Leoš Janáček (1854–1928)

Katia Kabanova (1921)
Opéra en 3 actes
Livret du compositeur, d’après la pièce L’Orage d’Alexandre Ostrovski
Créé au Théâtre national de Brno le 23 novembre 1921

Direction musicale : Mark Shanahan
Mise en scène : Philipp Himmelmann
Décors : David Hohmann
Costumes : Lili Wanner
Lumières : François Thouret
Etudes musicales : Irène Kudela

Dikoï  : Aleksander Teliga
Boris : Peter Wedd
Kabanikha : Leah-Marian Jones
Tikhon : Eric Huchet
Katia : Helena Juntunen
Koudriach : Trystan Llŷr Griffiths
Varvara : Eléonore Pancrazi
Kouliguine : David Ireland
Glacha : Caroline MacPhie
Fiekloucha : Marion Jacquemet
Une Femme : Valérie Barbier
Un Homme : Taesung Lee

Choeur de l’Opéra national de Lorraine, direction Jacopo Facchini
Orchestre symphonique et lyrique de Nancy

Opéra national de Lorraine, Nancy, 4 février

Il est incompréhensible que Leoš Janáček soit si peu présent dans les salles d’opéra. Sa musique est excellente et les intrigues, ramassées, souvent modernes, se prêtent à des interprétations diverses, nourries de personnages bien caractérisés. Pour Katia Kabanova, le compositeur s’est emparé de L’Orage (1859), pièce à succès d’Alexandre Ostrovski, qu’il a soigneusement élaguée pour construire trois actes puissamment compacts. Sans doute faut-il mettre cette timidité des programmateurs sur le compte de la difficulté à trouver des chanteurs maîtrisant la langue tchèque. Mais il faut également conspuer le public confit dans ses œillères : à Nancy, la matinée du 4 février n’affiche pas complet, loin de là, avec des balcons de côté presque vides. Les sots ! Ils ont manqué une belle représentation, et l’occasion de découvrir un répertoire trop rare.

Le décor, à deux étages, identiques, intrigue. Vaste corridor d’un immeuble désert, peut-être intérieur d’un hôtel de passe, ou maison close, avec comme taulière Kabanikha. Couloir tapissé d’un papier peint vert sombre, aux grossiers motifs floraux. Cet immeuble  défile lentement vers la droite, et s’y succèdent portes, fenêtres opaques, issues de secours et jusqu’à un aquarium – prouesse technique au demeurant. Qu’ils entrent ou sortent, peu importe : l’intimité ne peut pas exister ici.

L’ensemble s’inscrit dans un cadre, à l’avant-scène, dont les bords arrondis évoquent irrésistiblement une télévision d’autrefois. Ce spectacle pourrait être une tragédie aux couleurs défraîchies, qui hésiterait à s’inscrire dans la grisaille des années 1950 ou à espérer les années 80, avant la Chute du Mur, mouvement qui lui donnerait plus de lumière, d’éclat. Cadre suranné, lenteur épuisante. Dans un ancien pays de l’Est, donc, qui évoque la production de Christoph Marthaler, aux (volontairement) hideux costumes plastifiés, entendue à Paris, se joue un huis clos sordide, où la Volga pourrait n’être qu’une flaque d’eau. A peine si le décor s’ouvre dans les instants ultimes, pour en dessiner le lit, où Katia s’abîmera enfin. Les costumes, datés, résolument datés, de Lili Wanner doucheraient les derniers espoirs d’un spectateur naïf. Ce décor n’est pas laid mais exprime la laideur. Saisissement.

Ce qui se joue ici est un désir sexuel interdit. Dans le rôle principal, Helena Juntunen ne retrouve pas la férocité et l’engagement, si séduisants dans Salomé. Le rôle, évidemment, n’a rien de carnassier mais elle lui donne une forme de retenue, de timidité, par trop excessives, qui peinent à traduire une sensualité sans doute plus volcanique que virginale (encore que). Restent la musicalité, la qualité du timbre, l’expressivité, qui rendent, par le chant, ce que la scène n’a pas obtenu. A l’exception, notable, d’un basculement vers la folie où le visage hagard, éthéré, le corps tendu, traduisent le non retour. Il en va tout autrement de l’insolente Kabanikha de Leah-Marian Jones, parfaitement tranchante, qi chante comme ion trancherait un cou. Chaque mot, chaque note incarne la méchanceté, l’aigreur, la frustration. Cette belle-mère est une admirable boule de nerfs et de poison. On ne la souhaite à personne, pas même à nos confrères concurrents. Elle a réussi à faire de Tikhon (Eric Huchet, veule, médiocre, voûté dans sa lâcheté) une chiffe molle de grande classe. Il faut le voir s’enfuir, sa grande carcasse peinant à franchir une porte qu’il pourrait prendre sur le nez : tant de maladresse et de couardise forcent l’admiration. Ce trio suffirait en soi, tant les autres protagonistes, malgré leurs qualités vocales, semblent ne servir à rien dans cette tragédie. Boris pourrait être un sex-toy, qu’il n’aurait guère plus d’utilité. D’où une composition, finalement assez juste, qui frise le romantisme, Peter Wedd s’armant ici de délicatesse, un mot dont on mesure toute l’incongruité. Telle est la force de cette mise en scène qui assemble un trio pour mieux le détruire, réduisant, c’est sa faiblesse, les autres protagonistes, à un rôle choral. Cette moindre caractérisation des personnages n’empêche pas la composition d’une voisinage scabreux, voyeur, où la sensualité s’exhibe en déshabillés aguicheurs, amours lesbiennes, prostitution probable. Comme si tous baisaient sans aimer, la conjugaison des deux étant au fond la véritable faute de Katia Kabanova.

Sitôt entré dans la fosse, Mark Shanahan enlève sa veste. Sa direction énergique crée les tensions attendues. Dès l’ouverture, le cliquets des cordes impose ses sonorités inquiétantes. L’équilibre est soigneusement maintenu, donnant toute clarté des pupitres. L’orage gronde, en osmose avec le plateau. Rarement l’orchestre symphonique et lyrique nous a paru à ce point somptueux.

Article précédentLe Shiva des chefs d'orchestre
Article suivantViva le Campane

Autres articles

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire !
S'il vous plaît entrez votre nom ici