
Vienne-Paris
Le décor comme souvent chez Warlikowski, s’impose au spectateur pendant qu’il s’installe, à rideau ouvert. Il s’agit d’un théâtre, avec son balcon, fortement inspiré du Studio des Champs Élysées, construit sur un dessin de Louis Jouvet en 1923. C’est donc non seulement le théâtre qui s’impose visuellement, mais aussi la mémoire du lieu, les strates qui ont fait de l’ensemble Théâtre des Champs-Élysées (1913), Comédie des Champs-Élysées (1913 également) et le Studio (1923), une sorte de Cité du théâtre et surtout à l’époque de la modernité théâtrale.

Warlikowski sait que si 1911 est la création de Rosenkavalier à Dresde, 1913 est l’inauguration du Théâtre des Champs-Élysées, ce théâtre de la modernité avec son architecture d’Auguste Perret, ses bas-reliefs de Bourdelle en façade, sa coupole de Maurice Denis et ses Lalique. C’est enfin le théâtre qui à peine deux mois après son ouverture, connaît son premier scandale avec le Sacre du printemps, de Stravinski dirigé par Pierre Monteux et qui devait justement créer dans la foulée Der Rosenkavalier, ce qui ne put se faire. Quelques années après (la Première guerre mondiale est passée), Jacques Hébertot en fait un immense foyer artistique, au début des années 1920.
Par ailleurs, Der Rosenkavalier est finalement créé à l’Opéra de Paris en février 1927 pendant ces années 1920 si agitées au niveau artistique, si ouvertes au niveau des mœurs, et l’autre aspect du décor fait directement allusion à la Maison de Verre, ce projet construit entre 1928 et 1931 de l’architecte Pierre Chareau, rue Saint Guillaume dans le 7e arrondissement de Paris, tout en transparence, qui fut entre autres un salon très fréquenté à l’époque par l’élite intellectuelle « progressiste », entre autres Max Jacob, Louis Aragon, Paul Eluard, Jean Cocteau, Pablo Picasso et Walter Benjamin.

Krzysztof Warlikowski navigue entre ces pôles, qui sont des pôles parisiens : il opère une translation entre une Vienne rêvée, et mythique, une Vienne impériale de l’époque de l’apocalypse joyeuse (François-Joseph) qui se réfère à l’âge d’or (Marie-Thérèse) d’un XVIIIe mythifié par un XXe qui débute par une Vienne au soir de l’Empire, puis une guerre qui fut un charnier et aussitôt après un Paris artistiquement effervescent où tout est possible, dans ce théâtre même où dansa aussi dans la Revue nègre Joséphine Baker débutante très déshabillée… suscitant le mépris raciste d’un Robert de Flers et la fascination d’un Cocteau ou d’un Picasso.
Warlikowski veut d’abord imposer un Rosenkavalier qui soit Chevalier à la rose dans un Paris qui chante et danse, au milieu d’une humanité bigarrée qui est celle de la comédie et du Music-Hall, dans le plus emblématique des théâtres de l’époque de la création, sur une scène où le décor se partage entre le public, le théâtre où tout est donné à voir en représentation, mais où tout est illusion est faux-semblant, et le privé, cette maison de verre, où tout est donné à voir aussi, et où tout cherche à être vrai, où tout est intimité, d’où cette présence du lavabo, lieu de l’intime par excellence que tout le monde prend pour une signature warlikowskienne obligée, un clin d’œil au spectateur, et qui, ici prend un sens renouvelé et indispensable.
Sans le savoir ou en le sachant, Warlikowski donne de cet Hofmannsthal une couleur Marivaux, jeu de faux-semblants où les sentiments jouent à se cacher jusqu’à ce que le vrai explose et emporte tout. Warlikowski le polonais fait du plus viennois des opéras une comédie française… et n’oublions pas d’ailleurs que la « pochade viennoise » qu’on croit est en réalité inspirée d’un roman français qui fit fortune à la fin du XVIIIe, Les Amours du chevalier de Faublas, de Jean-Baptiste Louvet (de Couvray), publié entre 1787 et 1790, là encore un roman qui paraît à la veille d’une apocalypse, la révolution française.
Un premier acte qui pose tous les contextes

Alors il joue dès l’ouverture, en projetant en vidéo cette scène intime de la Maréchale et du chevalier tendrement enlacés, mais sans aucun signe visible de Maréchale ni aucun signe visible de Chevalier, ce sont deux femmes tendrement consacrées l’une à l’autre, l’une plus mûre, et l’autre moins, une scène clairement lesbienne. Et l’on comprend immédiatement le signe qui après trois heures, se retrouvera dans le duo final, où merveilleusement tendre, Sophie ôte la perruque d’Octavian et coiffe alors ses cheveux féminins.
Entre les deux, Warlikowski joue avec les nerfs des spectateurs plus conformistes et traditionnels en leur projetant des extraits du film Der Rosenkavalier de Robert Wiene (1925) qui efface toute ambiguïté puisque Octavian y est interprété par un homme, le comédien français Jaque-Catelain dans des décors d’Alfred Roller, entre robes à paniers et perruques poudrées, tout ce qu’ils attendaient comme d’habitude et qu’ils n’auront pas. Mais il laisse aussi défiler la comédie, avec ses scènes habituelles, mais revues et corrigées, ou déviées, avec un sens incroyable des raffinements du théâtre et surtout, cherchant à chaque détour à révéler les sens cachés, les sens à peine cachés de la comédie d’Hofmannsthal, qui ne l’oublions jamais est au-delà d’un livret d’opéra aussi une pièce de théâtre.
C’est donc de théâtre qu’il va s’agir, c’est-à-dire d’une révélation par les masques et les faux semblants. Et toute l’habileté du metteur en scène et de son équipe au premier rang de laquelle Malgorzata Szczęśniak qui y contribue par la structure du décor et les costumes comme toujours justes et étudiés, va consister à nous faire errer sans cesse entre être et apparence, d’un coin à l’autre de la caverne platonicienne avec ses ombres et ses lumières (de Felice Ross, comme toujours). Où est l’être ? où est l’apparence ? qu’est-ce qu’être en représentation ? sont des questions qui nous apparaissent ici fondatrices de ce spectacle complexe profondément théâtral et qui apparaît aussi bizarrement linéaire, dans la mesure où l’on reconnaît clairement la trame traditionnelle auquel le public traditionnel est habitué mais qui en même temps y perd ses repères : pourquoi ces caméras, pourquoi ces gens qui dansent et qui viennent troubler ma quiétude de spectateur, pourquoi ça bouge tant et pourquoi me fait-on perdre mes repères, des repères que pourtant je ne cesse, justement de repérer ? Trop de questions pour des âmes simples et consommatrices de Strauss : mieux vaut huer, le meilleur signe possible qu’on n’a pas compris, qu’on est passé à côté, ou mieux, qu’on refuse de comprendre.

