Bruno Mantovani (1974-)
Venezianischer Morgen, création mondiale le 14 mars 2025 à la cathédrale de Monte-Carlo, commande de l’Opéra de Monte-Carlo

Claudio Monteverdi (1567–1643)
Vespro della Beata Vergine, SV 20 (1610, Venise)

Ensemble Vocal Il Canto di Orfeo
Solistes :  
Jiayu Jin, Francesca Cassinari, soprani
Aco Biscevic, Jacopo Facchini, alti
Massimo Altieri (nigra sum), ténor
Marco Saccardin (Audi coelum), baryton
Piermarco Vinas, Giacomo Pieracci, basses

Chef de chœur : Jacopo Facchini

Les Musiciens du Prince – Monaco

Musiciens du Prince*
Violon I Enrico CASAZZA
Violon II Nicolas MAZZOLENI
Alto Emanuele MARCANTE
Violoncelle Antonio Carlo PAPETTI
Contrebasse Roberto FERNÁNDEZ DE LARRINOA
Lirone Cristiano CONTADIN
Viole de gambe Cristiano CONTADIN
Théorbe Miguel RINCON RODRIGUEZ
Théorbe Elisa LA MARCA
Théorbe Michael DUECKER
Cornet Gebhard DAVID
Cornet Martin BOLTERAUER
Cornet Frithjof SMITH
Trombone Gerd SCHNACKENBERG
Trombone Cas GEVERS
Trombone Gunter CARLIER
Trombone basse Gunter CARLIER
Harpe Marta GRAZIOLINO
Orgue Davide POZZI

*Sous réserve de modification


Gianluca Capuano
, direction

Coproduction avec Le Printemps des Arts de Monte-Carlo

 

Salzbourg, Mozarteum, samedi 7 juin 2025, 15h

Le Festival de Pentecôte, concentré d’événements pendant le week-end de Pentecôte du vendredi soir au lundi soir, offre une palette suffisamment large pour convenir à tous les publics, ce qui fait de ce rendez-vous un moment à la fois plus familial (le public est plus réduit et formé d’habitués) et qui s’efforce aussi à s’ouvrir un public bien plus large lors de la soirée de danse, ou plus intime comme pour le concert de Matthias Goerne et Tamara Stefanovich. Chaque moment a sa spécificité, un opéra en version scénique, un spectacle de danse, un grand standard de l’opéra en version concertante (cette année, Venise oblige, Traviata, créé à la Fenice en 1853), une soirée un peu « champagne » comme Bartoli sait en offrir avec cette année un gala « Rossini à Venise », et puis deux moments plus intimes, plus recueillis pour un public moins large, donnés d’ailleurs dans le cadre de la magnifique salle du Mozarteum, le récital évoqué plus haut et surtout, systématiquement, un concert spirituel, dédié cette année au Vespro della Beata Vergine de Monteverdi, publié en 1610 à Venise, ville où Monteverdi deviendra en 1613 Maître de Chapelle à la Basilique Saint Marc, à la tête de la Cappella Marciana. Un seul point commun, jamais démenti, l’exigence musicale à tous les niveaux.
Rien d’étonnant donc à associer Monteverdi à Venise, alors qu’on pense à cette période essentiellement à Mantoue, et à ses années à la cour des Gonzague, à la création en 1607 de l’
Orfeo dans une salle du Palais de Mantoue.
Mais justement, l’œuvre présentée en ce doux après-midi printanier est en quelque sorte, un point d’orgue qui clôt Mantoue et qui ouvre Venise. Nous y reviendrons.
Et c’est à une exécution éblouissante, exposant dans tous ses effets l’art de Monteverdi que nous avons assisté. 

