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C'est Stéphane Lissner qui a eu l'idée de proposer à Calixto Bieito la mise en scène de ce Ring à l'Opéra de Paris, à l'issue des représentations du Lear d'Aribert Reimann à Garnier. Presque dix ans plus tard, il dévoile sur la scène de l'Opéra Bastille un Walhalla comme lieu du superpouvoir contemporain des mégadonnées – un immense datacenter à l'image de cette technologie qui envahit et régit nos quotidiens. Le metteur en scène puise sa référence dans la lecture de New Dark Age, un ouvrage dans lequel l'écrivain britannique James Bridle anticipe l'irrésistible émergence des données numériques comme second grand pouvoir mondial, au même titre que la possession des matières premières. Nul besoin pour lui de recourir aux stéréotypes d'une mythologie ou d'une Geste Wagnérienne testostéronée aux images et aux sensations grandiloquentes. Ce Ring se fait le récit, non pas du conflit entre les dieux et les hommes, mais bel et bien du sentiment que la disparition de Dieu produit sur l'humanité, la poussant à une fuite en avant pour s'accaparer des ressources vitales au détriment de ses propres conditions de vie. Profondément humaine et humaniste, la mise en scène de Calixto Bieito fait de l'enchevêtrement de la trame narrative un prétexte pour souligner l'aspect dérisoire et sublime de ces personnages qui nous ressemblent.
Il livre un prélude à la fois particulièrement emblématique et très prometteur. Emblématique et étonnamment lisible car il procède par la capture de l'émotion et la focalisation des affects dont il bombarde le regard. Rien d'agressif dans la démarche, juste la rage ludique, la folie adolescente et passionnelle. Un univers qui plonge ses racines dans un parfum d'heroic fantasy, une culture populaire qui fait des personnages et des dieux de Wagner des protagonistes d'une vaste bande dessinée. Et puis il y a chez Bieito la conviction que le théâtre (et surtout l'opéra) met en scène le réel et ce faisant, il augmente et surligne au point que la vraie vie paraît sous-dimensionnée ou décevante quand on la compare avec sa version théâtralisée, fantasmée autant que fantasmatique. Comment appréhender cette voix parlée du comédien qui est autre et davantage que la voix humaine, et que dire aussi de la voix chantée, avec ce corps-instrument qui doit, par la direction et le travail d'un metteur en scène, devenir lui aussi un corps acteur ou corps agissant. Rien d'étonnant à ce que l'action de ce corps traversé par le chant et le texte n'offre un spectacle chamanique, l'image d'une possession. Il y a du Artaud chez Bieito, son théâtre est un théâtre de la possession, en quelques sorte une forme d’extrême théâtralité. Comme cet exorcisme que décrit Artaud dans Le Théâtre et son double, où le théâtre est une manière de faire surgir sur scène des forces profondes et irrationnelles, souvent associées au mal. Il s’inspire notamment des rites de possession dans les cultures extra-occidentales (comme le vaudou haïtien).