Évidemment, le spectateur aime dans Der Rosenkavalier comme nous l’avons dit plus haut le XVIIIe rutilant d’une Vienne triomphante et rêvée, ses bijoux, ses moirures, son clinquant qui culmine à la présentation de la rose au deuxième acte. Rappelons la mise en scène d’Otto Schenk à Munich, où la scène jusqu’au bout des 40 ou 45 ans de reprises continuait à être applaudie à scène ouverte. Rappelons dans le même esprit l’apparition du carrosse d’argent conduit par Cupidon, comme sorti d’un dessin animé, dans la nouvelle mise en scène de Barrie Kosky qui a succédé à celle d’Otto Schenk en 2021, spectaculaire aussi dans son genre, très différent.
Pourtant, les paillettes et le clinquant ne manquent pas dans les costumes de Malgorzata Szczęśniak, mais ce ne sont pas celles qu’on espère, qu’on attend de cette œuvre qui fait tant rêver parce qu’on la croit inoffensive.
Inoffensive, la Komödie für Musik de Hofmannsthal et Strauss ?
Le réveil de la Maréchale et d’Octavian, au lit, après l’amour, rivalisant de mots doux (du bist mein Bub’, du bist mein Schatz d’un côté – tu es mon petit, tu es mon trésor ) dit la Maréchale et Octavian répond, comme Romeo chez Shakespeare ou peu s’en faut, ( Warum ist Tag, ich will nicht den Tag… Finster soll es sein ! – pourquoi le jour, je ne veux pas le jour, qu’il fasse nuit…).

Il y a dans « Bub’ » (pour Bube, le garçon) quelque chose qui va vers le polisson, le petit, le gamin on pourrait traduire par mon petit chenapan, comme un qualificatif à la fois souriant et amoureux tout en étant un peu maternel aussi… C’est qu’Octavian a dix-sept ans… au XVIIIe, où est censée se dérouler la pièce, cela peut s’admettre puisque la majorité sexuelle est assez basse (13 ou 14 ans – voir aussi les amours bien antérieures de Romeo et Juliette qui sont clairement des amours adolescentes). Mais au début du XXe, en 1911, alors que toute la culture « bourgeoise » du XIXe est passée par là, c’est déjà bien moins « admissible » … Et aujourd’hui encore moins… Pensons seulement à la fameuse affaire Gabrielle Russier, amoureuse de son élève de seize ans en 1968… et à son issue tragique… mais visiblement cela passe inaperçu pour le spectateur ordinaire du Rosenkavalier, car tout cela est si joli, si aimable et si gracieux.
Même question pour l’interprète d’Octavian. Au XVIIIe, ce type de rôle pouvait être confié à des mezzos (voir Cherubino dans Le nozze di Figaro, dont Octavian s’inspire clairement), mais le temps des mezzos travestis encore assez fréquents à l’opéra jusqu’en 1860 est passé de mode avec le Grand-Opéra, le dernier en date étant Siebel dans le Faust de Gounod (1859–1869) ou Thibault dans le Don Carlos de Verdi (1867).
Raviver une mode en ouvrant sur une scène d’amour entre une femme et un mezzo travesti, c’est à dire deux femmes, en 1911, c’est aussi assez hardi. Il est vrai que Strauss avait mis en musique six ans auparavant le sulfureux Wilde (Salome, 1905) et appréciait le parfum du scandale, mais le jeu sur le genre, d’autant plus apparent dans le fameux trio final – Warlikowski lui-même le souligne – est encore plus frappant musicalement : le duo du deuxième acte entre Octavian et Sophie étant lui aussi un des sommets des duos féminins de toute l’histoire de l’opéra. Le jeu sur le genre n’a pas été inventé ces dernières années, là non plus.
Der Rosenkavalier est donc comme on dit aujourd’hui un opéra vraiment border line : au bord de la pédophilie, au bord du lesbianisme, et avec Ochs, au bord de la prédation. Il y a de quoi frémir et pourtant le public traditionnel n’y voit goutte car tout est caché par le charme XVIIIe… qui est pourtant bien XXe… Il n’y a pires sourds que ceux qui ne veulent pas entendre. Sans compter le père Faninal, qui vend sa fille à un noble pour se faire une lignée, une sorte de Daland qui vendrait sa Senta… Du beau monde, on vous le dit…
Et Warlikowski, « impitoyablement » va jouer les révélateurs de cet univers en plongeant cette Vienne mythique dans une « Vie parisienne » moins policée en levant les apparences, en jouant sur elles, et sur l’univers du théâtre. Fasciné par l’histoire du Théâtre des Champs-Élysées, il va nous servir un Chevalier à la Rose en sauce élyséenne, une sauce complexe, raffinée, intelligente et comme toujours abyssale dont les éléments structurants se révèlent au premier acte
Dans cette production, la présence de la danse est particulièrement importante, sous l’impulsion de Claude Bardouil. Mais elle l’est aussi dans l’œuvre originale avec la fameuse valse chantée par le baron (Mit mir…). La danse, c’est le premier ingrédient de la sauce élyséenne, parce que le Théâtre des Champs-Élysées a ouvert sur la danse, sur le Sacre du printemps, et qu’il a continué ensuite avec les ballets suédois financés par Rolf de Maré, qui finira par faire de la grande salle un Music-Hall… Alors autour des personnages qui chantent, un certain nombre d’autres dansent, muets, mais fort présents, à commencer par Mohammed, le serviteur de la maréchale dont ces dernières années on a adapté ou élagué l’intervention finale habituelle (ramassage du mouchoir) parce que l’enfant qui le jouait était grimé en noir, blackface… blackboulé. Bien évidemment dans la trame originale, la présence du jeune Mohammed était une allusion à la mode du temps, d’avoir à son service des « tranches d’exotisme », des petits noirs importés des colonies et qui servaient dans les grandes familles, attestant ainsi qu’elles étaient vraiment grandes et riches, un résidu gracieux d’esclavagisme. Aujourd’hui, et surtout ces dernières années c’est difficile à accepter et alors Warlikowski propose un Mohammed adulte, transgenre, la danseuse Danielle Gabou, particulièrement attachée à sa maîtresse qu’elle suit comme une ombre protectrice.
Même solution pour Leopold, le serviteur de Ochs, qui est aussi son fils naturel, lui aussi un peu « banlieue fanfreluchée », le danseur de breakdance étonnant Djeff Tilus, sans oublier enfin Sean Patrick Mombruno, Hippolyte le coiffeur qui virevolte également lors du film tourné autour du chanteur italien. Danielle Gabou, Djeff Tilus, Sean Patrick Mombruno sont des performeurs noirs : au premier degré, cela affiche dans cet opéra très « blanc » la présence de la diversité, comme une concession aux exigences de notre temps en y ajoutant un jeu discret sur le genre mais aussi faisant des trois des serviteurs des maîtres blancs… Cela signifierait : Warlikowski sacrifie à la bienpensance des temps.
Si c’était seulement cela ce serait un peu pauvre… ce serait oublier que dans les années 1920 au Théâtre des Champs-Élysées Rolf de Maré a monté la « revue nègre » (nous l’avons évoqué plus haut) avec comme vedette la toute jeune Joséphine Baker qui en faisant remuer tout son corps et ses formes, fit remuer Paris. Nouvelle strate liée à cette salle…
Warlikowski construit des strates mémorielles autour de ce théâtre, faisant de son Chevalier à la rose, un labyrinthe de mémoire, de mémoires, de tout ce que ce théâtre a proposé ou produit et l’apparente concession à la diversité (lecture XXIe siècle bienpensante) est en fait une évocation mémorielle, une inscription de plus dans les racines historiques et artistiques du lieu.
Tout cela se met en place au premier acte qui est mise en place des contextes en même temps que mise en place du discours sur la trame, un premier acte qui laisse voir l’intimité et le lavabo devant lequel on se regarde, mais au premier plan dans un décor de la « Maison de verre » où tout est transparence, mais aussi en arrière-plan les tables à maquillage où l’on se prépare à la représentation et un vestiaire où l’on accroche ses affaires et où l’on attend d’intervenir : on est toujours entre l’intime et la représentation, mais tout est construit de manière millimétrée en allusion au lieu, à l’époque, aux modes de l’époque en jouant habilement évidemment sur nos modes d’aujourd’hui.
Ainsi des échanges entre la Maréchale et Octavian, devant une caméra, comme donnés à voir à l’instar d’une Kim Kardashian des familles …
Ainsi de l’épisode du chanteur italien, qui se déroule dans l’espace de la Maréchale, transformé en studio de tournage pendant qu’autour de la table voisine Ochs règle ses comptes avec le notaire avec une Mariandl-Octavian qui évidemment en rajoute sur le jeu des genres, déjà chez Mozart, et évidemment chez Strauss et Hofmannsthal, la femme jouant un homme devant jouer une femme aux gestes gauches et légèrement masculins, mais suffisamment féminine pour séduire Ochs… on s’y perd.

