre orchestres RAI (RAI de Rome, RAI de Turin, RAI de Milan, Orchestre de chambre Scarlatti de Naples) en un seul, celui de la RAI de Turin. Or, ces orchestres avaient une certaine réputation (quand on pense aux enregistrements d’opéra avec l’orchestre de la RAI de Rome), ils irriguaient la péninsule et on les a sacrifiés. Certes, il y a des orchestres régionaux çà et là (Filarmonica Toscanini en Emilie-Romagne, Orchestra della Toscana par exemple) mais l’armature nationale constituée par les orchestres de la RAI a été brisée, sauvagement. Et il est toujours plus facile de briser que de reconstruire sur des ruines.
Résultat : L’Orchestra Sinfonica Nazionale della RAI à Turin et l’Orchestra nazionale dell’Accademia di Santa Cecilia à Rome sont désormais les deux seuls orchestres « nationaux » en Italie, où le symphonique cède toujours le pas au lyrique. Mais même du côté des théâtres lyriques, la programmation s‘est érodée réduite à de rares productions annuelles (si l’on excepte les grandes institutions) et souvent limitée aux grands standards habituels.
Pourtant, dans un paysage assez dévasté, Turin n’est pas la moins dotée, avec un Opéra de bon niveau, le Teatro Regio, les concerts de la RAI, et les concerts du Lingotto, doté d’un bel auditorium (Renzo Piano) qui accueille pour une petite saison des solistes et des ensembles musicaux internationaux, mais peut-être Turin n’a‑t‑elle plus l’âme mélomane…

Heureux donc les spectateurs de l’auditorium Toscanini de la RAI de Turin, une jolie salle au parfum années cinquante (1952) restructurée en 2005–2006, au très bon rapport scène-salle qui les 15 et 16 octobre ont assisté à un événement musical simplement… extraordinaire.

Le concert

Jour de joie que ce 15 octobre où l’on remarque dans le public assez diversifié, des jeunes et des moins jeunes, des amis venus de loin, quelques anciens « abbadiani » et même une gloire mondiale de l’opéra, Anja Kampe, à peine sortie de ses triomphales Brünnhilde berlinoises, qui retrouve là Turin où elle a étudié… On sent un public d’habitués, heureux de se retrouver autour d’un chef admiré.

Le programme, nous l’avons souligné plus haut, est composé de trois pièces très différentes, les Danses de Lachie de Janáček, Le mandarin merveilleux de Bartók et la Deuxième symphonie de Beethoven, et si l’on veut trouver un fil rouge assez ténu, c’est au moins pour les deux premières, qui constituent la première partie, la Danse. Petrenko aime les rythmes de danse, et c’est un interprète hors pair de Johann Strauss dont tous se souviennent de sa Fledermaus à la Bayerische Staatsoper de Munich, l’un des sommets interprétatifs de cette œuvre, seulement comparable à Carlos Kleiber.

Dans cette première partie de concert, Kirill Petrenko est dans son élément, le post romantisme, qu’il explore méthodiquement à travers des pièces connues et d’autres moins. Il y aussi un autre fil rouge en cette première partie, un peu plus caché… Les deux œuvres qui pour l’une remonte à 1889–1890 (Janáček) et l’autre à 1918 (Bartók) ont fait l’objet d’une révision à peu près contemporaine, la première en 1927, et la seconde en 1928 où Bartók écrit à partir du ballet original qui avait fait scandale, une suite symphonique créée le 15 octobre 1928, c’est elle qui est proposée ce soir.
C’est dont aussi un exposé de ces trente premières années du XXe siècle qui ont déterminé largement l’avenir de la musique.