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Ce Rheingold dévoile les prémices – le "Prologue" dit Wagner – qui est autant un avant-goût qu'un synopsis des péripéties à venir. Comme une cellule narratologique concentrée en deux heures trente, cette aube qui se lève contient déjà les éléments du crépuscule à venir. Et c'est tout cela que travaille Calixto Bieito en choisissant d'installer sa Tétralogie dans l'univers glauque et vicié d'un monde dominé par l'obsession d'une soif de progrès qui est aussi le désir de sa propre perte et de sa dégénérescence. Ainsi, ce bloc gigantesque signé Rebecca Ringst, un cube fait de tôles métalliques à travers lesquelles on voit ces circulations de flux de données électroniques, à la fois la mémoire de l'humanité et le cœur palpitant de son implacable activité désormais numérique et virtuelle. Cette matière violente qui envahit notre réalité est pour Bieito la conséquence d'une quête jusqu'alors cantonnée à la notion sociopolitique, rousseauiste ou proudhonnienne de la propriété. Point culminant de l'accaparement des matières premières, de la prédation des richesses et de la soumission des corps et des âmes, l'être "augmenté" et son corolaire le "transhumanisme" constitue le moderne Anneau du Nibelung. À l'égal des bouleversements de la révolution industrielle pour Chéreau ou la religion du dieu Pétrole pour Castorf, l'humanité en quête d'une version "améliorée" est pour Bieito le nouvel Eldorado, à la fois promesse d'un pouvoir infini et garantie de la chute de la civilisation. En cela, cette esthétique est plus proche d'un Harry Kupfer projetant la Tétralogie de Wagner dans une vision futuriste et dystopique, ancrée dans un monde post-apocalyptique, marqué par l’industrialisation et la destruction. D'où ce refus de romanticiser le rapport à Wagner que d'aucuns qualifieraient de "respectueux" en prônant le retour à la reconstitution et à la sacralité des toiles peintes. Son Ring (1988–1992) est intemporel et critique. Il ne situe pas l'action dans un passé mythologique, mais dans un univers intemporel où les personnages sont soumis à des forces technologiques et politiques écrasantes. Il met en avant une critique du pouvoir destructeur des idéologies et du capitalisme, dans la lignée des lectures marxistes du chef d'œuvre de Wagner. Bieito traduit visuellement la "grandeur" d'une œuvre dont la plus grande force est de convertir musicalement des images dans l'inconscient du spectateur. Il n'associe pas directement son approche à celle d'une lecture qui donnerait une morale pour notre monde moderne. Évidemment, ces décors métalliques et ces projections vidéo forment le cadre d'une société en crise et désignent le délire technocentré comme l'origine et la conséquence de notre contemporain crépuscule. La critique est chez lui sous-jacente ; elle cède à la puissance de l'album d'images qu'il nous propose de feuilleter.
Là où le travail de Castorf multiplie à l'infini un système de citations-collages, Bieito empoigne la matière théâtrale en fait du spectacle vivant une forme d'expression en devenir, parfois incomplète ou décevante, parfois percutante au point de n'en retenir que le partie émergée – que d'aucuns rejetteront illico en parlant de "provocation" ou d'esthétique "moche". En réalité, cette approche se distingue par la liberté qu'elle prend avec la grille de symboles qui structurent dramaturgiquement le récit wagnérien. Le résultat est ici davantage construit sur des images que Bieito peint affresco, c’est-à-dire "dans le frais" ou "à fresque", avec une rapidité de mouvement qui permet de tracer le motif avant que l'enduit ne le fige définitivement. D'où ce sentiment de continuum où l'urgence de l'image prévaut sur la charge de la réflexion et de l'analyse. La scène de l'Opéra Bastille n'est certainement pas idéale pour juger de ce travail qui, paradoxalement, isole les personnages les uns les autres par l'attention qu'il leur porte individuellement. Pris individuellement en effet, ils semblent flotter dans un espace visiblement trop grand (voir par exemple la scène où Alberich assène des coups de ceinture à Mime), tandis que les scènes de groupe comme celle qui précède l'arrivée de Loge, valent surtout par le travail particulier et ces caractères dont le contour expressif semble dessiné à la pointe sèche.