Le texte de l’air du chanteur italien est emprunté à Lully/Molière dans Le Bourgeois gentilhomme une œuvre qui intéresse tant Strauss qu’il en tirera l’idée d’Ariadne auf Naxos, et Strauss compose une musique fortement ténorisante pour ténor italien. Warlikowski demande à Francesco Demuro, excellent, d’appuyer et d’en exagérer les contours pour éviter toute élégance, et renforcer la caricature que sera la scène en question. Construisant une scène de film, il scénarise la scène (cinéma dans le théâtre dans l’opéra) et place la Maréchale étendue sur son lit recevant les assauts vigoureux de ce chanteur à contre ut en peignoir de sport et en slip, exhibant ses avantages musculeux. Difficile dans ces conditions de chanter « élégamment » un air italien délicat et raffiné. Là encore, on est dans la représentation de la représentation…
Alors m’est venu – est-ce saugrenu ?- que quasiment contemporain du film Der Rosenkavalier de Robert Wiene (fin 1925) sort en 1926 un film légendaire, Le fils du Cheik, avec le plus grand latin-lover de tous les temps cinématographiques, Rudolph Valentino. Ce tournage caricatural avec une maréchale offerte et ce latin-lover agrippé à son lit chantant un air italien débridé (mais techniquement bien contrôlé) m’a renvoyé à des images de ce film, signalant encore ce qui se faisait dans ces années-là, référence évidente pour moi, mais aussi l’idée d’une Maréchale en star de cinéma (ou aujourd’hui star des réseaux), ce qui n’est pas si éloigné de la réalité.
Pour casser le souvenir d’un baroque vaguement lullyste et surtout maniéré, Warlikowski opère une translation qui n'a rien de gratuit, faisant du chanteur italien un Rudolph Valentino (mâtiné de Rocky Balboa, encore un italien) tout en muscles … C’est à la fois un peu gonflé, et très juste dans le contexte, on pourrait dire « enfin un homme un vrai ! » dans ce monde aussi peu genré et il y a là une ironie cinglante de montrer une boule de muscles « mâles » assaillir (ou saillir) la femme, alors qu’on a vu au tout début les deux femmes s’enlacer amoureusement : derrière la comédie et le jeu, défilent l’imagerie de notre époque avec ses débats, ses ébats, ses multipolarités et ses contradictions.
La Maréchale est aussi en représentation, et d’une certaine manière en représentation dans tout ce début ce début de premier acte où elle s’offrait dans son lit à son Bub’ chéri en déshabillé noir un peu ajouré et désormais dans une robe années 1920… C’est aussi laisser à la Maréchale un vaste champ d’expériences diverses…
Mais la scène décline aussi la représentation du chanteur italien… et là, l’éventail est large… car tous les ténors d’opéra italien sont un peu des « latin-lover », on rejoint là la caricature qu’en fait Strauss lui-même.
Mais la scène, qu’Hippolyte reprend avec un smartphone, fait aussi référence aux influenceuses d’aujourd’hui qui se filment dans leur intimité et toute la scène du réveil doit aussi être lue à cette aune-là . Comment traduire cette comédie plus que séculaire désormais avec un œil contemporain ? En superposant les références et les époques, tout en donnant cohérence à l’ensemble : exercice d’équilibriste virtuose auquel se livre avec brio Krzysztof Warlikowski multipliant les regards, les lieux divers en un seul espace et les niveaux de lecture.
Enfin ultime hommage au lieu, dans ce premier acte dont la lecture est un millefeuille, ou mieux, un puzzle étonnant, l’ultime habit de la maréchale, sa robe aux couleurs pastel qui rappellent un peu les couleurs du plafond de Maurice Denis dans la grande salle du TCE. Jusqu’au va se nicher l’hommage au Théâtre des Champs-Élysées.
Nous sommes donc bien au cœur d’un système de représentations. Mais au-delà de ce non-dit qui nous est clairement dit : attachement au lieu, enracinement parisien, travail sur les strates du théâtre et des arts de l’époque notamment la danse qui a tant marqué les débuts de cette salle, qu’on peut résumer par un soin tout particulier à installer un contexte, il faut bien aussi gérer la trame qui dans la comédie, demande détails, précision et très grande fidélité. Il est toujours difficile de rendre la comédie « abstraite » car elle dépend d’objets, de recoins, de quiproquos, de déguisements. Et Warlikowski procède très délicatement, avec un vrai raffinement, laissant le spectateur deviner, sans jamais asséner, mais en n’omettant rien de tout ce qu’il faut, des objets nécessaires pour faire avancer l’action.
Rappelons ce que nous disons plus haut de cette vidéo initiale (signée Kamil Polak) de la maréchale et de cet Octavian, mêlant leurs cheveux dans des mignardises amoureuses fortement homosexualisées. Certes, cette vision nous indique comme un signe ce que sera l’un des jeux forts de la représentation, le jeu sur le genre, et sur les amours homosexuelles, que Hofmannsthal a connues dans sa jeunesse, comme le rappelle Warlikowski dans le programme de salle.
Et pourtant, entre la vidéo de Kamil Polak, très naturelle, avec ses jeux de chevelures emmêlées et le réveil de la Maréchale au début de l’acte on trouve de singulières différences. La première étant : pas de chevelures emmêlées sur le théâtre, mais des perruques, aussi bien chez la Maréchale que chez Octavian.
Il n’y a pas non plus d’ébats ou de fin d’ébats comme ceux très insistants de la mise en scène de Kosky. Warlikowski refuse la vision habituelle de ce lever érotico- (peu)ambigu. La Maréchale dort dans son lit, seule, et Octavian tout habillé la contemple, comme s’il surgissait, en voyeur (un peu comme surgit par la fenêtre l’Octavian du film de Robert Wiene). Il la contemple, et semble méditer.
Par ce début qui renvoie l’érotisme à la vidéo (devenue presque un rêve, une évocation passée) déjà Warlikowski très subtilement instille l’idée de séparation. Il nous dit : « ce début est une fin ». Et déjà, avant même que tout commence, Warlikowski laisse entendre toute la suite de l’histoire, qui est histoire de séparation, de renonciation mais en même temps d’une vie qui continue malgré tout. Déjà dans ce réveil « séparé », il y a nostalgie, presque mélancolie. Mais contrairement à ce qu’on admet habituellement (c’est la Maréchale qui renonce), l’attitude méditative d’Octavian, déjà prêt, déjà habillé nous dit que l’idée de séparation germe aussi en lui, consciemment ou inconsciemment. Tout va donc consister à mettre en scène cette séparation, qui est tout l’objet de l’opéra de Strauss et d’Hofmannsthal. Comment bien finir ?
En refusant la vision traditionnelle du réveil dans le lit, le plus souvent monumental dans les mises en scène traditionnelles, planté au milieu de la scène et suffisamment défait pour montrer la forte activité de la nuit passée, il nous montre un petit lit, une sorte de canapé quasi monoplace, où la Maréchale dort comme un loir.

