« Tous Léger ! Avec Niki de Saint Phalle, Yves Klein, Martial Raysse, Keith Haring… ». Exposition présentée au Musée du Luxembourg, du 19 mars au 20 juillet 2025

Commissaire générale : Anne Dopffer, Directrice des musées nationaux du XXe siècle des Alpes-Maritimes ; Commissaires : Julie Guttierez, Conservatrice en chef du patrimoine, Musée national Fernand Léger, Biot ; Rébecca François, Attachée de conservation du patrimoine, Musée d’Art Moderne et d’Art Contemporain de Nice (MAMAC)

 

Vernissage presse : lundi 17 mars à 14h30

A chacun son réalisme, mais il est permis de trouver des liens entre celui de Fernand Léger (1881–1955) et celui des « Nouveaux Réalistes » dont la carrière commence vers 1955 et qui se constituent en groupe le 27 octobre 1960. C’est ce à quoi s’applique une exposition venue du Musée national Fernand Léger de Biot, s’appuyant sur sa propre collection et celle du MAMAC de Nice. 

Décidément, cette saison, les musées parisiens servent d’entrepôts de luxe à toutes les institutions fermées pour travaux. Borghèse et Berggruen ont ouvert à l’automne un bal qui se poursuit ce printemps avec une exposition organisée pour que les collections du MAMAC de Nice ne s’endorment pas dans les réserves. Inauguré en 1990, ce Musée d’art moderne et contemporain méritait sans doute une cure de jouvence, et il a fermé en janvier 2025 pour des travaux de rénovation. Lorsqu’il rouvrira, censément en 2028, son rayonnement aura été assuré par diverses manifestations, comme cella qui a d’abord été présentée, de juin 2024 à février 2025, au musée Fernand Léger de Biot sous le titre Léger et les Nouveaux Réalismes. Curieusement pour son transfert à Paris, l’exposition change de nom : le public parisien exige-t-il autre chose pour être incité à la visite ? Un titre en forme de jeu de mots, Tous Léger !, et un sous-titre en forme d’inventaire, « Avec Niki de Saint Phalle, Yves Klein, Martial Raysse, Keith Haring… » pour allécher le chaland en précisant quelle sera la marchandise offerte à sa consommation ? Qu’importe le flacon, au fond, et l’on peut se réjouir que ces œuvres conservées sous des latitudes plus ensoleillées aient fait le voyage.

Pour organiser une exposition, une recette éprouvée depuis plusieurs années consiste à rapprocher deux artistes. De préférence, deux peintres qui se sont connus et estimés (ou détestés, pourquoi pas). Parfois, ils sont distants de plusieurs siècles, et le plus récent rend hommage à son aîné. Ou bien ils appartiennent à la même période dans l’histoire de l’art, mais les plus jeunes n’ont quand même pas pu rencontrer leur illustre prédécesseur. La nouvelle exposition proposée par le Musée du Luxembourg ne s’en cache pas : Fernand Léger est mort en 1955, bien avant que les artistes qui allaient marquer les années 1960 par leur « Nouveau Réalisme », mais cette appellation doit beaucoup à Léger qui s’en revendiquait dès les années 1920. Le principe est donc de faire se côtoyer les œuvres de l’un avec les créations de tous les autres qui peuvent se rattacher à cette mouvance, tant en Europe qu’en Amérique, par le biais de rapprochements thématiques qui sont parfois le fruit d’un heureux hasard, mais qui peuvent aussi refléter une véritable communauté d’objectifs.

ILL. 1a Fernand Léger, La Danseuse bleue, 1930, huile sur toile, 146,5 cm x 114 cm, Musée national Fernand Léger, Biot © GrandPalaisRmn/Adrien Didierjean © Adagp, Paris, 2025

1b Yves Klein, Vénus bleue (La Vénus d’Alexandrie) (S 41), vers 1962, pigment pur et résine synthétique sur plâtre, 69,5 x 25 x 25 cm, Musée d’Art Moderne et d’Art Contemporain, Nice © Ville de Nice/Jean-Christophe Lett © Succession Yves Klein/ADAGP, Paris, 2025

La première salle juxtapose ainsi des œuvres dont le dialogue amuse peut-être plus qu’il ne convainc vraiment. Une Vénus bleue d’Yves Klein et la Danseuse bleue de Léger partagent-elles davantage que leur nuance d’outremer ? La Baigneuse de Léger renvoie-t-elle vraiment à La Source d’Ingres, que parodie Alain Jacquet ? Si Léger a intégré un brûleur à gaz dans ses esquisses préparatoires pour la décoration de l’usine Gaz de France à Alfortville, cela suffit-il à le rapprocher d’Yves Klein qui réalisa ses « peintures de feu » au Centre d’essais de Gaz de France ? Heureusement, le propos devient bientôt plus solide.

