"Ce n'est pas une petite affaire que de ressusciter" disait Paul Claudel. Si printemps et résurrection font bon ménage, le problème est le même : il faut trouver des témoins et répandre la bonne nouvelle. N'en déplaise aux esprits rationnels, l'opéra ne connaît pas le cycle des saisons. Le rideau écarlate fait mine de se lever sur un perpétuel printemps – un printemps pour de faux mais une illusion à laquelle on aime croire et qui nous maintient sagement assis sur notre fauteuil pendant que sur scène s'ébrouent dans une pluie de décibels des drames sanglants, des amours impossibles, des déclarations enflammées etc.
L'opéra est de tous les arts vivants, celui qui demeure aux yeux d'un certain nombre de commentateurs, le plus muséifié. Par nature ou par fonction, on attribue aux muses lyriques des pouvoirs soporifiques capable d'éteindre un intérêt que d'autres formes d'expression (à commencer par le cinéma), vivifient et entretiennent. Personne ne s'offusque des cinémathèques comme lieu de conservation et d'adoration perpétuelle des chefs d'œuvres du 7e art… mais personne ne songerait à des opérathèques ou des théâtrothèques dans lesquelles le public viendrait se replonger dans ses souvenirs et revoir des productions du passé.
La démarche au cœur du "Festival Mémoires" de l'Opéra de Lyon n'a rien d'un amour morbide pour le poussiéreux et les muses muséales. Qui aurait pensé revoir le sfumato et les lumières du Tristan d'Heiner Müller ? la frontalité anguleuse de l'Elektra de Ruth Berghaus ou le pinceau sensible de Klaus Michael Grüber peignant à fresque son Couronnement de Poppée ? La leçon est immense. Le témoin est face à ses souvenirs, le novice à son émerveillement. Cette mémoire-là ne prétend pas à une résurrection ; elle est à l'image de ces productions : sensible, mobile, vivante. Si la mise en scène est un art de l'éphémère, son accession au rang de patrimoine ne doit pas signifier conservation mais renouvellement…la flaque d’éternité.