 

C’est un moment difficile pour Claudio Monteverdi que les années qui entourent la création de L’Orfeo à Mantoue. Il travaille depuis 1590 à la cour des Gonzague, il y est Maître de Chapelle depuis 1601, et pourtant ne cesse de se plaindre de n’être pas reconnu à sa juste valeur, mal payé, bien que Mantoue soit une des cours les plus riches de l’Italie de l’époque (il suffit de visiter la ville pour s’en rendre compte et surtout cet éberluant et démentiel Palais Ducal). Il y restera jusqu’en 1613, année qui le voit rejoindre Venise. Mais il cherche depuis 1606 visiblement à laisser la cour des Gonzague et a besoin de se « vendre », de montrer de quoi il est capable, en une période de bascule essentielle dans l’histoire de la musique occidentale.
Il publie en effet en 1610 et le Vespro della Beata Vergine, et la Missa in illo tempore. Cette dernière écrite dans le style « ancien » contraste avec le Vespro della Beata Vergine où Monteverdi s’essaie à une grande variété de styles compositionnels, comme s’il s’employait à montrer l’étendue de ses capacités, tout en démontrant par la Missa qu’il maîtrisait aussi parfaitement le style polyphonique pratiqué jusqu’alors. Il est probable qu’il cherche du travail ailleurs et la longue dédicace au pape Paul V Farnese n’y est sans doute pas étrangère.
Le Vespro della Beata Vergine n’est d’ailleurs pas une œuvre qui appartient stricto sensu au rituel liturgique à exécuter dans les manifestations mariales, certaines parties comme l’Audi Coelum à six voix n’en font pas partie, même si des discussions musicologiques ont toujours cours à ce propos.

Gianluca Capuano, Il Canto di Orfeo, Les Musiciens du Prince — Monaco

Ainsi, par ses dimensions, sa variété, l’importance de son effectif, Le Vespro della Beata Vergine apparaît comme un manifeste dynamique d’une musique qui est en train de s’affirmer, d’un style qui s’installe et consacre Monteverdi comme l’un des grands novateurs de la musique.
Ce qui nous frappe, c’est l’étroite liaison, le tissage entre les textes et l’accompagnement instrumental, qui est aussi une des grandes leçons de L’Orfeo (1607).
En 2023, Capuano et ses Musiciens du Prince avaient proposé une version de L’Orfeo avec les marionnettes de la Compagnie Carlo Colla qui fut et reste un des moments les plus riches et les plus frappants de ces dernières années.
Il faut partir de quelques observations faites alors : « Le rapport entre livret et musique nous fait immédiatement plonger dans une modernité qu’on n’a pas coutume de souligner pour ce répertoire. », et plus spécifiquement, à propos de la direction de Capuano : « Combien il soigne les rythmes, les couleurs, donnant à cette musique une vie qui se love dans chaque note. Rarement j’ai pu entendre un Orfeo aussi aérien, aussi plein de sève, aussi vital. »

On retrouve ici exactement ces impressions, nées du rapport particulier que Gianluca Capuano entretient avec Monteverdi, et surtout à cause de l’extraordinaire vitalité musicale et dynamisme qui naissent de cette exécution.
Il y a donc comme une métaphore induite entre la nature de la Vierge, source de la vie du Christ et par extension source de vie, une vie d’une intensité qu’on ne soupçonnait pas.
Quels sont les caractères de ce moment ?

Monteverdi a inventé un art de tissage de la parole et du chant, le recitar cantando, caractéristique de son Orfeo, et on retrouve ici ce travail tout particulier sur la voix. L’ensemble de l’œuvre est composé de moments différents, psaumes, hymnes, motets et à chaque moment correspond une chorégraphie chorale différente, le chœur se déplaçant sur le podium, se croisant, les voix se plaçant selon l’effet voulu ici ou là, il en résulte une dynamique visuelle et assez théâtrale qui met en scène la vocalité, et qui indique à l’auditeur les effets induits selon le placement du chœur et des solistes, chantant tantôt du fond, tantôt au milieu de l’orchestre par exemple. Comme l’orchestre ne bouge pas, cette chorégraphie donne à la voix une sorte de prépondérance et fait comprendre que la source spirituelle vient du chant. L’importance de la voix et de la parole est l’un des caractères de Monteverdi et Gianluca Capuano, qui fut longtemps chef de chœur, organise cette exposition des différentes vocalités avec une vraie rigueur, sans que jamais ces mouvements n’apparaissent superflus, permettant au contraire à l’auditeur de rentrer en soi, et de plonger dans l’épaisseur spirituelle de la pièce à chaque mouvement.

