Georges Bizet.
Carmen.
Avant-Scène Opéra n° 318.  Extraits audio avec l’appli ASOpéra.
Septembre 2020, 28 euros. ISBN 978–2‑84385–362‑3

L'Œuvre
Christian Merlin : Argument
Gérard Condé : Introduction et Guide d’écoute
Henri Meilhac et Ludovic Halévy  Livret intégral (dialogues parlés et récitatifs)
Hervé Lacombe : La genèse de Carmen
Gérard Condé : L’or et le plomb mêlés

Figures de Carmen
Théophile Gautier : Extrait de Voyage en Espagne et poème
Prosper Mérimée : Carmen, extraits
Henriette Asséo : Pourquoi Carmen est-elle bohémienne ?

Regards sur l'œuvre
Jean-Michel Brèque : Opéra-comique mais aussi tragédie
Rémy Campos : Guiraud for ever ? Actualité des recitatives de Carmen
Dorian Astor : La passion de Nietzsche pour Carmen
Reynaldo Hahn : Comment interpréter et chanter Carmen
Désiré-Emile Inghelbrecht : Comment on ne doit pas interpréter Carmen
Stéphan Etcharry : La France à l’heure espagnole
Jean Lacouture : Carmen vue par un aficionado

Écouter, voir et lire
Christian Merlin :
Les variantes dans les éditions de Carmen
Discographie
Pierre Flinois et Louis Bilodeau : Vidéographie
Olivia Pfender :  L’œuvre à l’affiche
Chantal Cazaux : Bibliographie

 

L’Avant-Scène Opéra n° 318, septembre 2020. 28 euros. 146 pages.

Riche de plus de trois cents numéros, l’Avant-Scène Opéra met régulièrement à jour ses volumes les plus anciens. C’est cette fois le tour de l’un des titres les plus joués au monde : Carmen connaît ce mois-ci une refonte déjà entamée au fil des rééditions successives, et revient avec un tout nouveau Guide d’écoute, des illustrations tout en couleurs, et de précieux articles qui aideront le mélomane à dégager l’œuvre de sa gangue de traditions plus ou moins apocryphes

Fondée en 1976, l’Avant-Scène Opéra est vite devenue une institution, un outil indispensable pour les amateurs comme pour les professionnels. Mais pour perdurer dans notre nouveau siècle, l’Avant-Scène Opéra ne saurait rester immuable, insensible à l’air du temps. Certains titres se sont ainsi réincarnés à plusieurs reprises, au gré des mises à jour et refontes successives, changeant non seulement de couverture, mais aussi de contenu, et parfois même de numérotation. Les fans de la revue pourront ainsi disserter sur la physionomie toujours renouvelée de certains volumes particulièrement populaires, tandis que d’autres offrent toujours le même aspect qu’ils avaient à leur naissance (l’un des numéros les plus anciens, et inchangés, est celui consacré en 1982 à La Veuve joyeuse, peut-être parce qu’il s’est trouvé moins de lecteurs soucieux d’explorer les arcanes du chef‑d’œuvre de Franz Lehár).

C’est en 1980 que Carmen avait fait son entrée dans la collection, sous le numéro 26, plaisamment sous-titré « Nietzsche/Bizet/Wagner », ce que justifiait un article ajouté en fin de volume, dans la rubrique « Supplément » : « Bizet, Nietzsche, ou comment s’amuser aux dépens de Wagner », signé de Bruno Pinchard. Quarante ans après, Carmen revient sous le numéro 318, changement que justifie la refonte quasi complète par rapport à l’original. Quasi seulement, on le verra, et surtout progressive, puisque la métamorphose s’est accomplie étape par étape, comme un corps vivant se transforme cellule par cellule. L’article de Bruno Pinchard se voit ainsi remplacé par celui de Dorian Astor, puisqu’il serait en effet difficile de faire l’impasse sur la réflexion de Nietzsche sur Carmen.

De fait, du n° 26, de mars-avril 1980, il ne reste presque rien dans le n° 318. Seuls deux articles ont survécu, ceux de Jean-Michel Brèque, « Opéra-comique mais aussi tragédie », et de feu Jean Lacouture, « Carmen vue par un aficionado ». Le second a un peu vieilli, car à l’heure où les anti-spécistes donnent de la voix, cet éloge de la tauromachie risque de faire tiquer pas mal de lecteurs. Et tout le reste a disparu : envolés, les interviews ou articles consacrés aux metteurs en scène de l’époque (Martinoty, Lavelli), envolées, ces confessions de mesdames Berganza et Crespin intitulées « Ma Carmen », ou les « notes prises » par Georges Prêtre.