Janáček : Les Danses de Lachie

Janáček même dans sa plus grande période créatrice, est toujours resté lié aux racines populaires de la musique tchèque, compositeur moins « policé » que Smetana ou que Dvořák, dont la gloire internationale est immense, et qui a écrit en 1878 les huit danses slaves au succès planétaire. Certes, derrière les danses de Lachie (une région du nord de la Moravie d’où Janáček est originaire), il y a l’ombre portée de Dvořák, mais Janáček travaille beaucoup plus en ethnographe. On sait qu’il s’intéressait à l’ethnographie de la Moravie, bien au-delà de la musique et qu’il a d’ailleurs plusieurs publications à son actif. Ce n’est donc pas au départ un certain « spectaculaire » qu’il recherche, mais plutôt de reproduire une couleur rugueuse, plus authentique et moins lisse, qui se rapproche de la couleur originelle de ces danses.
De fait, elles sont écrites à un moment où Janáček va basculer vers un style plus original, plus « en mouvement », et il faut sans doute entendre l’approche de Kirill Petrenko sous ce rapport-là.
Par ailleurs, ces six danses n’étaient pas prévues à l’origine pour être écoutées ensemble, elles étaient séparées et ce n’est que le 2 décembre 1924 qu’elles sont créées à Brno.  Même si Janáček revient dessus en 1927 peu avant sa mort (1928), il n’aplanit rien et garde à l’ensemble cet aspect rustique, qui est aussi une clef de sa grande période créatrice. La musique populaire, avec ses ruptures, ses audaces, ce que d’aucuns appellent aussi ses maladresses, est aux racines de l’inventivité et de l’originalité de Janáček et en cela, il est évidemment comparable à Bartók : les mettre ensemble dans un programme, c’est montrer un mouvement commun vers les racines idiomatiques de leur musique, et comment la musique populaire devient en quelque sorte, une musique élaborée, offrant aussi par sa rudesse et son originalité des voies nouvelles pour la création.
C’est pourquoi Petrenko accouple les deux œuvres dans la soirée, mais aussi par ailleurs dans les concerts qu’il présentera en Asie avec les Berliner, à la ligne chronologique plus cohérente dans la mesure où la seconde partie sera Petrouchka de Stravinski.

C’est donc clairement un discours « unitaire » qu’il faut entendre : Petrenko ne laisse rien au hasard et c’est bien cette explosion de la nouveauté musicale dans tout l’Empire austro-hongrois finissant qu’il tient à souligner pendant les premières années du XXe siècle qu’il veut affirmer.
Kirill Petrenko, nous l’avons souligné, a une affinité particulière avec les rythmes de danse, il aime à la fois les souligner, mais aussi il en aime les variations, les ruptures, les retours, et il donne de ces six danses une interprétation virevoltante, suivi avec un incroyable engagement, et même une joie visible par l’orchestre à son sommet. Il y a entre le chef et les musiciens une telle osmose, que c’est une impression d’ensemble qui est donnée, une vraie manière de faire de la musique ensemble et non de donner un simple concert.
C’est cette impression qui domine d’une volonté de livrer la musique dans sa chatoyance et sa brutalité, avec ses variations de couleur, bucolique, lyrique, plus sauvage aussi, et d’où ressortent une dynamique et une énergie absolument époustouflantes, voire folles. Tout est ici exposé, les rugosités, les heurts, les moments d’apaisement lyrique (la deuxième danse, La Bénite) et les tourbillons (la sixième, la plus connue pilky – danse de la scie des paysans qui doivent scier le bois pour l’hiver), sans jamais renoncer à une densité sonore, sans jamais renoncer au risque, à l’inattendu. C’est une sorte de quintessence, de stylisation de la musique populaire qui est ici offerte, avec les qualités habituelles du chef, dont au premier chef une clarté du rendu hallucinante parce que le moindre détail est audible, la moindre inflexion instrumentale valorisée, avec en particulier des bois impeccables qui confirment la qualité de cet orchestre peu connu en dehors des frontières de l’Italie et qui en remontre à bien des formations internationales.
Tout cela palpite, avec le cœur et avec la tête : on joue d’une manière totalement immersive, jamais distanciée. Petrenko est ici chez lui, et les musiciens le lui font bien sentir. Quant au public, il est déjà emporté par cette musique que quasiment personne dans la salle ne connaissait auparavant.