Une maréchale totalement différente de la vidéo, femme mûre et épanouie, heureuse dans la vidéo, mais sur le théâtre flanquée d’une perruque, cheveux blonds-blancs, comme ces coiffures de femmes déjà mûres qui cherchent à s’adapter aux premiers signes de vieillissement, une vraie coiffure pour femme mûre (ce qui est une manière de dire vieille), comme elle va dire à son coiffeur « Mein lieber Hippolyte, heute haben Sie ein altes Weib aus mir gemacht » (Mon cher Hippolyte, aujourd’hui vous avez fait de moi une vieille femme).
La question de l’âge est aussi posée par l’œuvre : Ochs, Faninal, la Maréchale apparaissent d’une génération et Sophie et Octavian d’une autre. Mais les premiers sont-ils vieux ? Sophie n'a pas plus qu’une quinzaine d’années, et Leopold n’est pas bien vieux. Les « vieux » peuvent être des quadragénaires un peu avancés, et la Maréchale est probablement une trentenaire un peu tardive. Ils n’ont rien des Bartolo-Marcellina de Nozze di Figaro au moins apparemment.
Ochs, ces dernières années, depuis la mise en scène de Kupfer à Salzbourg puis à la Scala, mais aussi dans celle de Kosky à Munich n’est plus systématiquement vu comme un hobereau adipeux, vulgaire et sans vergogne. Les Ochs de ces productions affichaient une relative jeunesse, une relative élégance, mais simplement en décalage avec les habitudes de la grande ville, ce sont des aristocrates de la campagne, plus directs, moins au fait des usages policés de la cour et de ses alentours.
Le Ochs de Warlikowski, interprété par Peter Rose, est même en habit « moderne » (costume trois pièces et gros œillet à la boutonnière) plus proche des Ochs traditionnels de la comédie traditionnelle de Strauss. Remettez-le en habits XVIIIe et vous retrouvez le Ochs de toujours, vaguement bovin, vulgaire et sans éducation. La seule question est de savoir si c’est Peter Rose, rompu à ces Ochs traditionnels depuis une vingtaine d’années qui en a imposé l’image ou si Warlikowski le voit ainsi.
Mais toutes les figures de Ochs affichent une même vision du monde, très conservatrice, où l’aristocrate de campagne est encore un « sujet » entouré « d’objets » que sont les femmes, mais aussi tous ceux qui ne sont pas des gens « de qualité » dirait Molière. Pour Ochs, aristocrate ruiné, Faninal est un « objet » de négociations, pour capter la dot de la fille, autre « objet » qu’on va lui livrer avec l’argent qui va avec. Quelle que soit la richesse de Faninal, il est un ennobli, un noble de papier et non de naissance, et donc ne vaut que par son poids d’or, comme n’importe quel objet. Or, pour un aristocrate, l’or ne compte pas, seul le sang signifie la noblesse.
De l’autre côté, Faninal, et sa fille Sophie, ont à l’inverse à cœur d’intégrer la société que l’ennoblissement ouvre, d’où la scène entre Octavian et Sophie sur l’ouvrage de généalogie où l’on s’appelle « mon cousin ». Ils sont pour Ochs « quelque chose », ils veulent devenir « quelqu’un ». Ochs, quelle que soit sa nature, fringant quadra ou vieux barbon, n’a aucune considération pour ces gens, qui n’existent que parce qu’ils apportent et non par ce qu’ils sont. Quant à Faninal, inspiré dit-on d’un banquier juif ennobli (rappelons que le grand-père de Hofmannsthal, juif s’est converti au catholicisme), il vend sa fille pour faire rentrer sa famille dans celle d’un aristocrate authentique, même le plus bouseux soit-il. Et Sophie suit le père dans le labyrinthe généalogique nouveau quis ‘ouvre à elle.
En ce sens, Sophie amoureuse d’Octavian Comte Rofrano aristocrate de vieille souche va de la même manière contenter Faninal, Hofmannsthal l’aristocrate fait à la fin de l’œuvre en sorte que l’ordre aristocrate du monde soit respecté.
Ochs (mais aussi au deuxième acte ses valets et son entourage) se comporte comme un aimable consommateur de tendrons, que ce soit Mariandl au premier et au dernier acte que Sophie au deuxième : la morale sociale est sauve où un homme plus mûr peut lutiner la tendre chair, ce qui est interdit à la femme plus mûre, d’où le secret dont la Maréchale enveloppe sa relation à Octavian au-delà de la question adultérine.
Et si l’on se rapporte aux pratiques du XVIIIe et plus généralement d’ancien régime, Le nozze di Figaro nous montrent un Conte bien intéressé par les tendrons du voisinage, Barbarina par exemple, et Susanna au nom du vieux « droit de cuissage », qu’il vient d’abolir.. ; mais montre aussi une Contessa qui n’est pas indifférente au charme d’un Cherubino ado débordant d’hormones, qu’on va aussi déguiser en femme etc… Tout est déjà en germe dans Mozart, un Mozart moins sucré que la tradition veut bien le dire. Et donc ce Rosenkavalier l’est aussi bien moins que tous les ors et stucs dont on l’a recouvert. La seule preuve que la première scène « choquait » déjà à la création, c’est que les directeurs de théâtre voulaient une Maréchale non pas alanguie au lit, mais déjà debout. D’une certaine manière, Warlikowski montrant une maréchale endormie et un Octavian tout habillé au réveil respecte ironiquement la bienséance originelle demandée.
Le début de la fin
Mais le discours est autre. Nous avons souligné l’impression que ce début communique, en contraste avec l’insouciance affichée dans la vidéo initiale. Mélancolie, nostalgie, impression que quelque chose est en train de basculer. Ce que Warlikowski met en scène c’est le début d’une fin, et en quelque sorte il reste conforme à l’esprit de l’œuvre, le dernier opéra de Strauss avant la Grande Guerre, l’évocation d’une Vienne idéale où tous les jeux sont possibles, et d’une Vienne supplantée par Paris qui chante et qui surtout danse, dans ce théâtre des Champs Élysées, foyer de créations scéniques de tous ordres. Quelque chose finit et quelque chose naît, quelque chose bascule, dans le Monde comme dans les têtes, et du coup, Maréchale, Octavian, Ochs apparaissent hors sol.
Il y a quelque chose de cette fin dans Der Rosenkavalier, comme la vision d’un monde qu’on retient coûte que coûte et qui irrémédiablement s’en va (ce que Kupfer dans sa production montrait bien en projetant des photos de la Vienne impériale de François-Joseph) : alors, il est nécessaire de marquer cette fin, la mettre en scène et en espace, la mettre en théâtre.

