À l'affiche, pas de musique rare ni de nouveautés absolues. Des titres du grand répertoire, tirés de Wagner et Richard Strauss, pour un programme éprouvé, que Gatti a déjà proposé ces dernières années avec d'autres orchestres et dans des salles prestigieuses. Mais l'interprétation que le chef milanais a donnée, et le sommet atteint en symbiose avec l'Orchestra di Santa Cecilia, sont de ceux qui ne s'oublient pas. Il n'y a pas besoin de beaucoup de mots. Que faut-il souligner ? Le dessin d'un prisme parfait, qui a placé à chaque facette une brique d'un édifice qui a irrésistiblement cloué le public à son siège.
Dans la première partie de la soirée, la suite symphonique du Götterdämmerung (Le Crépuscule des dieux) de Richard Wagner, suite qui réunit L'Aube et le Voyage de Siegfried sur le Rhin et La Marche funèbre de Siegfried. Et c'est une interprétation qui captive, possède, pénètre profondément l'auditeur. Car le sens de cette musique, le souffle, le phrasé, la texture sonore, sont ici raffinés dans un tour de main d'une qualité supérieure, et enveloppent l'oreille et l'âme dans une dimension captivante. La sensation qui prévaut est que la direction de Gatti fait littéralement chanter autant la musique que l'orchestre, dans une éloquence envoûtante, différente – et cela apparaît déjà fascinant en soi – de celle qu'il déploie lorsqu'il dirige un opéra. Il obtient ainsi des contributions exceptionnelles, comme le prouve le « solo » de Guglielmo Pellarin, extraordinaire premier cor. Une véritable pensée symphonique au premier plan ! Comme ce sera le cas pour le titre straussien suivant, la baguette milanaise ne raconte pas ici une histoire, mais met en avant la perfection en soi de l'édifice sonore. C'est un chef qui laisse jouer, donnant satisfaction aux excellents musiciens de l'Orchestre. C'est aussi pour cette raison qu'à la fin, celui-ci lui réserve une ovation.
Dans la deuxième partie du programme, en déroulant les six sections qui composent Ein Heldenleben (Une vie de héros) de Richard Strauss, dès l'épisode qui présente le protagoniste, la baguette de Gatti dessine un profil riche en clair-obscur. C'est un parcours qui conjugue avec soin le caractère vital et résolu du personnage avec sa créativité. Le changement d'atmosphère du deuxième morceau, celui des adversaires ennuyeux dans leur mesquinerie, est bien marqué, et l'excellence des bois de Santa Cecilia est soulignée par le relief plastique de la concertation. Dans le morceau suivant, dédié à la compagne du héros, la direction de Gatti trouve un partenaire d'exception en Carlo Maria Parazzoli, premier violon et protagoniste d'un long « solo », étonnant par la beauté sonore, tout en rondeur et en chant, et par l'éloquence de son phrasé. Les cuivres et les percussions sont appelés à caractériser le passage suivant, qui trouve dans le dosage du chef milanais l'équilibre le plus approprié, avant de laisser place à la série de citations straussiennes autoréférentielles qui caractérisent le moment suivant. Le chapitre final est également suggestif, où les tons pastels que Gatti obtient scellent avec une efficacité évocatrice remarquable les couleurs et la transparence de la partition. Cela a déjà été dit : enthousiasme ouvert dans les longs applaudissements finaux.