Erster Tag des Bühnenfestspiels 
Der Ring des Nibelungen

 

Re-Création : Nouvelle production reconstruite à partir de la première production d'opéra du Festival de Pâques de Salzbourg de 1967

 

Direction musicale : Christian Thielemann 
Mise en scène : Vera Nemirova 
Décors : Günther Schneider-Siemssen 
Reconstruction du décor original de l'année 1967 et costumes : Jens Kilian
Lumières : Olaf Freese 
Vidéo : rocafilmPeter Seiffert Siegmund
Georg Zeppenfeld Hunding
Vitalij Kowaljow Wotan
Anja Harteros Sieglinde
Anja Kampe Brünnhilde
Christa Mayer Fricka
Johanna Winkel Gerhilde
Brit-Tone Müllertz Ortlinde
Christina Bock Waltraute
Katharina Magiera Schwertleite
Alexandra Petersamer Helmwige
Stepanka Pucalkova Siegrune
Katrin Wundsam Grimgerde
Simone Schröder RoßweißeStaatskapelle Dresde

Nouvelle production

Coproduction avec le festival de musique de Pékin

Osterfestspiele Salzburg, Grosses Festspielhaus, 17 avril 2017

Après Lyon, c’est à Salzburg que la mode des revivals s’installe, puisqu’à l’occasion des 50 ans du Festival de Pâques, outre un concert des Wiener Philharmoniker et surtout des Berliner Philharmoniker de retour pour un soir, Christian Thielemann a eu l’idée de proposer une Walküre dans le décor mythique de Günther Schneider-Siemssen de 1967, mais dans une autre mise en scène, d’autres éclairages ainsi que d’autres costumes et des vidéos. Une nouvelle production dans d’anciens décors reconstruits, ce n’est pas l’option archéologique lyonnaise, mais la distribution elle aussi pleine de nouveautés par les prises de rôle d’Anja Harteros en Sieglinde et Anja Kampe en Brünnhilde ressemble au geste de Karajan il y a 50 ans.

Acte I

C’est une autre vision qu’Herbert von Karajan voulait proposer par cette Walkyrie et son Ring. Autre, entendez une réponse au style dominant des mises en scènes wagnériennes imposé par le neues Bayreuth. À neues Bayreuth neues Salzburg. Il avait aussi voulu faire entendre un Wagner différent, avec des voix (surtout en 1968 où il a trouvé sa distribution) qui soit avaient déserté Bayreuth (Jon Vickers) soit venaient d’autres univers et étaient inattendues (Gundula Janowitz en Sieglinde dès 1967 et Régine Crespin en Brünnhilde en 1968). Est-ce la raison pour laquelle Christian Thielemann a proposé les deux rôles respectivement à Anja Harteros et Anja Kampe, assez inattendues chacune pour des raisons différentes (elles deux ont plusieurs rôles wagnériens à leur actif) ? Peu importe, mais elles constituaient l’autre attraction de cette entreprise, très attendue, et triomphalement accueillie.

Pour ceux qui étaient là en 1967, c’était une soirée particulière et nostalgique que de revoir les majestueux décors de Günther Schneider-Siemssen (celui du premier acte est vraiment impressionnant) qui épousaient (et épousent encore) avec une telle justesse l’espace impossible du Grosses Festspielhaus, donnant à l’ensemble une majesté notable et écrasante.

Mais gare à celui qui penserait revoir quelque chose de l’esprit qui avait présidé à la mise en en scène de Karajan, dont paraît-il les cahiers ont disparu. Aujourd’hui, Siegmund fume sa clope, et Brünnhilde arrive en scène échangeant avec Wotan un cheval de bois contre la lance, dans des costumes « modernes » : elle finit en tricot de type « Marcel », sans doute pour supporter la chaleur des flammes. Rien des gestes d’alors non plus : la manière de se mouvoir des personnages n’a plus rien de la distance obligée de l’époque. Ils s’embrassent abondamment, se tordent au sol, c’est habituel aujourd’hui, c’était alors difficilement envisageable.
Rien non plus des costumes de figuration mythologique et chamarrés de Georges Wakhévitch, rien des perruques monumentales : on n’a pas recréé les costumes.
Regrets éternels ? J’avoue ne pas savoir, n’ayant en tête que les scènes entrevues dans le fameux film de François Reichenbach et non l’ensemble du spectacle qui déjà à l’époque n’avait pas toujours été accueilli avec bienveillance par une critique qui ne ménagea jamais Karajan-metteur en scène.