L’impression de mélancolie initiale d’un Octavian un peu perdu dans ses pensées est partagée par la Maréchale, qui après les jeux initiaux et les petits mots doux, se retrouve devant Ochs, un baron qu’elle méprise, certes, mais qui appartient à son monde et à sa génération. Et devant ses regards envers Mariandl-Octavian dont nous avons souligné l’ambiguïté, elle prend le risque de mettre Octavian dans les pattes de Ochs et sous le regard de cette jeune Sophie qu’elle ne connaît pas, mais qui par l’âge correspond à Octavian. Bravade ? Goût du risque et de tout perdre ? Certitude de se le garder ? Ou bien plutôt manière élégante de passer la main ? J’opte pour cette dernière solution, simplement parce que ce début a sonné dans ma tête de spectateur comme anticipant une fin probable. Rien de dramatique, la vie continuera, mais un moment et une époque sont révolus.

Alors Warlikowski met en scène une mise en scène. Tous les personnages sont là, dans ce réveil « officiel » et « public » de la Maréchale, tous ceux qui vont jouer une rôle par la suite et notamment dans le jeu de dupes qui va piéger Ochs : Leopold, Hippolyte, et Mohammed, qui sont comme des ombres portées et dansantes des personnages principaux, Annina et Valzacchi, les outils, ceux qui vont gérer la « farce » (« Eine Farse » dira la maréchale au troisième acte) la victime, Ochs, et l’acteur, Octavian en Mariandl qu’il retrouvera au troisième acte, et dans son habit d’Octavian du deuxième, c’est-à-dire dans tous les rôles exigés de lui. Ils sont tous là, dans ce décor où l’on joue déjà un rituel théâtral, celui du réveil, entre intimité et public, avec les tables à maquillage avant d’entrer en scène, et les porte-manteaux du vestiaire, et les interventions des personnages comme des numéros de Music-Hall. Hofmannsthal imaginait le réveil d’une femme puissante, avec son défilé de solliciteurs, un peu calqué sur le réveil royal versaillais. Warlikowski s’empare du motif pour mettre en place les pions, qui pourraient être les pions d’une Maréchale metteuse en scène, avec 1- le réveil privé et Ochs en privé, 2- le réveil public avec ses numéros, 3- le monologue fameux où la Maréchale « découvre » – ou fait mine de découvrir- son âge et 4- la rupture, car c’en est une, avec Octavian. Mettre en scène la fin de son amour, c’est en même temps en atténuer la souffrance, prendre de la distance : cette Maréchale des Champs-Élysées serait presque brechtienne (ça tombe bien, les années 1920, c’est déjà l’époque…).
Est-ce théâtre dans le théâtre ?
Si l’on excepte le premier acte, le deuxième est déjà dans le livret original une mise en scène avec cette arrivée spectaculaire du Chevalier et de sa rose, et avec une confusion savamment orchestrée : le jeune chevalier apporte une rose au nom d’un tiers, mais c’est lui qui chante le duo de la Rose, et la musique ne trompe pas, c’est une musique de coup de foudre. Déjà chez Hofmannsthal l’être et l’apparence se jouent des tours, l’apparence c’est le théâtre et l’être c’est la musique ; quant au troisième acte, il n’est que mise en scène, comme l’a si bien montré Barrie Kosky dans sa production munichoise, qui structure son décor (de Rufus Didwiszus) exactement comme est structuré le décor de Malgorzata Szczęśniak, un théâtre avec balcon en arrière-plan, des rangs de siège pour spectateurs, un rideau séparateur qui ferme l’espace de premier plan où se déroule l’intrigue. Et Kosky laisse entendre que la Maréchale a tout manigancé ce troisième acte, au moins toute la première partie, la farce à Ochs.
Warlikowski va plus loin, faisant de l’ensemble des trois actes une construction de la Maréchale, qui prépare son coup au premier et dès le deuxième met en scène ce qui se passe : un signe ne trompe pas. À la fin du premier acte, pendant que la Maréchale cherche à rattraper Octavian, on voit en arrière-plan devant une table à maquillage Sophie se préparer (personne ne nous l’indique comme telle, mais on le devine) impliquant ainsi une continuité entre premier et deuxième acte, ce qui justifie aussi l’arrivée au balcon du théâtre de la Maréchale au début du deuxième acte accompagnée de Mohammed homme-femme à tout faire, factotum, confident/confidente pour surveiller la bonne exécution du plan. Nous sommes au théâtre où tout est faux parce que tout est vrai.
Deuxième et troisième actes

Ainsi de ce premier acte où tout s’est structuré accouche un deuxième acte où tout est manigancé, comme un scénario huilé dont il suffit d’une pitchenette pour déclencher l’ensemble. Sophie ne peut tomber amoureuse de Ochs, mais dans la morale aristocratique on ne le lui demande pas. La jeune fille doit obéir.
On retrouve les canons de la comédie moyenne, depuis Ménandre et Térence en passant par Molière, et Beaumarchais : les vieux arrangent un mariage avec un vieux que les jeunes refusent. Langage social qui est celui parlé et langage du cœur qui est celui de la musique ici. La Maréchale est parfaitement au fait des lois du genre qu’elle met en scène. Elle va littéralement livrer Sophie à Octavian, faisant en quelque sorte de Sophie son double jeune, elle va considérer cette alchimie qu’est l’amour à l’aune de ce dernier (?) amour qu’elle s’est concédé. Elle est une sorte de Don Alfonso (de Cosi fan tutte) bienveillant qui fait son expérience entomologique, mettant sous cloche les deux amoureux à l’âge où parlent les hormones. Les regardant, elle se regarde aussi au passé.
Je ne vois pas la Maréchale comme un cougar consommant du tendron hormoné dans un rapport de domination et d’éducation sexuelle, je la vois plutôt comme cherchant à travers Octavian et ses élans revivre elle-même une jeunesse perdue, revivre le vert paradis des amours adolescentes, et le Chevalier à la rose narre le moment où elle réalise que cette relation n’a pas d’avenir. Alors, « puisque ces mystères me dépassent, feignons d’en être l’organisateur » comme écrit Cocteau dans « Les mariés de la Tour Eiffel », un ballet créé en 1921… au Théâtre des Champs Élysées comme par hasard. Sans le savoir ou en le sachant, Warlikowski met en théâtre cette affirmation née dans ce théâtre même.
Ainsi après un premier acte qui structure tous les contextes et qui met en place les données, les deuxième et troisième actes appliquent le plan prévu ou supposé, et donc se déroulent en suivant scrupuleusement la trame, apparaissant plus linéaires et montrant parfaitement les ressorts de la comédie d’Hofmannsthal et Strauss, mais en en soulignant aussi les implications, à la fois pour les personnages et pour notre monde.
Warlikowski a voulu souligner l’enchainement entre premier et deuxième acte, faisant apparaître Sophie dès la fin du premier acte, comme personnage se préparant à l’entrée en scène du deuxième. Et de fait, le décor ne change pas, théâtre et son balcon, siège de spectateurs et proscenium pour le déroulement de la trame… on est exactement dans la structuration « Kosky », mais déjà au deuxième acte, et non plus seulement au troisième.