Entre 1980 et 2020, la Carmen de l’ASO a fait plusieurs retours, un peu transformée à chaque fois, d’abord en 1993, ensuite en 2006. Les interventions de Christian Merlin, qu’on retrouve dans le n° 318, datent de ces révisions antérieures. Mais si l’édition 2020 mérite d’être qualifié de refonte, c’est parce que le fameux « Guide d’écoute », morceau de résistance des volumes ASO, est intégralement neuf. Confié à ce grand connaisseur du répertoire français qu’est Gérard Condé (dont l’article « L’or et le plomb fondu » est, lui, plus ancien), il se substitue à celui de Jean de Solliers, conservé jusqu’en 2006 et très fréquemment cité dans le nouveau texte. Moins strictement technique, le commentaire de Gérard Condé porte également sur les dialogues parlés de la version originale et sur les récitatifs de Guiraud, non sans avouer parfois sa préférence pour ceux-ci, qui ont désormais assez mauvaise presse (mais dont Rémy Campos, dans un article repris dans le nouveau numéro, soulignait combien ils avaient contribué à « la stabilisation de l’œuvre »). Et il pourfend sans merci certaines des interventions du musicologue Fritz Oeser qui, aussi bizarrement inspiré que dans son travail de reconstitution des Contes d’Hoffmann, a cru bon de rétablir des passages librement coupés par Bizet – Christian Merlin, dont on lira avec intérêt le texte sur les variantes de la partition, ne partage pas toujours l’avis de Gérard Condé quant aux interventions d’Oeser. Bonus technologique dont sont accompagnés tous les numéros récents de l’Avant-Scène Opéra : la possibilité d’écouter des extraits de l’œuvre grâce à l’application ASOpéra, en l’occurrence la version gravée en 1958 par Thomas Beecham avec Victoria de Los Angeles.

Au chapitre « patrimonial », on appréciera les extraits d’œuvres de Théophile Gautier et de Mérimée, et les textes empruntés aux écrits de Reynaldo Hahn (1926) et de Désiré-Emile Inghelbrecht (1933) quant à ce qu’on doit faire – et surtout ne pas faire – lorsque l’on chante ou dirige Carmen.

Auteur d’un fascinant ouvrage paru en 2014, La Habanera de Carmen : naissance d’un tube (Fayard), Hervé Lacombe devait avoir sa place dans ce volume, pour retracer la genèse de l’œuvre. Une voix féminine se fait entendre dans le volume, non pour dénoncer le patriarcat dont l’héroïne est depuis longtemps affranchie, mais pour retracer le parcours de la figure de la Bohémienne à travers quelques siècles de peinture, de littérature et de musique ; l’article savant d’Henriette Asséo resitue ainsi l’opéra-comique de Bizet au milieu d’un des mythes de la culture européenne. Et c’est à la mode de l’espagnolade que s’intéresse en détail Stéphan Etcharry : le phénomène dura tout au long du XIXe siècle, avec une ultime et superbe résurgence dans les premières décennies du suivant, grâce à Ravel surtout.

Du côté de la discographie, Christian Merlin n’a guère qu’une seule intégrale de studio à ajouter à son commentaire, la très inutile version Rattle de 2012, pour une discographie qui compte pas moins de 66 versions ! La vidéographie, elle, s’est considérablement enrichie, et le texte de Pierre Flinois est complété par celui de Louis Bilodeau qui prend en compte l’abondante production de DVD depuis 2007, dont se détachent deux titres : la production lilloise montée par Jean-François Sivadier et, beaucoup moins riche sur le plan théâtral, celle de Francesca Zambello présentée à Londres, qui a pour elle la chance de proposer le couple irrésistible formé par Jonas Kaufmann et Anna Caterina Antonacci.

C’est justement cette dernière qui orne la nouvelle couverture, paradoxalement la Carmen la plus traditionnelle des quatre images successivement choisies au fil des décennies par l’ASO. Les mains sur les hanches, en corset et jupon, le visage ruisselant de sueur, cette gitane-là offre le visage le plus conforme à ce que la tradition a légué à l’imaginaire collectif. Aussi proche de l’image d’Epinal s’était avérée la deuxième couverture, empruntée en 1993 au film de Francesco Rosi (1984). La toute première couverture, en noir et blanc, était allée chercher une photographie d’Emma Calvé dans l’air des cartes (passage à la couleur oblige, les images de productions « historiques » ne figurent désormais plus que dans la discographie et la vidéographie). La plus mystérieuse restera néanmoins celle de l’édition 2006, d’une beauté cinématographique à l’hispanité affirmée mais libre des stéréotypes : Carmen Sevilla, dont le prénom justifiait surtout la présence, car sa contribution à l’art lyrique ne dépassa guère La Belle de Cadix, Andalousie ou Violettes impériales aux côtés de Luis Mariano.

 

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Laurent Bury
Ancien élève de l’ENS de la rue d’Ulm, auteur d’une thèse consacrée au romancier britannique Anthony Trollope (1815–1882), Laurent Bury est Professeur de langue et littérature anglaise à l’université Lumière – Lyon 2. Depuis un quart de siècle, il a traduit de nombreux ouvrages de l’anglais vers le français (Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, Orgueil et préjugés de Jane Austen, Voyage avec un âne dans les Cévennes de Stevenson, etc.) ; dans le domaine musical, on lui doit la version française du livre de Wayne Koestenbaum, The Queen’s Throat, publié en 2019 par les éditions de la Philharmonie de Paris sous le titre Anatomie de la folle lyrique. De 2011 à 2019, il fut rédacteur en chef adjoint du site forumopera.com, puis rédacteur en chef de novembre 2019 à avril 2020. Il écrit désormais des comptes rendus pour plusieurs sites spécialisés, dont Première Loge.

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