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Ainsi ce contraste sur les rideaux irisés qui accompagne l'accord initial de mi bémol majeur, avec ces vidéos qui promènent le regard dans une salle des coffres tandis que les trois filles du Rhin apparaissent en James Bond Girls vêtues de tenues de plongée. L'exagération des mimiques exalte un parfum léger de comic-trip et série TV dont la tonalité verse dans l'angoisse et le sadisme quand Alberich finit entre leurs bras, humilié et marqué au front avec la pointe d'un couteau par l'une d'elle. Alberich renonce à l'amour et c'est cette scène qui est plus importante en soi que le vol de l'or, relégué à l'arrière-plan et pas vraiment identifié sur le plan symbolique. Bieito souligne cette frustration du nain privé du désir et contraint à régner par vengeance et par dépit ("Der Welt Erbe gewänn' ich zu eigen durch dich ? … Verflucht sei dieser Ring!" – "L'héritage du monde, je le gagnerais grâce à toi ? … Maudit soit cet anneau !"). Bieito établit un lien direct entre ce renoncement à l'amour et le thème de la supra-humanité – ces êtres humanoïdes animés par circuits électroniques et intelligence artificielle que Alberich et son frère confectionnent dans les sous-sols du Walhalla – datacenter. La présence de cet humanoïde prénommé "Gisela" (dansé par la remarquable Juliette Morel) fait planer l'ombre des légendes romantiques et celle en particulier du ballet éponyme d'Adolphe Adam racontant comment la trahison d'Albrecht (Alberich ?) conduit Giselle à rejoindre le royaume des Willis, ces esprits des jeunes fiancées mortes avant leur mariage, condamnées à hanter la forêt et à faire danser jusqu’à la mort les hommes égarés. Obsédé par une pulsion sexuelle inassouvie, Alberich poursuit son rêve fou et prométhéen de créer une créature artificielle dévolue au désir privé d'amour. Le décor de Rebecca Ringst est ici encore d'une force et d'un impact très impressionnant, avec ces fragments de corps qui pendent sur fond d'écrans vidéo, le tout magnifié par les éclairages de Michael Bauer. On est ici à mi-chemin entre le laboratoire du Docteur Frankenstein (rappelons le titre choisi par Mary Shelley pour son roman : Frankenstein ou le Prométhée moderne (Frankenstein or The Modern Prometheus) et la tanière de la tanière de Ed Gein, tueur psychopathe ayant inspiré des films comme Psychose, Massacre à la tronçonneuse ou Le Silence des agneaux. Parmi les accessoires en or suspendus dans un coin de la pièce, le masque anthropomorphique rappelle le modèle funéraire dit "masque d'Agamemnon" mais en version art brut, tel un objet de culte primitif comme celui que porte Mime quand il pousse sur scène un chariot plein de pièces d'or. On est dans une esthétique à la croisée du Pasolini de Medea et du terrifiant "Leatherface" de Tobe Hooper. Observons également ces écrans disposés en forme de croix, tandis qu'au centre trône une vierge Marie sur laquelle Alberich pose le Tarnhelm qui n'est autre qu'un masque en latex destiné à l'androïde. Rappelons à ce propos que le prénom "Maria" est présent dans le Métropolis de Fritz Lang – film dystopique dans lequel un savant fou crée un androïde qui est le double du personnage de Maria, figure maternelle qui apaise les habitants de la ville basse. Il règne sur cette scène un parfum de culte ésotérique et de société chtonienne où se fabrique une nouvelle humanité – face cachée d'une société en déclin et retour à des racines comme l'exprimait déjà Frank Castorf dans un Götterdämmerung avec la présence en arrière-plan de référence au chamanisme et au culte vaudou.
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Calixto Bieito dessine un autre arc dramaturgique en reliant Wotan et Alberich, deux personnages principaux que le livret désigne respectivement comme "licht Alberich" et "schwarz Alberich". La mise en scène expose cette opposition symétrique à travers les couples Alberich – Gisela et Wotan – Fricka. Pour le dieu des dieux, pas de renoncement à l'amour, mais une concupiscence contagieuse qui finit par lui attirer des problèmes conjugaux… Gardienne des lois du mariage et épouse de Wotan, Fricka incarne l'ordre et la fidélité, tandis que Wotan exprime sa quête de pouvoir et de liberté. Bieito la montre en femme-cougar et manteau panthère, exhibant elle aussi une forme de frustration sexuelle qu'elle tente d'assouvir entre les bras du premier venu – et tant pis s'il s'agit de ce bellâtre de Fafner venu réclamer son dû.
