Programme

Robert Schumann (1810–1856)
Manfred, ouverture op. 115

Wolfgang Amadeus Mozart (1756–1791)
Symphonie concertante pour instruments à vent K 297b

I. Allegro
II. Adagio
III. Andantino con varizioni

Johannes Brahms (1833–1897)
Symphonie n° 1 en ut mineur op.68

I.Un poco sostenuto. Allegro
II. Andante sostenuto
III. Un poco Allegretto e grazioso
IV. Adagio. Più Andante. Allegro non troppo, ma con brio

Flûte Andrea Oliva
Hautbois Francesco Di Rosa
Basson Andrea Zucco
Cor Alessio Allegrini

Orchestra dell'Accademia nazionale di Santa Cecilia

Direction : Kirill Petrenk

Milan, Teatro alla Scala, dimanche 15 juin 2025, 20h, cycle "Orchestres invités"

Après trois soirées à Rome clôturant la saison au Parco della Musica, l'Orchestre de l’Accademia nazionale di Santa Cecilia revient à Milan sous la baguette passionnée de Kirill Petrenko pour un programme symphonique qui met en valeur les qualités exceptionnelles des premiers pupitres, associées à la précision et à la beauté du son de l’orchestre.

5 apr 78

“[…] Nun werde ich eine sinfonie concertante machen,
für flauto Wendling, oboe Ram, Punto waldhorn, und Ritter fagott.
Punto bläst Magnifique. […]

Nun leben sie recht wohl, ich küsse ihnen 100mh [sic] die hände und
bin                                                            Wolfgang Amadè Mozart”

5 avril 1778

« […] Je vais maintenant composer une symphonie concertante,
pour flûte Wendling, hautbois Ram, Punto cor français et Ritter basson.
Punto joue merveilleusement bien. […]
Portez-vous bien, je vous embrasse 100 fois et
Je reste votre Wolfgang Amadè Mozart »
[1]

Revenons en 1778. Les colonies nord-américaines sont en effervescence. La Caroline du Sud est le premier État à approuver les Articles de la Confédération et de l'Union perpétuelle, qui céderont la place quelques années plus tard à la Constitution, pilier des États-Unis d'Amérique. Une belle occasion de jouer une nouvelle partie dans l'éternel match anglo-français, les deux nations s'étant, comme à leur habitude, rangées dans des camps opposés.
Sur le vieux continent, le sommeil était également perturbé sur d'autres fronts. C'était au tour d'une guerre inédite, la guerre des patates[2]. Ne pensez pas à une émission de cuisine, où l'on se bat à coups de fourchette : après la mort de Maximilien III, Joseph II d'Autriche tenta « modestement » de s'emparer de la Bavière, mais il fut stoppé par l'armée de Frédéric II de Prusse. Laisser l'ennemi le ventre vide semblait être un moyen d'attaque redoutable et les Autrichiens restèrent, il faut le dire, la bouche sèche.

Sur le front des superpuissances musicales, à cheval sur l'âge d'or du classicisme, prêt à s'exprimer dans les passions romantiques d'abord, puis celles de 1848, la soirée du 3 août 1778 est à marquer en rouge sur le calendrier : le Nuovo Regio Ducal Teatro alla Scala ouvrait ses portes, en un temps record après l'incendie du Teatro Ducale où avaient eu lieu quelques années auparavant les premières représentations de Mitridate, re di Ponto, Ascanio in Alba et Lucio Silla de Mozart. Pour L'Europa riconosciuta d'Antonio Salieri, un Italien renvoyé à Vienne, le rideau se levait sur le premier théâtre du monde[3].

La même scène accueillera à nouveau l'œuvre, qui n'a manifestement pas connu un succès durable, le soir du 7 décembre 2004.

 L'orchestre de l'Accademia Nazionale di Santa Cecilia et Kirill Petrenko sur la scène du Teatro alla Scala

Que ce soit conscient ou non (l'Orchestre de Santa Cecilia arrive à Milan après avoir joué le même programme pendant trois soirées à Rome), ce soir, en hommage à cet événement, nous remontons de Milan à Paris pour voir ce qui s'était passé quelques mois plus tôt, en 1778.