Il n’y a pas plus de réalisme ici que dans la version traditionnelle et son arrivée d’un chevalier telle un Prince Charmant, avec ce « léger » décalage que l’arrivée du Prince Charmant n’est que le prélude à l’arrivée du « vrai » Prince Charmant, en l’occurrence pas vraiment charmant. Là encore, chez Strauss et Hofmannsthal, il y a déjà du faux semblant, déjà de l’être et de l’apparence, nous l’avons déjà esquissé. Et Krzysztof Warlikowski et Malgorzata Szczęśniak ont travaillé sur les costumes, entre paillettes et couleurs de Music-Hall et références géographiques plutôt réalistes, on est aussi sur les chemins de l’être et l’apparence. D’abord, et ce dès le premier acte, les costumes d’Octavian sont « genderfluid », vaguement unisex, jean et veste mouton au premier acte, au lever de rideau, puis au deuxième acte, comme une sorte de Monsieur Loyal de cirque, couleurs, pantalon, veste multicolore vaguement arlequinée, satinée, brillante, colorée, au pantalon de la couleur des cheveux, une tenue à la fois ambiguë et en même temps aussi irréaliste et chamarrée que la tenue traditionnelle du chevalier (souvent en couleur argent et tout aussi brillant et chamarré), face à lui, une Sophie arborant une robe jaune moutarde de petite fille ayant trop grandi qu’on croirait sortie d’un film genre Mary Poppins de Walt Disney, une Sophie petite fille grande qui la renvoie à son statut d’objet de transaction, Marianne Leitmetzerin en soubrette vieillie, le majordome en costume genderfluid à la perruque qui rappelle la Maréchale du premier acte et une Annina un peu délurée… bref les genres valsent et c’est l’un des axes de cette vision.
D’un autre côté, Faninal est assez « classique », plus bavarois que viennois avec sa culotte de peau, tout comme les valets qui accueillent l’arrivée de Ochs, culotte de peau bavaroise, histoire de montrer la tradition, l’enracinement, « l’identité » dans un univers où si l’identité de genre est flottante, on essaie d’affirmer l’identité géographique, celle de la naissance, et donc celle de l’histoire. Quant à Ochs, il était au premier acte en costume gris, il apparaît au deuxième en frac gris, la différence est de degré, pas de nature : il est LUI, et cela suffit.

Alors, malgré de petites variations modernistes où Annina et Valzacchi piègent les déjà tourtereaux Sophie et Octavian sur le canapé vert avec des smartphones, et l’absence de duel réel, entre un Octavian colère et un Ochs poltron, ainsi qu’un Leopold présent et virevoltant, regard lui aussi distancié vers son père et maître, tout se déroule dans la parfaite logique du scénario de Hofmannsthal, où le deuxième acte finissant en valse prépare en réalité la farce du troisième acte, avec Annina et Valzacchi régisseurs de l’ensemble.

Le troisième acte avec ce proscenium traversé par un rideau vert rappelle directement la structure de Rufus Didwiszus vue chez Kosky, et nous rappelle en réalité que tous les troisièmes actes de toutes les mises en scène du Rosenkavalier sont des « mises en scène », avec trucages, travestissements et révélation finale.

Il s’agit d’abord de théâtre, où l’on prépare le spectacle : chez Otto Schenk, il y a des trappes et des fausses portes, comme au théâtre, et ici le théâtre dit son nom et se montre avec son rideau, ses sièges et son balcon derrière le proscenium avec l’agitation avant la mise en place de chacun et cette fois un vrai changement par rapport aux habitudes : on retrouve le lit, et dessus un Octavian-Mariandl, bien plus femme, et femme fatale que dans les représentations habituelles, où Mariandl est gauche et un peu raide. La Mariandl du premier acte était déjà très « femme », elle est ici provocante, plus « vraie » que nature, pour circonvenir Ochs, même si dans ce lit, elle apparaît vouloir y aller à reculons, malgré l’insistance de Leopold, ayant quitté son costume bleu et passé cette fois du côté des « vainqueurs ». Mariandl, devenue une « femme » telle que la rêve Ochs, s’est habillée en proie offerte au prédateur, avec un discret clin d’œil à sa multiple nature polygenrée …

Dans ce troisième acte qu’on croirait presque traditionnel dans sa première partie, un spectacle qui ridiculise Ochs sous les yeux de tous, dans la plus pure des traditions, l’apparition de la maréchale, fourrure, tailleur pantalon rouge, comme un Monsieur Loyal de luxe qui intervient pour conclure toute l’affaire, comme une Dame qui domine, avec Octavian revenu à son costume du premier acte, et Sophie qui a changé d’apparence physique, de petite fille trop grande à la Walt Disney du deuxième acte, devenue jeune fille, ne gardant de Walt Disney qu’un tee shirt Mickey. Dans cette dernière partie, elle devient adulte. C’est le moment très marivaudien où toutes les vérités vont apparaître, sans plus un seul faux semblant. Tous les masques tombent. Sophie comprend subitement les réalités de la vie, la première souffrance d’amour quand elle croit penser qu’Octavian va revenir à la Maréchale (pour aimer il faut souffrir), la Maréchale qui, ne l’oublions pas, a mis en scène sa sortie résout l’ensemble, chantant dans le trio sa renonciation comme Hans Sachs dans le quintette des Meistersinger, et c’est alors que les dernières minutes changent toute la philosophie habituelle de la fin.

Souvenons-nous, habituellement, la Maréchale sort bras-dessus bras-dessous avec Faninal, elle sort avec les vieux et va rejoindre sa génération… Ochs a été chassé, et la voilà qu’elle se chasse elle-même avec Faninal pour laisser ensemble « die jungen Leut’ » (les jeunes gens). Ici, on retrouve le décor de la Maison de Verre, le décor du privé et de l’intime, Faninal est « évacué » et la Maréchale sort, seule, pendant que Sophie et Octavian chantent leur duo et que Sophie ôte a Octavian sa perruque rousse, découvrant et coiffant ses cheveux blonds de jeune femme : on retrouve alors le sens de la vidéo initiale : deux femmes se consacrant l’une à l’autre, mais on suit alors sur l’écran la Maréchale qui retourne chez elle, elle y retrouve le Maréchal (qu’on ne voit jamais habituellement), qui l’attend, ils boivent et discutent, comme un couple bourgeois se retrouve en fin de journée. C’est la norme retrouvée, la parenthèse refermée, sans tragédie, avec ou sans suite, la Maréchale a passé le relais, elle est retournée à sa vie, avec d’autres parenthèses à ouvrir ou non, d’autres conversations avec le Maréchal. Il n’y a pas de tragédie, il y a d’abord le retour aux apparences de la vie de couple, c’est à dire le retour au désert… Une vidéo initiale ouvrait la boite de Pandore des vérités, une vidéo conclusive la ferme