Humiliation et malédiction encore, lorsque Wotan et Loge remontent du Nibelheim en traînant Alberich par l'Anneau qu'il porte autour du cou tel un épais collier métallique. Le moment de la libération ("Bin ich nun frei ? Wirklich frei ?", "Suis-je libre ? vraiment libre ?"), est également le moment de la transmission de ce symbole de soumission et d'esclavage. Wotan est cet arroseur arrosé, contraint de refiler le mistigri aux Géants… la malédiction est en route et frappera tous les propriétaires successifs de l'Anneau. Bieito ne dissimule pas ici les allusions à Buñuel, avec cette image récurrente d'un personnage qu'on humilie en le promenant en laisse (L’Âge d’or, Los Olvidados, Belle de jour ou Le Fantôme de la liberté). Cette société des dieux concentre des références à la bande dessinée et au cinéma qui en fait une galerie décalée et tragicomique, comme ce Fafner en stetson et veste à franges, Donner avec sa casquette et sa batte de baseball avec son acolyte Froh en Jim Morrison sous acide sans oublier Erda et Freia façon bohos avec bottes en caoutchouc.
Fuyant cette société où les pommes de la vie éternelle ont pourri et où les êtres sont plus proches du modèle animal que de l'humanité, Wotan accède à un pouvoir perverti par l'Anneau – une sorte de victoire dont l'amertume augure déjà du futur crépuscule. Symboliquement, Fricka lui enlève des mains la lance des traités qu'elle place dans un écrin qui renvoie à la lame servant au seppuku, suicide rituel dans le Japon médiéval et dont on lit ici une variante renvoyant au renoncement au pouvoir comme reflet de a scène initiale du renoncement à l'amour d'Alberich. Wotan entraîne Fricka dans un datacenter dont l'allure rappelle désormais une immense arche de Noé avec ce pont à bascule qu'ils gravissent péniblement avant de disparaître à l'intérieur… en attendant le déluge à venir.
L'événement était très attendu par le public lyricomane, chauffé à blanc par l'annonce des débuts de Ludovic Tézier en Wotan mais le baryton ayant dû renoncer à la dernière minute en raison d'une grippe, son remplacement par Iain Paterson a calmé les enthousiasmes. Entendu en 2016 et 2017 dans le Rheingold de Frank Castorf à Bayreuth, son Wotan n'a ni la surface ni le timbre qui pourrait faire illusion dans l'acoustique ingrate de Bastille ("Vollendet das ewige Werk"). Certes, le rôle n'a pas encore l'ampleur redoutable qu'il exige dans Walküre mais l'exigence du phrasé et du legato font déjà défaut ici, plombant son Abendlich strahlt der Sonne Auge au point de menacer toute la conclusion. À ces côtés, le Loge de Simon O'Neill, rappelle les bons souvenirs de son Parsifal parisien (2022). La couleur générale est légèrement métallique mais très claire et très nette dans les inflexions et dans les accents. Moins explicitement bouffon, il découvre progressivement les contours d'un caractère principal à travers un instrument éminemment Heldentenor. Alberich vif et contrasté, Brian Mulligan retrouve la scène de Bastille où il se distinguait il y a deux ans en Amfortas. La voix est solidement centrée dans un médium d'où jaillissent des fulgurances comme à la scène 3 quand il invective Mime et surtout dans scène 4 où il passe du désespoir au triomphe machiavélique. La prise de rôle de Ève-Maud Hubeaux en Fricka est une absolue réussite qu'on pourrait placer dans la continuité de sa géniale Gertrude dans le Hamlet mis en scène in loco par Krzysztof Warlikowski. Épouse autoritaire, elle demeure d'un bout à l'autre pleinement consciente d'un pouvoir de séduction que Bieito n'hésite pas à exacerber en la faisant apparaître dans la galerie supérieure au moment où Alberich se transforme en dragon. Son Wotan ! Gemahl ! Erwache ! donne le ton, avec une présence en scène qui se marie parfaitement à la projection et l'impact d'un timbre très dense.
