Gioachino Rossini (1792–1868)
Otello ossia il Moro di Venezia (1816)
Dramma per musica in tre atti
Libretto di Francesco Berio Di Salsa, d'après Othello, the Moor of Venice di Shakespeare (1604) et Othello ou le maure de Venise, de Jean François Ducis (1792)
Création au Teatro del Fondo (actuel Teatro Mercadante) à Naples le 4 décembre 1816.

Direction musicale : Maurizio Benini
Mise en scène : Emilio Sagi
Décors : Daniel Bianco
Costumes : Gabriela Salaverri
Lumières : Eduardo Bravo

Otello : Sergey Romanovsky / Anton Rositskiy
Desdemona : Salome Jicia
Rodrigo : Maxim Mironov
Iago : Giulio Pelligra
Lucio / Gondoliere : Pierre Derhet
Emilia : Julie Bailly
Elmiro : Luca Dall’Amico
Il Doge : Xavier Petithan

Orchestre et choeurs de l’Opéra royal de Wallonie – Liège

Liège, Première représentation à l’Opéra royal de Wallonie, dimanche 19 décembre, 15h

Un Otello de Rossini dont le Maure chante en smoking à l’avant-scène, tandis que son titulaire initial (au visage légèrement bistré, très loin de tout blackface à l’ancienne) joue le rôle sur le plateau, voilà ce que l’Opéra de Liège a été contraint de présenter ce dimanche 19 décembre, Sergey Romanovsky étant indisposé. Croisons les doigts pour qu’il soit rétabli d’ici la diffusion sur Francetvinfo.fr/culture le 23.

Giulio Pelligra (Iago), Sergey Romanovsky (Otello), Salome Jicia (Desdemona)

C’est la faute à pas de chance : pour cet Otello de Rossini, l’Opéra royal de Wallonie avait mis toutes les chances de son côté, mais un microbe – sans doute bien plus inoffensif que celui qui nous gâche l’existence depuis bientôt deux ans – en a décidé autrement, et le ténor censé interpréter le rôle-titre a dû déclarer forfait. Même si elle n’a évidemment pas eu toute la saveur qu’elle aurait dû offrir, la première représentation n’en a pas moins eu lieu, et bien lieu, grâce aux précautions prises par le théâtre liégeois.

Contrairement à celui de Verdi, revu pour la dernière fois en 2017, lors de la reprise d’une production conçue en 2011 par le regretté Stefano Mazzonis, l’Otello de Rossini n’avait encore jamais été présenté à l’Opéra royal de Wallonie (à Bruxelles, l’œuvre avait connu en 1994 ses premières représentations modernes). De fait, il faut au spectateur un certain effort pour chasser de son esprit et la pièce de Shakespeare, et son adaptation magistrale par Boito pour accueillir la version rossinienne qui, pour revenir aux sources italiennes de l’anecdote, ne s’en avère pas moins beaucoup moins forte dramatiquement. Après deux actes consacrés au triangle amoureux formé par Otello, Desdémone et Rodrigo, dans lequel Iago glisse ici et là son grain de sel, c’est au troisième acte que le livret du marquis Berio di Salsa rejoint le drame élisabéthain, avec la chanson du Saule, la prière de Desdémone et son assassinat par Otello. Musicalement, l’œuvre semble avoir également peiné à s’imposer à la postérité, en dehors d’ « Assisa al piè d’un salice », seul morceau à avoir durablement conservé une certaine popularité, même du temps où le Rossini serio était tombé dans l’oubli. Fidèle à ses habitudes, Rossini y pratique le réemploi de partitions antérieures, notamment dans l’ouverture, on entend passer un fragment de la Calomnie du Barbier, et l’auditeur familier du très apocryphe « Duo des Chats » reconnaît dans un air de Rodrigo la fin du dialogue des félins.

C’est Gianluigi Gelmetti qui aurait dû initialement diriger cette production : le maestro est décédé en août 2021, mais Maurizio Benini connaît lui aussi son Rossini sur le bout des doigts, et l’Orchestre de l’Opéra royal de Wallonie – Liège lui obéit docilement. Désormais uniformément masqué pour tenir compte des directives sanitaires, le chœur maison se montre lui aussi à la hauteur des exigences, hélas devant un public clairsemé, depuis que le gouvernement belge a imposé le nombre arbitraire de deux cents spectateurs dans une salle qui pourrait en accueillir cinq fois plus.