En focalisant sur le couple des jeunes femmes retrouvant comme une identité ensemble, Warlikowski souligne le jeu ambigu des genres par lequel il avait ouvert passé cette fois de l’écran à la scène, comme si le théâtre disait le vrai. En refermant l’œuvre à l’écran sur la Maréchale, qui a mis en scène la fin de son histoire avec Octavian, qui semble l’avoir rangée dans sa « bibliothèque des histoires », Warlikowski montre un bel épisode qui se referme sur une vision « réaliste » cinématographique et non théâtrale, d’une banalité quotidienne et presque abstraite, presque absente. Non sans ironie : cette maréchale heureuse du début, mêlant sa chevelure à celle de sa compagne, on la retrouve un peu guindée un peu absente, dans une conversation qu’on suppose convenue avec le mari. Du bonheur naturel elle est passée au masque du couple sans amour. À suivre…
Mohammed peut alors ramasser le mouchoir… il est là le théâtre, et il a le dernier mot…

Les voix
Notons d’abord la prestation satisfaisante du chœur Unikanti et surtout de la Maîtrise des Hauts de Seine, pleine de relief au troisième acte.
On n’a pas l’habitude d’une distribution de Rosenkavalier si largement distribuée à des voix francophones, et c’était l’un des paris de Michel Franck, favorisé par les nombreux rôles à distribuer notamment les rôles de complément, essentiels comme on le sait pour la cohérence d’ensemble. Le second obstacle est aussi l’allemand mâtiné de dialecte viennois qui doit être débité avec la vivacité exigée par la comédie. Certes a priori le public parisien ne maîtrise pas de dialecte viennois, mais la couleur du texte et le rythme de l’élocution sont importants à l’opéra. Troisième obstacle et pas des moindres, Marlis Petersen, prévue comme Maréchale, a déclaré forfait, ainsi que Marina Viotti prévue quant à elle comme Octavian. Quand quelques mois avant la première les deux rôles principaux font défaut, cela ne laisse pas de poser problème dans un marché lyrique qui n’est pas élastique et où les grands théâtres bouclent leurs castings des années à l’avance.
Alors, Michel Franck a appelé Véronique Gens pour être la Maréchale, la première de sa carrière, un pari, on va le voir, réussi, et la jeune irlandaise Niamh O’Sullivan pour Octavian, doublement fidèle à la ligne qui fut toujours la sienne, l’appel à des chanteurs français d’une part, et à des jeunes d’autre part.
Et dans l’ensemble cette distribution a bien fonctionné, d’abord parce que tous se sont parfaitement intégrés au projet de Warlikowski, avec un véritable engagement, souvent plein d’humour, et une confiance résolue dans le résultat.
On saluera donc l’aubergiste de Yoann Le Lan, le majordome de Faninal de François Piolino, très à l’aise qui fait d’une pierre deux coups en interprétant aussi celui de la maréchale (un peu genderfluid lui aussi), et le commissaire de police de Florent Karrer (qui chante aussi le notaire au premier acte) un rôle plus affirmé, et ici bien tenu avec une projection nette. De même la Marianne chantée par Laurène Paternò est apparue très vive, un peu plus délurée que d’habitude, avec des aigus maîtrisés dans un rôle qui n’est pas fait pour une voix secondaire ou mineure rappelons Daniela Köhler, Brünnhilde à Bayreuth, et Marianne à Munich… Laurène Paternò s’impose et se remarque.
Le couple Annina-Valzacchi devenu dans la mise en scène aussi intrigants que papparazzi, volant çà et là des images à monnayer, est confié au très expérimenté Krešimir Špicer au débit rapide, avec un texte un peu savonné quelquefois, mais le personnage reste coloré, et à côté de lui une étonnante Eleonore Pancrazi, qui s’impose en Annina assez vamp et très délurée, montrant une très belle personnalité scénique avec une voix posée, tenue, claire et magnifiquement projetée (au troisième acte notamment). Tous ces personnages deviennent dans les mains de Warlikowski, de vrais profils, des figures d’une sorte de commedia dell’arte moderne alors qu’ils sont la plupart du temps plus pâles. Warlikowski leur donne à chacun un moment, un éclat de lumière, et c’est cela aussi le travail de comédie où les personnages plus en retrait ne sont jamais vraiment secondaires. C’est là qu’on note aussi le travail de mise en scène, qui valorise le moindre profil scénique, le moindre mouvement, – nous avons par ailleurs souligné la place éminente des rôles muets.
La prestation de Francesco Demuro en chanteur italien ne laisse pas d’étonner. Ce ténor habitué des rôles de ténor italien traditionnel dans lesquels il conduit une carrière très honorable explose dans ce bref rôle où il montre une véritable intelligence de la mise en scène qui en fait une sorte de « mâle blanc » en muscles et en slip. Il a su parfaitement saisir qu’il ne fallait pas chanter le passage avec les mignardises habituelles, mais en en exagérant les contours, la diction, les appuis, les accents pour souligner la caricature, telle que la voulaient Strauss et Hofmannsthal (mais peut-être pas dans ce genre-là). Demuro est simplement excellent parce qu’il surprend, qu’il fait quelque chose de neuf et qu’il a l’autodérision nécessaire pour se moquer de lui-même ou de l’idée de « chanteur italien », tout en ayant à la fois la voix et la maîtrise technique. Impeccable !
Si Jean-Sébastien Bou (qui fut le Don Giovanni du même Warlikowski à Bruxelles) a une voix affirmée, qui porte et qui projette bien, le style, l’émission, la couleur, les accents sont moins présents, ce qui donne à ce Faninal une sorte de vulgarité que le personnage n’a pas : il n’est pas adapté à un rôle il vrai, plus difficile qu’il n’y paraît… il faut penser qu’on l’a confié ailleurs à un génie de la scène et phrasé comme Johannes Martin Kränzle, ce qui en dit assez long…

Sophie est Regula Mühlemann, un soprano désormais bien connu et qui se trouve être la seule voix germanique de cette distribution. La voix est toujours merveilleusement colorée, fruitée, la technique est parfaitement maîtrisée et le personnage complètement dominé, mais il manque à cette Sophie la fraicheur vocale qu’elle pouvait avoir il y a quelques années. Elle n’a pas notamment dans le duo initial avec Octavian, cette couleur éthérée, à la fois légère, juvénile à la technique en même temps complètement maîtrisée qu’on peut attendre d’une Sophie. Sans remonter à Lucia Popp, Sophie pour l’éternité, une Katharina Konradi en est aujourd’hui l’incarnation. Mais il reste que l’artiste est belle, qu’on aime cette voix idéale pour Mozart, mais pour Sophie, le temps est peut-être tout juste passé , même si scéniquement elle s’empare du personnage avec beaucoup d’intelligence.

Niamh O’Sullivan a cette faculté des artistes anglo-saxons de se glisser dans un rôle et un style avec beaucoup de cran et beaucoup d’engagement, d’énergie et de fraicheur, la voix est forte, bien projetée, avec souvent les justes couleurs, mais il manque encore un phrasé qui soit impeccable (c’est déterminant dans ce rôle) et plus spécifiquement le poids des mots. La scène finale du premier acte m’est apparue notamment en deçà de ce qu’on peut attendre en la matière. Mais elle aura l’occasion de rôder le rôle et d’en affirmer les contours. Octavian est un personnage très difficile à interpréter dans toutes ses facettes, et dans ma carrière de spectateur, il y a quelques souvenirs bouleversants d’interprètes qui avaient à la fois le drame et la comédie dans la gorge, et qui réussissaient arracher des larmes, mais c’est une denrée rare.