Béla Bartók : Le Mandarin merveilleux

C’est une bonne entrée en matière pour la deuxième pièce, plus connue, et d’une rare complexité, Le mandarin merveilleux, non pas le ballet de 1918, mais la suite d’orchestre qui fut créée en 1928.
On connaît l’histoire de ce ballet qui fit scandale en son temps : une histoire de pègre à Shanghai . Voici comment Bartók la résume :
Dans une chambre misérable de banlieue, trois voyous obligent une jeune fille à attirer dans la rue des hommes qu'ils comptent dévaliser. Un cavalier minable et un jeune homme timide, qui se laissent séduire, sont jetés dehors comme de pauvres bougres. Le troisième invité est l'inquiétant Mandarin. La jeune fille tente de le faire sortir de sa rigidité effrayante en dansant, mais comme il l'enlace avec anxiété, elle s'enfuit en frissonnant. Après une course-poursuite effrénée, il la rattrape, mais les voyous sortent de leur cachette, le dépouillent et tentent de l'étouffer sous des oreillers. Mais il se relève et regarde la jeune fille avec nostalgie. Ils le transpercent alors avec leur épée : il vacille, mais son désir est plus fort que ses blessures : il se jette sur la jeune fille. Ils le pendent alors, mais il ne peut mourir. Ce n'est que lorsque son corps est descendu et que la jeune fille le prend dans ses bras que ses blessures se mettent à saigner et qu'il meurt

C’est l’éternelle histoire d’ Ἔρως (Eros) et Θάνατος (Thanatos), mais un Eros qui heurte la conscience bourgeoise de ces années-là.
La première du ballet à Cologne (le 27 novembre 1926) fut en effet un immense scandale qui conduit le maire de Cologne (Konrad Adenauer …) à interdire la représentation et par l’œuvre fut interdite en Hongrie. C’est pourquoi Béla Bartók écrivit une suite pour orchestre (1928) afin que sa musique soit entendue, mais sans l’agonie finale du Mandarin en forme de transfiguration et surtout sans que le public ait à avoir des « horreurs » érotiques.
Petrenko a dirigé d’autres œuvres assez évocatoires de cette ambiance, par exemple, la mise en scène de Die Soldaten de Zimmermann qu’il dirigea à Munich dans la mise en scène d’Andreas Kriegenburg où le décor (d’Harald B.Thor) était dominé par le tryptique « la guerre » d’Otto Dix.
Pourquoi ce rappel ? Parce que c’est l’expressionnisme, un expressionnisme à la Otto Dix qui traverse l’œuvre, dont la thématique d’ailleurs rappelle quelque peu le troisième acte de Lulu de Berg, d’après Frank Wedekind. Un monde louche, la pauvreté, la prostitution, les faubourgs d’une grande ville.

L’œuvre est d’une richesse de timbres peu commune, une symphonie de couleurs servie par un organicum instrumental énorme et diversifié notamment au niveau des multiples percussions.
Petrenko affronte l’œuvre en en faisant un tourbillon de timbres qui laisse le souffle coupé, avec des enchainements redoutables, des ruptures, des stridences, des dissonances, laissant sans cesse le tranchant apparaitre sans jamais que la tension ne disparaisse. Si l’on devait comparer cette fresque avec un univers pictural, en dehors d’Otto Dix, ce serait un univers tragique à la Tintoret, des traits, des obscurités, des rais de lumières et des éclairs dans un ciel sombre et un kaléidoscope de couleurs qui ne vous laisse jamais en paix, tout en pulsations, tout en agitation, tout en brutalité. Une musique de fin des temps (écrite en 1918…), sans aucune concession… La prestation de l’orchestre (ses bois !! la clarinette solo !!) est spectaculaire, elle suit la main du chef, multiple, qui relève chaque détail parce que dans ce maelstrom sonore, tout reste lisible, clair jusqu’au moindre détail, elle est complètement engagée dans cette folie sonore qui nous laisse abasourdis. Une interprétation sensationnelle.

L.v.Beethoven : Symphonie n°2

Après cette première partie totalement épuisante et pour bonne part, inattendue. On pensait avec Beethoven revenir en terrain connu, plus serein en quelque sorte. Mais Petrenko est un visionnaire, au sens où il ne prend jamais une pièce en soi, mais pour ce qu’elle annonce, ce qu’elle dit entre les lignes, en triturant la partition jusqu’à l’impossible.

Il choisit un Beethoven « traditionnel », de grand orchestre symphonique et pas de formation réduite issue du baroque comme l’avait fait jadis (et avec quelle stupéfiante vérité) Abbado dans ses fameux concerts de Rome avec les Berliner. Le son est donc charnu, assez grandiose notamment pendant le premier mouvement mais sans jamais relâcher ce qui est un des traits de Petrenko, la tension.
En effet Beethoven traverse une période contrastée de succès musicaux (notamment toute sa production pianistique et concertante) et de problèmes personnels sentimentaux et physiques (il ressent les premiers effets de la surdité) ; ainsi la symphonie n°2 est-elle un moyen de transcender sa situation humaine (il écrira qu’il a été au bord du suicide) par une écriture dont Petrenko va s’employer à nous donner quelques clefs.
On dit souvent que la deuxième symphonie est pour certains la dernière trace de Haydn et du XVIIIe, avant la série des « grandes symphonies » commençant par l’Eroica (La troisième). On le note par exemple au larghetto du deuxième mouvement qui sonne presque comme un adieu au XVIIIe.