Il Canto di Orfeo, Les Musiciens du Prince — Monaco

Bien entendu, cela ne signifie pas que l’orchestre soit un élément secondaire, il est accompagnement, comme un somptueux et immense continuo, qui prolonge le discours des voix tantôt par les cordes, violon, alto violoncelle et viole de gambe- avec un engagement tout particulier de la contrebasse de Roberto Fernández de Larrinoa, souvent par les vents : trombones et cornets jouent des volumes et des tempos avec une virtuosité inouïe et même une sorte de gourmandise, et ils sont absolument exceptionnels de précision et d’engagement, ainsi que les trois théorbes donnant quelquefois un ton plus intimiste et même étrange.

Jacopo Facchini, chef de chœur

C’est ce jeu d’échanges entre voix et instruments qui m’est apparu éloigné de toute convention, de toute « tradition », explorant au contraire des possibilités diverses, en volume ou en spatialisation, comme les échanges à trois voix d’hommes du Duo Seraphim à la fois ornementé mais jamais maniéré, chanté avec un étonnant naturel ou les systèmes d’écho, quand les phrases se répondent entre voix et instruments et que la voix semble se perdre dans le lointain, dissimulée quelque part en salle ou en coulisse et répondant à la voix de premier plan ou à l’instrument. Ce sont des moments de pure magie et aussi de pure théâtralité.
Comme il l’avait fait pour L’Orfeo, Gianluca Capuano fait émerger du chœur des voix solistes remarquables, à commencer par le ténor Massimo Altieri (merveilleux Nigra sum, extrait du cantique des cantiques, un authentique moment de grâce) ou celle du baryton Marco Saccardin dans l’Audi coelum, verba mea (« concerto », c’est-à-dire motet).

Les solistes surgissent – il faudrait aussi citer les sopranos Jiayu Jin e Francesca Cassinari, les altos Aco Biscevic et Jacopo Facchini et les basses Piermarco Vinas et Giacomo Pieracci parce que ce sont des artistes du mot, sans jamais tomber dans l’artifice ou la démonstration, par le jeu d’une intonation, d’une respiration ou d’une différence de volume, ils offrent de l’œuvre une vision incroyablement humaine, presque proche de nous, à la limite de la sensualité et en même temps intense et spirituelle. Et peu à peu nous y entrons et nous nous y lovons émerveillés par la surprise de ce Monteverdi qui semble neuf, inventé dans l’instant. Le Monteverdi de Capuano nous ouvre décidément des univers infinis .

Gianluca Capuano 

Le caractère paradoxal de cet authentique moment musical, c’est que c’est un ensemble chœur et orchestre, et donc un collectif, mais que ce que l’on voit, ce sont des solistes qui émergent puis se fondent dans les ensembles, tous ces participants sont en réalité des solistes : en témoigne un son d’une limpidité exemplaire, la perception claire et précise de chaque instrument, de chaque voix, dans une salle, celle du Mozarteum, il est vrai idéale pour ce type d’exécution, dans un rapport de proximité et d’intimité et en même temps ne renonçant jamais au sentiment du grandiose et du somptueux.
J’ai été personnellement très touché par le Psaume 147, Lauda Jerusalem, et par le Magnificat et sa fugue finale sur le Gloria que devant le succès et l’insistance du public, les exécutants ont repris.

Le concert s’était ouvert par une pièce de Bruno Mantovani, directeur artistique du Printemps des Arts de Monte-Carlo, où ce concert a été donné en mars dernier et donc apparaissant comme coproducteur, qui, malheureusement, par sa fixité et ses jeux sonores rigoureux ou rigoristes, apparaissait en net recul par rapport à la vivacité et l’inventivité de Claudio Monteverdi. C’était un chœur a cappella magnifiquement exécuté intitulé Venezianischer Morgen à partir de deux textes de Rilke, Venezianischer Morgen et Spätherbst in Venedig qui a mis en somptueuse exposition les voix du chœur il Canto di Orfeo (et les solistes féminines) appuyé sur les souvenirs du chant grégorien. Mais cet après-midi, la musique de l’avenir s’appelait Monteverdi.

Gianluca Capuano, Il Canto di Orfeo, Les Musiciens du Prince — Monaco

 

 

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Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.

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