Maxim Mironov (Rodrigo), Julie Bailly (Emilia), Luca Dall’Amico (Elmiro), Salome Jicia (Desdemona), Giulio Pelligra (Iago), Serey Romanovsky (Otello)

Pour la mise en scène, l’ORW a fait appel à Emilio Sagi, garantie de classicisme de bon goût, comme l’ont prouvé quelques spectacles donnés notamment à Toulouse, Dona Francisquita, Le Turc en Italie ou Lucrèce Borgia. Cet Otello presque entièrement noir et blanc se déroule dans un décor unique aux murs immaculés, qui évoque à la fois Venise – celle de Véronèse, avec ce grand escalier coté jardin et cette balustrade digne des Noces de Cana – et le faste un peu lourd du XIXe siècle, avec cette cheminée monumentale dont le trumeau s’orne d’une guirlande sculptée, comme on en voit au Palais Garnier ou dans l’hôtel particulier de la Païva. L’action est située juste avant la Première Guerre mondiale, choix qui semble avant tout dicté par le désir d’offrir aux personnages des costumes élégants : si les militaires arborent des tenues d’opérette rappelant la Syldavie, les civils portent l’habit à queue de pie, tandis que les toilettes des dames, au premier acte, combinent turbans orientaux à la Poiret et jupes entravées. Visuellement, on est tout près du Visconti de Mort à Venise, et le tailleur blanc que revêt Desdémone après l’entracte semble avoir été copié sur celui que porte Silvana Mangano dans le film. Tout cela est de très bon goût, on l’a dit, et ce décor se prêterait sans doute fort bien à des représentations de La Veuve joyeuse.

Maxim Mironov (Rodrigo), Salome Jicia (Desdemona)

Quant à la distribution, l’Opéra de Liège s’était encore une fois encore transformé en « Pesaro sur Meuse », en rassemblant quelques-uns des artistes qui font régulièrement les beaux soirs du Rossini Opera Festival. Le trio déjà présent en 2018 pour La donna del lago était donc de retour, et l’on pouvait en attendre des étincelles. Hélas, il s’est très vite transformé en duo : avant le lever du rideau, une annonce signale que Sergey Romanovsky, bien que souffrant, a tenu à assurer la représentation. Mais le ténor russe avait présumé de ses forces : dès les premières phrases d’Otello, on entend que le chanteur est cruellement diminué, quelques notes craques, et tous les aigus sont systématiquement transposés. C’est donc sans véritable étonnement que l’on voit bientôt apparaître, à l’avant-scène, un pupitre installé par un machiniste, mais c’est une bonne surprise qui attend le public, puisqu’une doublure était prévue depuis le début des répétitions. Dotée d’une voix franche et sonore, le ténor russe Anton Rositskiy est clairement familier du style rossinien, le principal reproche qu’on puisse lui adresser est de ne pas avoir les couleurs bien plus sombres de son confrère, authentique baryténor. Sergey Romanovsky continue à jouer le rôle sur le plateau, ou du moins à adopter les positions assignées à Otello, mais l’on voit bien que le cœur n’y est plus, et l’on ne peut dès lors plus que rêver à l’électricité qui aurait pu régner s’il avait été apte à incarner vraiment son personnage. Heureusement, les deux autres rôles principaux, eux, sont bien là : Maxim Mironov est un Rodrigo claironnant mais scéniquement assez froid au premier acte, et rien n’indique qu’il soit animé de sentiments pour Desdémone. Celle-ci trouve au contraire en Salomé Jicia une interprète ardente, dont chaque intervention est pleine d’intensité théâtrale. Espérons que Sergey Romanovsky guérira vite de son refroidissement, et que la captation de la troisième représentation, prévue le 23 décembre, pourra se dérouler comme prévu.

Autour du trio central, si Xavier Petithan est un Doge un peu dépassé par les événements, Pierre Derhet est un gondolier de luxe, pour son chant en coulisses qui reprend des vers tirés de la Divine Comédie. Julie Bailly est une Emilia pleine de tendresse généreuse. Luca Dall’Amico tire le maximum du rôle assez peu développé du père de Desdémone, mais Giulio Pelligra impose sans peine un Iago machiavélique, même si le personnage n’a rien de comparable avec celui de Shakespeare ou de Verdi.

Sergey Romanovsky (Otello), Salome Jicia (Desdemona)
Avatar photo
Laurent Bury
Ancien élève de l’ENS de la rue d’Ulm, auteur d’une thèse consacrée au romancier britannique Anthony Trollope (1815–1882), Laurent Bury est Professeur de langue et littérature anglaise à l’université Lumière – Lyon 2. Depuis un quart de siècle, il a traduit de nombreux ouvrages de l’anglais vers le français (Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, Orgueil et préjugés de Jane Austen, Voyage avec un âne dans les Cévennes de Stevenson, etc.) ; dans le domaine musical, on lui doit la version française du livre de Wayne Koestenbaum, The Queen’s Throat, publié en 2019 par les éditions de la Philharmonie de Paris sous le titre Anatomie de la folle lyrique. De 2011 à 2019, il fut rédacteur en chef adjoint du site forumopera.com, puis rédacteur en chef de novembre 2019 à avril 2020. Il écrit désormais des comptes rendus pour plusieurs sites spécialisés, dont Première Loge.

Autres articles

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire !
S'il vous plaît entrez votre nom ici