Dans la section « La vie des objets », on aborde une question qui est bien davantage au cœur de la création de Léger ou du Nouveau Réalisme. Le premier déclarait vouloir traiter de la même façon « un nuage, une machine, un arbre » ; les adeptes du second bouleversèrent eux aussi la hiérarchie des genres. Bien sûr, les moyens ne sont pas les mêmes : Léger introduit dans ses peintures et ses dessins l’image parfois surdimensionnée d’objets du quotidien le plus banal, juxtaposée à des motifs plus classiques (un nu, ou même la Joconde, à côté d’un trousseau de clés) là où Niki de Saint Phalle ou Daniel Spoerri utilisent les objets eux-mêmes pour des collages en trois dimensions, mais on admet volontiers la parenté entre ces différentes créations. Selon la formule de Léger reproduite sur un des murs de l’exposition, « Les réalismes varient par ce fait que l’artiste vit dans une époque différente, dans un milieu nouveau et dans un ordre de pensée générale qui domine et influence son esprit » (« Le nouveau réalisme continue », 1936). Quand Léger peint une Composition aux dominos, Niki de Saint Phalle insère des pions de Nain Jaune dans le plâtre pour son tableau-relief Plastic Circles and Rectangles : l’époque est désormais au plastique, en pleine société de consommation. Et si les « Colères » d’Arman n’ont pas d’équivalent immédiat chez Léger, qui glorifie l’ouvrier sans tuer le bourgeois, les deux artistes se rejoignent aussi dans le recours aux caractères d’imprimerie : Arman crée vers 1958 des images en utilisant des tampons encrés, Léger n’étant pas loin quand il illustre La Fin du monde illustrée par l’Ange N‑D de Blaise Cendrars en 1919.

La simplification des traits pratiquée par l’un comme par les autres autorise de tout autres rapprochements, autour de la notion de « visage-objet » : tout un ensemble de terres cuites élaborées par Léger avec la collaboration du céramiste Roland Brice est ainsi mis en relation avec une œuvre emblématique de Martial Raysse (le grand visage monochrome vert sur fond rouge de Nissa Bella) ou une sculpture de Niki de Saint Phalle (Petit témoin visage vert).

ILL. 2a Fernand Léger, Cirque, 1950, lithographie, planche extraite d’un album illustré de 63 lithographies en couleurs et en noir et blanc, 42 x 64 cm, Musée national Fernand Léger, Biot © GrandPalaisRmn/Gérard Blot © Adagp, Paris, 2025

2b Niki de Saint Phalle, Nana Santé, 1999, lithographie, 61 x 49 cm, Musée d’Art Moderne et d’Art Contemporain, Nice © Ville de Nice/Muriel Anssens © 2025 Niki Charitable Art Foundation/Adagp, Paris

L’éloge des corps inspire à Léger des représentations de cyclistes, souvent de femmes à bicyclettes – rappelons au passage que la formule « Je ne te demande pas si ta grand-mère fait du vélo », inscrite sur une des lithographies conçues pour l’album Cirque, fut employée sous sa forme interrogative par Albert Willemetz dans Trois Jeunes Filles Nues, opérette mise en musique par Raoul Moretti) – que l’exposition compare à la féminité ludique des Nanas de Niki de Saint Phalle, et c’est encore à cette artiste qu’est associé Léger dans la dernière salle, qui se penche sur les grands formats à vocation décorative. Pour Léger, il s’agit avant tout de surfaces planes, peintures murales pour le paquebot Lucania ou façade de l’église Notre-Dame-de-Toute-Grâce du plateau d’Assy, commande du père Couturier, grand partisan d’un renouveau de l’art sacré ; Niki de Saint Phalle passe en trois dimensions avec ses sculptures monumentales comme son Miles Davis haut de deux mètres soixante-dix, présenté à proximité des magnifiques Trois Musiciens, toile des années 1930 que Léger avait badigeonnée et qui, redécouverte des années plus tard, conserva une blancheur inhabituelle. Le lien de Keith Haring avec le Nouveau Réalisme est moins évident, même si l’artiste américain était un admirateur de Fernand Léger, mais il contribue à la dimension internationale du propos, assez discrète jusque-là, le prolonge au-delà des années 1960, et permet de mettre en avant une œuvre appartenant elle aussi au MAMAC.

 

Catalogue dirigé par Anne Dopffer, Julie Guttierez et Rébecca François, avec des contributions d’Ariane Coulondre, Sophie Cras, Lisa Diop, Rébecca François et Julie Guttierez ; broché, 24 x 28 cm, 200 pages, 150 illustrations, 39 euros, GrandPalaisRmnÉditions

Avatar photo
Laurent Bury
Ancien élève de l’ENS de la rue d’Ulm, auteur d’une thèse consacrée au romancier britannique Anthony Trollope (1815–1882), Laurent Bury est Professeur de langue et littérature anglaise à l’université Lumière – Lyon 2. Depuis un quart de siècle, il a traduit de nombreux ouvrages de l’anglais vers le français (Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, Orgueil et préjugés de Jane Austen, Voyage avec un âne dans les Cévennes de Stevenson, etc.) ; dans le domaine musical, on lui doit la version française du livre de Wayne Koestenbaum, The Queen’s Throat, publié en 2019 par les éditions de la Philharmonie de Paris sous le titre Anatomie de la folle lyrique. De 2011 à 2019, il fut rédacteur en chef adjoint du site forumopera.com, puis rédacteur en chef de novembre 2019 à avril 2020. Il écrit désormais des comptes rendus pour plusieurs sites spécialisés, dont Première Loge.
Crédits photo : © GrandPalaisRmn/Adrien Didierjean © Adagp, Paris, 2025
© Ville de Nice/Jean-Christophe Lett © Succession Yves Klein/ADAGP, Paris, 2025
© GrandPalaisRmn/Gérard Blot © Adagp, Paris, 2025
© Ville de Nice/Muriel Anssens © 2025 Niki Charitable Art Foundation/Adagp, Paris

Autres articles

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire !
S'il vous plaît entrez votre nom ici