Peter Rose a interprété depuis des années et sur toutes les scènes du monde, le baron Ochs. Il a promené ce personnage, cette diction, ces couleurs, en étant complètement inévitable dans le rôle. Je l’ai écrit plus haut, on a revu le personnage différemment depuis une dizaine d’années. Il reste qu’on entend parfaitement que Peter Rose maîtrise la moindre nuance du rôle, au point qu’on se demande s’il promène son Ochs de toujours dans cette mise en scène ou si son Ochs de toujours rencontre celui de Warlikowski. Il reste que son personnage m’est apparu plus commun, moins élaboré, mais surtout, la voix m’est apparue fatiguée, ne réussissant pas à imposer un volume, notamment face à l’orchestre, avec des difficultés à l’aigu marquées. Il est parfaitement à l’aise en scène et dans toutes les situations, mais vocalement, la voix manque de couleur, le timbre est plus mat, a perdu en relief, et donc s’il reste une vraie technique et une intelligence du texte, les moyens sont en train de fuir. C’est dommage pour lui qui fut incontestablement un des grands Ochs des années 2000.

Et puis il y a Véronique Gens : une âme qui inaugure la Maréchale.
Elle s’intègre parfaitement au rôle que lui attribue Warlikowski, se transformant peu à peu, passant de l’influenceuse chic du premier acte à la star presque cinématographique du troisième, aussi à l’aise en déshabillé noir qu’en tailleur rouge vif et rouge passion, transformée entre la perruque blonde-blanche du premier acte et celle rousse rouge (qui va si bien avec le costume) du troisième. Bref, elle épouse tous les contours du personnage et traverse l’œuvre en assumant d’être, dès qu’elle apparaît, le centre de l’attention.
Bien mieux, grâce au jeu des costumes de Małgorzata Szczęśniak, de dame plus légère, plus soucieuse de sa jeunesse rémanente au premier acte, elle apparaît au troisième une « Dame » assumée, qui tient à apparaître comme ce qu’elle est, où justement se rencontrent l’être et l’apparence, qui montre l’assurance de la décision prise : elle était une femme un peu frivole au premier acte, un peu agitée, elle devient femme puissante au troisième, et puissante parce que renonçant. Et force est de constater que Véronique Gens ici est une véritable incarnation.
La voix est puissante, assise, large, elle impressionne par la force de l’interprétation, par la maîtrise du nuancier, si essentiel dans ce rôle. Il reste peut-être encore un peu plus à travailler la clarté de la diction, mais il faut que cette Maréchale explose sur toutes les scènes, les grandes Maréchales récentes ne sont pas légion, dans un rôle de légende parce que le chant n’y suffit pas, et en voilà une qui est totalement convaincante, émouvante, magistrale à certains moments, parce qu’elle connaît le poids des mots, parce qu’elle a une épaisseur de répertoire qui lui permet ce coup de maître. La voilà projetée comme celle qui de manière lointaine succède à Régine Crespin, dernière grande maréchale française. Un avenir nouveau s’ouvre, alla grande.
L’orchestre et la direction musicale
Henrik Nánási a été entre 2012 et 2017 directeur musical de la Komische Oper de Berlin et à ce titre il sait parfaitement mettre en cohérence une direction musicale et une mise en scène quel qu’en soit le style et le rythme. Et de fait sa direction musicale ne trahit jamais le théâtre, suit tous les mouvements scéniques, en appuie les couleurs, avec un vrai sens dramatique et une certaine maîtrise des volumes laissant le plateau s’épanouir sans jamais l’étouffer. C’est un chef au répertoire large, à la culture austro-hongroise par sa formation à Budapest, et il a parfaitement mené l’Orchestre national de France, dont ce n’est pas le répertoire et qui s’en sort avec les honneurs.
Il y a dans cette direction quelque chose d’énergique, de massif, de charnu qui sans doute ne rend pas tout à fait justice au foisonnement coloriste de la partition. On aurait peut-être aimé plus de clarté plus de limpidité, plus de travail dans les détails d’une œuvre qui ne cesse jamais de surprendre. Il y a plus de théâtre que de poésie, plus de dramatique que de mélancolique, même s’il y a des moments éminemment raffinés où l’on entend la qualité des bois du national par exemple et un vrai travail sur les reflets ironiques nombreux de cette œuvre. Il reste que dans l’ensemble les prestations de la fosse et de son chef sont parfaitement en phase avec l’événement, au succès duquel il contribue largement.
Qu’un tel spectacle, si juste, si multiple, si divers et si profond ait été accueilli par une bordée de huées à la première en dit long sur les attentes du public à l’opéra, et l’incapacité à se rendre disponible pour un minimum de réflexion ou de vision. Que ce public n’ait pas vu, perçu ou ressenti combien la qualité musicale et la couleur du chant dépendait aussi de la mise en scène me fait m’écrier : Quelle misère…
N'importe, le seul regret, c’est que cette production ne puisse être reprise ailleurs pour qu’on la revoie et qu’on en approfondisse encore les contours et les recoins, et qu’elle nous fasse encore rêver et gamberger. Car c’est le propre des œuvres d’art d’en dire moins dans l’absolu que ce qu’elles nous disent dans le creux de l’oreille et ce qu’elles provoquent en nous, et c’est le propre des grandes mises en scène d’ouvrir des espaces infinis.

La dernière vidéo est beaucoup plus inquiétante, qu'il ne semble.
Le maréchal regardant fixement son épouse un peu fatiguée par sa nuit, joue névrotiquement avec son alliance. Il a compris, oubliera t'il ?
Les références vestimentaires et d attitude au monde Almodovar sont pour moi une des clés du travail de Warlikovski.
C'est un jeu des rôles. Le Chevalier à la rose n'est pas un opéra vériste… Faire comme si…
Le public du TCE est encore plus conservateur que celui de l’opéra de Paris, c’est dire !
Et est très heureux des opéras en version concert que propose à foison le TCE. Prima la musica!!
Remède à la mélancolie.
Le final du 1er acte : la danse de Leopold sur la phrase nostalgique du violon m avait saisie sans la comprendre. L esprit du lieu que vous convoquez, théâtre de la danse et revue nègre, ouvre la perspective du travail de Warlikowski. A l instar de Strauss qui convoque la Vienne de Marie-Therese pour composer la musique de son époque, il laisse les fantômes du passé affleurer pour donner l espace à une dance d aujourd hui, ne nous laissant pas confire dans une nostalige mortifère.
De même, il me semble que Warlikowski décale le travail des personnages sur un axe que je n avais vu. Le début qui est une fin, comme si Octavian se repassait le film, lui donne un aplomb et une assurance finalement plus proche de la vaillance et de la superbe que l on peut avoir à l adolescence. Dès lors la maréchale n est plus en surplomb. Et c est elle qui fait "son apprentissage" et c est son parcours que l on suit : de l insouciance et la légèreté due à l amour jusqu'à la solitude de la rupture. C est elle qui se trouve au présent. Ceci n excluant son rôle de mise en scène.
On pourrait même extrapoler qu elle est un double du metteur en scène (qui retourne à sa solitude son travail achevé) voire même du spectateur.
En tout ceci, il semble que Warlikowski résiste à la tentation du nostalgisme dans lequel le Rosenkavalier peut nous emmener, et nous bouscule dans nos habitudes.