Kwangchul Youn livre un Fasolt puissant mais sans la résonance et la dimension du Fafner de Mika Kares, dont la technique semble ici avoir gagné en contraste et en énergie. La courte apparition de Gerhard Siegel en Mime rappelle les qualités et l'intelligence d'un interprète maîtrisant à merveille ces emplois de caractère, avec une élégance et une précision remarquables dans l'art du phrasé. Marie-Nicole Lemieux retrouve après sa Fricka de La Monnaie un rôle d'Erda vocalement très sage et qui semble un peu à l'écart du travail de mise en scène. La Freia tendue et stridente d'Eliza Boom ne marque pas les esprits là où parmi les trois Filles du Rhin, on retient la Wellgunde sonore d'Isabel Signoret et la Flosshilde très incarnée de Katharina Magiera qui trouve en Margarita Polonskaya (Woglinde) un équilibre appréciable. Matthew Cairns fait le job en Froh, là où Florent Mbia manque de vigueur dans les redoutables Heda ! Heda ! Hedo ! qu'il chante au sommet de la structure métallique.
Franche déception en ce qui concerne la direction de Pablo Heras-Casado, dont le geste neutre et sans vrai caractère donne de la partition une lecture à l'aspect sécurisant mais qui laisse au milieu du gué. Les contrastes manquent parfois de clarté et de précision, là où la souplesse du phrasé trouve dans les cordes des appuis incertains. L'intérêt se soulève dans les musiques de transition, donnant au fracas rutilant de la descente et de la remontée du Nibelheim des raisons d'espérer. Mais les tempi s'émoussent et la concentration se disperse, occasionnant çà et là quelques trébuchements et une ligne à la couleur invariablement grise et mate.
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Bon ! diable ! Donnerwetter ! voilà une vision du Ring encensée. En tout cas ses prémices. Les jugements esthétiques sont éminemment personnels, et Wanderer étant dualité, trinité voire pluridisciplinarité il est difficile de savoir si Wanderer le père aurait partagé le point de vue du fils…ou du saint esprit. J’étais à la représentation du 8 février et personnellement je prendrais volontiers le contre-pied de la critique : une mise en scène sans intérêt et une très bonne musique.
Mise en scène…parlons-en ! J’aurais tendance à vouloir distinguer la dramaturgie (une sorte de « concept pitch ») et la direction d’acteurs. Cette division qui apparait à la fin du XXème siècle (Wagner cumulait l’ensemble, même si comme jusque Chéreau il était assisté de spécialistes, décorateurs et costumiers). J’ai donc demandé à mon Chat (français) préféré ce qu’il en pensait : en fait il m’a confirmé que le dramaturge concevait le pitch. Ici le pitch c’est « le conflit du sentiment que la disparition de Dieu produit sur l'humanité, la poussant à une fuite en avant pour accaparer des ressources vitales au détriment de ses propres conditions de vie. » Bon, peut être, mais franchement je n’ai rien vu de tout cela sur cette scène. Bien sûr le pitch Chéreau (à ma connaissance c’était lui le dramaturge : « Direktor ») c’est la naissance du capitalisme, le pitch Castorf, la saga du pétrole (avec un ancrage très Kominterm, mais pas que…), le pitch Tcherniakov, la finance et le pitch Schwartz une sitcom (type Dallas ou AGB). OK ! et alors ? j’avoue que j’aime bien le pitch Wagner, en fait les sentiments humains universels. Alors peu importent que ce soient des dieux, des bourgeois, des magnats, de riches ranch men, des geeks… je ne suis pas contre les pitch et pour tout vous dire j’ai assez aimé ceux de Castorf et surtout Tcherniakov…