Acte II

Mais une telle entreprise n’eût-elle pas été plus signifiante si on avait osé les costumes d’alors, la reproduction des lumières, même avec d ‘autres techniques et sans la vidéo. Ayant en tête les nombreuses photos de la production (le marketing karajanesque avait beaucoup d’avance sur son temps), je n’ai pas retrouvé l’ambiance que j’imaginais, et j’ai au contraire trouvé, notamment au premier acte, un hiatus fort entre le jeu et le décor, moins sensible aux deuxième et troisième acte parce qu’en fait de décor, à part l’anneau au sol, il n’y a pas grand-chose en scène et les projections sur le cyclo restent évanescentes (nuages d’un gris profond), avec des lumières un peu crues et gênantes. Les initiatives de la mise en scène sont quelquefois vaguement ridicules (Brünnhilde inscrivant au sol à la craie des éléments de la généalogie de la famille, reproduites en vidéo sur le cyclo) et Fricka faisant porter un fauteuil Roche et Bobois blanc sur le fameux anneau.

Acte III

Au troisième acte, des Walkyries au garde à vous face au chef, et des héros se tordant pour arriver au Walhalla, avec Sieglinde cherchant parmi eux Siegmund, c’est une idée possible, vue ailleurs, mais assez mal réalisée. Quant aux porteurs de torches à la fin, solennels et wotanesques, ils font un peu trop penser à la mort de Siegfried et ne s’imposent pas : la grandeur de cette fin réside dans une image de solitude et pas de « mise en scène » au sens banal du terme, même si c’était un final de Walkyrie vue comme unicum et non d’une Walkyrie vue comme partie d’un Ring . Mais il y avait quelque chose de la grandeur d’alors, dans ces personnages perdus au milieu de cet immense espace, et dans la tenue d’ensemble, en dépit des fautes de goût de la mise en scène, classique, mais pas trop, moderne, mais pas trop.En fait, ce choix est un non choix, et pour mon goût, même si la mise en scène de Vera Nemirova n’est pas (trop) gênante – les personnages se meuvent peu, font plutôt  ce qu’ils ont toujours fait quand ils n’étaient pas dirigés – il reste que l’entreprise n’est qu’une demi-réussite, parce que c’est une demi-décision. Qui sait si la reprise in extenso de la mise en scène de Karajan eût eu un effet sur le public, ou qui sait si un autre metteur en scène plus conforme à ce style, comme Otto Schenk, par exemple, même si son grand âge était peut-être un obstacle,  eût pu rendre quelque chose de plus authentique de l’ambiance puisqu’il a lui-même fait avec Günther Schneider-Siemssen à New York une production du Ring en 1986 ; des artistes vivants, c’est assurément lui qui eût pu au moins être un conseiller efficace et être un révélateur plus sensible de l’ambiance d’alors.J’avoue même ne pas comprendre si ce choix est pensé, ou dicté par des nécessités économiques : certes, le spectacle est coproduit avec Pékin, mais un tel travail archéologique aurait sûrement été dévoreur de temps, d’études et d’argent, pour un résultat incertain, pour un nombre de représentations réduit, dans un lieu aux dimensions quasiment uniques et donc difficilement exportable.Scène finale

Alors le choix s’est porté sur le minimum vital : faire rêver à l’âge d’or (!), faire croire qu’on était dans l’archéologie, et alimenter la nostalgie du public de 1967 encore présent, ces fidèles parmi les fidèles qui sont restés à Salzbourg envers et contre tout.