Mozart, dans la capitale française en quête de fortune et d'argent, travaillant sur des pièces de circonstance, avait illuminé de sa divine étincelle le genre de la Symphonie concertante, qui, à vrai dire, n'est généralement guère plus qu'une occasion offerte à de brillants solistes, plutôt qu'à de généreux maîtres de maison, de montrer leur talent musical.
Le sort ne nous a pas été très favorable. Mozart a bien composé, mais après avoir cédé l'autographe au chef d'orchestre Joseph Legros sans en faire de copie, l'œuvre n'a pas été jouée et a même été remplacée par une œuvre similaire du violoniste Giuseppe Maria Cambini, énième rival présumé destiné à l'anonymat.
Réapparue près d'un siècle plus tard dans une collection privée, la partition que l'on entend aujourd'hui (dans ce cas dans la version pour flûte, mais plus souvent avec clarinette) laisse planer le doute quant au fait qu'elle reflète au moins intégralement le style mozartien.
Elle ne peut être comptée parmi les chefs‑d'œuvre du compositeur salzbourgeois, fille de l'école classique viennoise de la génération précédente, elle ne dégage pas la même électricité que celle qui imprègne les concertos pour violon, le concerto pour flûte et harpe, le concerto pour clarinette, la symphonie concertante pour violon et alto, sans parler des concertos pour piano.

En mettant en avant les premières parties solistes, le bon goût et l'éducation de l'école vocale italienne stérilisent parfois les idées musicales, qui semblent parfois imiter des lignes et des cadences vocales banales, issues des automatismes de ce même opéra de cour du XVIIIe siècle que Mozart finira par enterrer définitivement en le dévastant avec l'éros de la trilogie Da Ponte.

Symphonie concertante pour instruments à vent K 297b (A. Oliva, F. Di Rosa, K. Petrenko, A. Allegrini, A. Zucco)

Nous écoutons un Allegro au caractère souriant mais assez générique, qui peine à mettre en valeur des timbres qui ne s'accordent pas vraiment entre eux. Un mouvement qui vit s'il est soutenu par la légèreté d'un souffle, mais qui tombe dans le générique s'il est rendu didactique ou pompeux, et qui gagnerait davantage à se fondre dans le ton d'une légère sérénade nocturne que dans la définition pompeuse de symphonie concertante.
L'Andantino avec variations est une conclusion nécessaire pour mettre en valeur les qualités des virtuoses individuels. Les dix variations et le finale qui reprend et tire les fils du discours nous laissent peu, l'occasion d'un salut qui n'est rien de plus que poli.

Mais, bien que contraint par les formes ou la banalité de l'occasion, le coup d'aile du Génie arrive et bouleverse tout. Voici donc, entre des mouvements extrêmes ordinaires, le joyau éclatant de l'Adagio. Dans le deuxième mouvement, les solistes deviennent des géants sur scène : le caractère des instruments est mis en relief avec une douceur gracieuse qui ne débouche pas sur la mélancolie mais sur une action sereine, laissant peu à peu place à une atmosphère limpide et religieuse qui rappelle Gluck, pure beauté. C'est le cœur de l'œuvre et cela justifie à lui seul son écoute. Le centre de gravité de tout le concert.

Dans une interprétation idéale, Kirill Petrenko a réussi à nous transmettre à la fois la légèreté de l'écriture des parties orchestrales, les couleurs précieuses et la virtuosité des quatre excellents solistes, porte-drapeaux de ce qui peut aujourd'hui être considéré sans crainte de se tromper comme le meilleur orchestre symphonique italien.

Pas de lourdeur ni de rythmes forcés, pas de place pour la mièvrerie : dans un équilibre étonnant, les thèmes et les arabesques musicales, sans emphase ni forçage, passent avec légèreté, glissent d'un instrument à l'autre comme si c'était la chose la plus naturelle du monde. C'est l'essence même de Mozart[4].

Nous avons certes dit que l'écriture des mouvements extrêmes ne soutient pas la comparaison avec les autres chefs‑d'œuvre sortis de l'esprit du compositeur salzbourgeois, mais ce soir, nous l'oublions grâce au phrasé nerveusement moderne et au legato, à la légèreté et à la virtuosité orchestrale. Arrivés au chant extatique, sans emphase, de la mélodie principale consolatrice de l'Adagio, incomparable par son apparente simplicité, il ne reste plus qu'à s'abandonner à tant de grâce spontanée. Les applaudissements pour les solistes, l'orchestre et le chef d'orchestre sont de ceux que l'on entend rarement à la Scala.

Premiers solistes de Santa Cecilia pour Mozart (A. Oliva, A. Zucco, F. Di Rosa, A. Allegrini)

Tout autour de Mozart, le programme du concert est placé sous le signe des passions romantiques. Ouvert dans la première partie par l'ouverture Manfred de Robert Schumann, sèche, nerveuse, à l'image du héros de Byron, l'entracte est suivi de l'une des œuvres symphoniques les plus complexes et les plus incertaines du XIXe siècle.