Le premier mouvement qui commence avec une grande solennité fait comprendre d’abord que le Beethoven qu’on va entendre sonne « classique », comme on l’attend de Beethoven, mais immédiatement au-delà des solennités se mettent en place des équilibres, comme les échos vents – cordes, l’immédiate perception de chaque instrument, les basses très présentes, avec un tempo ralenti mais tendu qui débouche ensuite sur l’allegro con brio en un enchainement d’une rare fluidité, avec des échos presque mozartiens (au rythme, on croit entendre l’ouverture des nozze), et néanmoins de vrais contrastes mais sans jamais rien de trop. Les volumes comme toujours chez Petrenko, sont contrôlés, et on passe d’un motif à l’autre d’une couleur à l’autre sans que jamais la tension sous-jacente ne disparaisse, il y a une sorte de manifeste et d’affirmation avec des traits d’une incroyable vivacité, tout en restant dans un cadre incroyablement maîtrisé.
On connaît la précision du geste de Petrenko et ses regards, et l’orchestre suit sans aucune bavure, avec un son d’une éclatante clarté et particulièrement somptueux où tout n’est que dialogue en une harmonie incroyable d’équilibre mais en même temps et ce n’est pas contradictoire, tout en variations, de rythmes, de couleurs, en interventions qui se répondent et font voir toute une architecture et une construction.
On entend bien entendu Mozart mais on entend aussi Cherubini que Beethoven admirait tant dans la volonté de maintenir tous les équilibres avec un zeste de drame : jamais de joie qui ne soit qu’explosive.
Le larghetto respire complètement différemment, d’une rare suavité mais non sans un délicate mélancolie. Ici se dessine un paysage, un espace qui a quelque chose d’un doux adieu, avec un stupéfiant jeu dialogué des instruments (encore une fois, les vents, clarinette, hautbois et les réponses aux violons). L’orchestre est étonnant de douceur, jamais appuyé, toujours allégé, et toujours cette incroyable clarté et ce sentiment aérien avec des touches de son comme des touches de couleur (les cuivres) ou les interventions finales de la flute : il y a là une authentique délicatesse évocatoire, mais avec le chef qui tient toujours l’ensemble de la construction d’une main ferme, d’un geste toujours précis et lisible que les musiciens suivent avec une sorte de foi…
Le scherzo est d’abord un petit miracle de fluidité et de maîtrise des volumes, presque dansant, avec un incroyable sens des rythmes ici essentiels et une véritable scansion. Mais jamais Petrenko n’abdique la tension, toujours présente sous l’apparente légèreté, c’est peut-être une sorte de sommet où les équilibres semblent miraculeux, soulignons aussi la prestation des instrumentistes, qui ne jouent jamais fort, qui maîtrisent le son pour lui donner à la fois légèreté mais aussi une chair bien présente. Miraculeux.
Le finale est surprenant parce qu’il n’est jamais apprêté, jamais rhétorique : il n’y a dans cette interprétation rien d’une lourdeur grandiloquente qui pourrait ternir l’impression générale d’un flux, d’une dynamique, d’une force qui va, d’une joie réelle mais jamais explosive ou incontrôlée. Ce ne sont que crescendos, que variations infimes sur les volumes, qu’échos entre les pupitres qui s’écoutent les uns les autres et qui livrent une lecture d’une limpidité où chaque instrument s’entend, à sa place, dans une sorte de joie de créer. On a l’impression d’une redécouverte d’un Beethoven tout ouvert, qui s’essaie à des rythmes, des modulations infinies et qui nous apparaît incroyablement naturel, jamais maniéré, jamais surjoué, mais jamais sec non plus, dans la grandiose simplicité d’une rencontre merveilleuse entre un chef et un orchestre qui nous communiquent leur joie.

Un des très grands concerts de l’année.

© Frederike van der Straeten / Berliner Philharmoniker
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Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.
Crédits photo : © Chris Christodoulou
© Frederike van der Straeten / Berliner Philharmoniker 

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