Musicalement, impossible en revanche de faire revenir Karajan même par hologramme, et l’orchestre de Karajan prend les eaux à Baden-Baden depuis plusieurs années. Mais quelque chose d’une filiation il y a, puisque le tout jeune Christian Thielemann fut l’assistant du Maître des lieux. Et la Staatskapelle de Dresde, grand orchestre de tradition germanique s’il en est, a pu à bon droit reprendre le flambeau, et avec panache. Bien mieux tenu qu’à Dresde il y a deux saisons, l’orchestre est ici vraiment exceptionnel, malgré de menues scories aux cuivres. Et la direction précise, colorée, dramatique et tendue à souhait, avec un son d’une épaisseur inouïe, montre quel chef, quel magicien peut être Christian Thielemann quand il est inspiré : après un premier acte tendu, mais un peu lent pour mon oreille, étirant toute la première partie d’une manière exagérée, avec de longs silences, et une deuxième partie très réussie. Son prélude du deuxième acte est exceptionnel, dans l’espace sonore créé, retentissant, énergique, tendu, éclatant aussi, magnifiquement spatialisé, même si le deuxième acte montre quelques trous noirs (le monologue de Wotan). Son troisième acte retrouve un peu de la magie du premier, avec une chevauchée dans la grande tradition, très bien conduite et magnifiquement chantée par des Walkyries au son et à l’éclat exceptionnels, et toute une partie finale vraiment étonnamment sculptée, à la lenteur calculée, non empreinte d’un peu de complaisance, mais tellement somptueuse qu’on est prêt à pardonner cette fois ce qu’on ne pardonne pas toujours à ce chef, ce fut un final qu’on peut dire à bon droit anthologique dans ce style-là.
Une direction dans l’ensemble exceptionnelle, dans un classicisme qui montre combien une Walkyrie d’origine contrôlée, peut être fascinante, même si d’autres ont eu des idées plus ouvertes et plus novatrices : Thielemann a montré quel musicien il est, et tant mieux pour la réussite de la représentation, il était, lui, en harmonie avec le monumental décor de Günther Schneider-Siemssen .
Mais beaucoup d’amateurs attendaient avec une ardente curiosité une distribution faite de valeurs éprouvées dans le chant wagnérien (Peter Seiffert, et même Georg Zeppenfeld, plus jeune, mais déjà bien connu) et de petites nouvelles dans leurs rôles respectifs, Anja Harteros et Anja Kampe. Kampe, qui fut la Sieglinde que l’on sait avec Petrenko à Bayreuth, inaugurait Brünnhilde et Anja Harteros, par ailleurs Elsa, Elisabeth et Eva, inaugurait cette fois Sieglinde. L’une et l’autre pas vraiment nouvelles à Wagner, mais pour les adorateurs, c’était comme la première fois (surtout pour Harteros d’ailleurs, qui stimulait plus la curiosité auprès des mélomanes fans de la soprano que Anja Kampe).
Peter Seiffert, classe 1954, est quelquefois irrégulier, mais il a ici été impressionnant.  Bien sûr, la voix trahit quelques faiblesses au centre et plus souvent dans les graves, mais le timbre reste clair, séduisant, sans ombres, et les aigus étaient incroyables de stabilité et de tenue, ses « Wälse » tenus jusqu’à l’impossible ainsi que la note finale sur « Wälsungen » que même Vickers a quelquefois raté. Cette voix héroïque, bouleversante avec ses reflets tendres, d’une clarté cristalline et un magnifique phrasé a contribué sans nul doute à la réussite de la représentation.