Johannes Brahms était déjà entré dans la quarantaine lorsqu'il mit un point final à la partition de sa Première Symphonie en 1876, dont la rédaction avait commencé quatorze ans plus tôt. Brahms sentait sur ses épaules toute la responsabilité de devoir reprendre le chemin qu'un autre Allemand avait tracé. C'était à lui qu'incombait la charge, plus que l'honneur, d'aller au-delà de Beethoven, de franchir les colonnes d'Hercule du Schluss-chor « An die Freude ».

Le chemin fut très douloureux, les ajustements se succédèrent jusqu'à la première représentation publique, mais Brahms pouvait affirmer avoir trouvé une nouvelle voie, d'autant plus si l'on considère les mouvements centraux de l'œuvre.

Des paysages encore nébuleux et douloureux, parfois inquiétants, s'ouvrent devant nous. L'écriture dense des cordes, qui progressent avec des sonorités compactes et liées, souvent sur des rythmes implacables, laisse une large place aux interventions mélancoliques des bois. Le final lui-même, qui rappelle son prédécesseur davantage par la construction formelle du morceau que par l'hommage thématique, semble forcé et bruyant. Il ne s'agit donc pas de la dixième symphonie de Beethoven (selon la célèbre étiquette apposée par Hans von Bülow), mais d'une œuvre qui marque le début d'un grand goût symphonique très personnel.

Kirill Petrenko et l'Orchestre de Santa Cecilia pour la première symphonie de Johannes Brahms.

Cette première symphonie dirigée par Kirill Petrenko ne connaît toutefois pas les étendues nordiques balayées par les vents et ne ressent pas le besoin de renouer avec l'histoire. Elle jaillit du feu de la passion et des contrastes humains, sous le contrôle technique rigoureux d'une direction qui ne néglige aucun signe de la partition.

Le rythme soutenu soutient une narration tendue, avec des arcs sonores compacts. Le phrasé nerveux et sans concession est l'antidote à la tentation de toute emphase et de toute accentuation exagérée.

Le geste des violons qui ouvre, sans solution de continuité avec le précédent, le mouvement final se déplace sur une atmosphère livide et incertaine plutôt que sur une banale masse sonore. Même le motif des cors au Più Andante (f sempre e passionato écrit Brahms) avant le grand thème, sonne suspendu et subtil et introduit un Allegro non troppo, ma con brio qui, même dans l'apothéose finale, s'abandonnera à la fougue de la passion plutôt qu'à la splendeur de la joie.

Kirill Petrenko est au podium de l'Orchestra dell'Accademia Nazionale di Santa Cecilia.

À la fin de cette soirée festive, tous les interprètes sont applaudis chaleureusement et longuement. Il est difficile pour de nombreux spectateurs de ne pas imaginer les saisons qu'un directeur musical comme Petrenko pourrait réserver au Teatro alla Scala…

[1] Lettre de W. A. Mozart à son père Leopold, Paris, 5 avril 1778, conservée à la Staatsbibliothek zu Berlin – Preußischer Kulturbesitz. Les solistes cités, Johann Wendling (flûte), Friedrich Ramm (hautbois), Giovanni Punto (cor) et Georg Wenzel Ritter (basson), étaient tous des membres célèbres de l'orchestre de Mannheim, des virtuoses de l'époque

[2] La Kartoffelkrieg fut le nom donné à la guerre de sécession bavaroise, qui opposa la Bavière à la Prusse entre 1778 et 1779.

[3] Marie-Henri Beyle dit Stendhal, 1783–1842, septembre 1816

[4] Nous venions de la retrouver au Carmen Würth Forum le 24 mai, avec Petrenko à la tête des Berliner et Wenzel Fuchs dans le concerto pour clarinette KV 622.

 

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Paolo Malaspina
Paolo Malaspina est né en 1974 e fréquente le monde de l’opéra depuis 1989. Il pris des cours privés de chant lyrique et d’histoire de la musique, en parallèle avec des études en ingénierie chimique. Il obtient son diplôme en 1999 auprès de l’Ecole polytechnique de Turin avec une thèse réalisée en collaboration avec l’Ecole Nationale Supérieure de Chimie de Toulouse. Ses intérêts en matière musicale s’orientent vers le XIXème et XXème siècles, avec une attention particulière à l’histoire de la technique vocale et de l’interprétation de l’opéra italien et allemand du XIXème.

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