Toutefois dans l’opéra, comme au théâtre, la direction d’acteurs est beaucoup fondamentale. Alors, dans la présentation de Bieito elle est très médiocre. Le seul moment intéressant est la partie de la scène 2 après l’arrivée de Loge. J’ai un peu révisé : Chéreau, Schenk (en fait je le considérais poussif mais l’éditorial récent de Wanderer a éveillé mon intérêt), Castorf et Tcherniakov, mais pas celui de Kupfer. Pour ce qui concerne Schenk c’est évidemment très traditionnel, sortie des année 1900, le jeu de S Jerusalem (Loge) est cependant très inspiré de Zednik (qui chante Mime). Bon, passons. Clairement Tcherniakov est passionnant, de même que Castorf pour Rheingold. Mais quel miracle avec Chéreau : c’est la vie même avec des tableaux inoubliables. Ces metteurs en scène peuvent utiliser des pitch mais ils ont une maitrise parfaite de la direction d’acteurs. Et au théâtre c’est ce qui est fondamental, car en général le pitch a été déjà conçu par l’auteur. Je ne peux pas oublier Wieland Wagner (je n’ai vu à Garnier que Walküre) : alors le pitch était traditionnel, le décor et les costumes intemporels (mais l’éclairage jouait un grand rôle) mais surtout la direction d’acteurs etait sublime (tempérons : le côté théâtre nô a été encore poussé plus loin par Bob Wilson, mais cela devient lassant). Mais au moins c’est une histoire de la direction d’acteurs qui passe d’une vision hiératique à une vision « vivante » (Chéreau). Rappelons la scène finale de Walküre chez ces trois metteurs en scène : Wieland avec le grand diorama de flammes et une scène vide, le mur de « l’ile des morts » (Böcklin) de Chéreau et l’infini tendresse de Tcherniakov.
La musique…et bien j’ai été tout à fait enthousiasmé. D’abord l’orchestre. J’avais beaucoup aimé le Parsifal de Heras-Casado à Bayreuth. Ici il met une vraie dynamique. Sa direction est globalement rapide, contrastée et assez violente. La durée de 2h20 est celle de Keilberth, Böhm, Boulez, mais sans la clarté des deux dernières interprétations. Je trouve que cela est proche de Keilberth 1952 que j’aime beaucoup. Toutefois il existe un problème intrinsèque à Bastille : l’orchestre est étalé devant la scène, celle-ci est très vaste et surtout très loin vers le fond : en pratique donc l’orchestre couvre les chanteurs et cela défavorise les voies basses en particulier de baryton. Phénomène évidemment qui disparait à Bayreuth en raison de l’architecture bien connue.
Dans ce cas il ne faut pas s’étonner que la voix de Iain Paterson soit couverte quand il chante « Abentlich Strahlt des Sonne Auge ». En effet il chante tourné vers le fond de la scène en escaladant des marches branlantes et en s’accrochant à une corde sur le « pont-levis » descendu de la paroi avant du méga datacenter pour pénétrer ensuite dans la machine…mais ce soir là Fricka qui doit l’accompagner a trébuché et courageusement a réussi à se hisser avant que le pont-levis ne soit relevé (non ! on n’est pas dans Pelleas), si bien qu’elle revient saluer avec un vessie de glace sur le front. J’espère pour elle que cela sera déclaré comme « accident de pitch » ! Bien, sur Iain Paterson n’est pas M Volle et W Koch, mais rien de honteux. Le reste de la distribution m’a beaucoup plu avec une mention pour S O’Neill que j’ai trouvé superbe en Loge. Quelques jours avant il a remplacé à Lyon S Skelton au pied levé dans le Chant de la Terre, mais couvert par l’orchestre (par ailleurs excellent) et je dois dire que je ne l’apprécie pas du tout en Siegfried avec Simon Rattle (CD), mais là il était excellent.
En conclusion pour moi, un bon Rheingold musical sans intérêt scénique. Mais heureusement tout cela est subjectif !