Acte I

Georg Zeppenfeld est un Hunding en pleine santé : suite à son Marke étonnamment méchant de Bayreuth, le voilà en Hunding plus traditionnellement méchant, même si l’apparente jeunesse a l’avantage de ne pas en faire une caricature (chez Karajan c’était le géant Martti Talvela, à l’époque très jeune – à peine 32 ans). Georg Zeppenfeld, a un timbre clair, juvénile (il a néanmoins quant à lui 47 ans) et en même temps une magnifique couleur de basse, c’est ce contraste qui séduit, avec un art exceptionnel dans le phrasé et la diction, qui fait qu’on résiste rarement à ce chant.
Vitalyi Kowaljow chante Wotan et bien d’autres rôles très variés, qui vont de Wotan à Fiesco, en passant par Pimen ou Sarastro, sa formation largement germanique et un séjour au théâtre de Biel/Bienne en Suisse, l’ont largement préparé à tous les grands rôles de basse du répertoire. Phrasé impeccable, diction parfaite, avec toutes les notes, sans difficultés particulières mais son Wotan n’est pas passionnant, un peu passepartout, une sorte de personnage sans grande personnalité et assez plat ; à ce titre son monologue du deuxième acte est chanté mais absolument pas incarné, voire un peu ennuyeux, et son timbre un peu opaque, sans vrai relief, n’en font pas un personnage. Il est un Wotan très honorable, mais peut-être pas pour cette occasion là où l’on aurait attendu quelque chose de plus.
Christa Mayer, en troupe à Dresde, est Fricka ; comme à Dresde il y a deux ans, elle est une belle Fricka, énergique, douée d’un beau phrasé et d’une diction très expressive. Sans être exceptionnelle, elle est vraiment vocalement et scéniquement le personnage et elle le prend en charge totalement.
Anja Harteros était Sieglinde. Très attendue, parce qu’elle enthousiasme les foules dans ses rôles italiens, Tosca, Amelia et tout récemment Maddalena di Coigny, sa dernière prise de rôle il y a à peine un mois, où elle était sublime (voir notre article). Du côté wagnérien on connaît son Eva, son Elisabeth, son Elsa où elle est exceptionnelle. Sieglinde n’est pas encore tout à fait dans son corps, dans sa voix comme d’autres rôles. Elle a eu des moments magnifiques, vocalement impressionnants dans le premier acte où la clarté du timbre surprend, mais la rend encore plus tendre et sublime : comme elle a chanté « Siegmund, so nenn’ich dich », peu de chanteuses y arrivent, car il y a puissance, intensité et vibration exceptionnelles. C’est une chanteuse sensible, à l’opposé de la routine, mais ce rôle éperdument tendu doit encore être possédé : le deuxième acte manque peut-être un peu de puissance et d’intensité, une intensité retrouvée au troisième acte, à l’égal d’autres Sieglinde, mais pas supérieure. Sa Sieglinde est vraiment sensible, mais elle a encore un format à conquérir, le format d’une Waltraud Meier, qui reste inégalée ces deux dernières décennies ou celui d’une Dernesch ou d’une Rysanek jadis. Mais Harteros qui est prudente sera une Sieglinde rare sur les scènes, et sans doute de plus en plus convaincante.

Le cas d’Anja Kampe est plus paradoxal : depuis que je connais cette artiste (Fidelio, avec Abbado en 2008), j’entends dire qu’elle est « aux limites », que le format des rôles qu’elle chante est supérieur à ses moyens vocaux : ce fut le cas pour Leonore, mais aussi pour sa récente Katarina de Lady Macbeth de Mzensk, voire pour sa Sieglinde de Bayreuth. Et c’est bien entendu le cas pour cette Brünnhilde. Une Brünnhilde douée de toutes les notes, même quelquefois à la limite du cri, mais les « Hojotoho » passent la rampe. Il lui manque sans doute là aussi un peu de familiarité avec le rôle pour mieux l’incarner : c’est notable dans l’annonce de la mort, dépourvue de ce mystère si important (mais les éclairages un peu crus et la mise en scène n’aident pas), souvenons-nous de Chéreau ou plus récemment de Castorf à Bayreuth. L’annonce de la mort est une scène-clef pour le personnage, Brünnhilde part de là, et non de ses Hojotoho : il faut dans cette voix une faculté dynamique pour passer de la Walkyrie-prêtresse oraculaire, à la Walkyrie humaine et aimante, pour passer d’un monologue sombre et retenu à une explosion sentimentale derrière laquelle se cache la Brünnhilde du futur. Et Kampe là ne passe pas la rampe. Elle la passe ailleurs, notamment au troisième acte, où malgré un costume absurde (le Marcel dont il était question plus haut), elle joue parfaitement la fille aimante, avec ses éclats juvéniles et sa toute jeune force de conviction. Au total, et malgré les réserves, elle s’en sort avec les honneurs, elle est une Brünnhilde, avec des moyens qui ne sont ni ceux d’une Stemme ou d’une Herlitzius, mais avec cette force paradoxale de la femme tendue au maximum. Quand l’expressivité aura été plus travaillée encore, elle sera sans nul doute plus qu’une Brünnhilde possible.

Une belle soirée. Sans aucun doute, une soirée qui aura remué de beaux souvenirs ou de beaux rêves, qui aura été bien évidemment au rendez-vous avec Wagner, mais qui n’aura pas été au rendez-vous avec le mythe.

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Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.

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