HAENDEL : Chaconne en sol majeur HWV 435.
MOZART : Fantaisie en ut mineur KV 475 / Sonate en ut mineur KV 457.
DEBUSSY : Préludes, Livre 1 (extraits). N°1  Danseuses de Delphes. N°2 Voiles. N°8 La Fille aux cheveux de lin. N° 10 La Cathédrale engloutie. N° 12 Minstrels.
La plus que lente. Rêverie.
CHOPIN : Mazurka en si mineur op. 33. Mazurka en fa dièse mineur op. 59 n°3. Mazurka en la mineur op. 67 n°4. Ballade n°3 en la bémol majeur op. 47.

Le 29 mai 2017 à La Seine Musicale de Boulogne Billancourt.

À quatre-vingt treize ans, le pianiste Menahem Pressler offre un récital qui atteint des sommets d’émotion et de poésie.

Modestie, humilité : deux mots qui pourraient s’appliquer à Menahem Pressler. Né en décembre 1923, ce juif allemand, dont la famille a quitté l’Allemagne juste avant la Nuit de Cristal de sinistre mémoire, a traversé les décennies, affronté les problèmes de santé les plus graves mais a tout surmonté –sa carrière, menée à l’abri d’une médiatisation excessive, est probablement l’une des plus longues de l’histoire du piano. Plus que le soliste, c’est le musicien de chambre qui a marqué les mémoires, fondateur en 1955, avec le violoniste Daniel Guilet et le violoncelliste Bernard Greenhouse, du Beaux Arts Trio, formation légendaire de la seconde moitié du XXe siècle. Sans doute cette réputation a‑t‑elle fait de l’ombre au concertiste, pour un temps seulement.

Lorsqu’il fait son entrée sur le grand plateau de La Seine Musicale, guidé par une grande et blonde personne et s’appuyant sur sa canne, il paraît minuscule. Il commence à jouer, la salle retient sou souffle – une qualité d’écoute qui se maintiendra pendant tout le concert. La Chaconne en sol majeur HWV 435 de Haendel est attaquée fermement, et ses vingt et une variations s’enchaînent avec la régularité rythmique indispensable à la solennité de cette danse. La main droite est fluide et véloce, la gauche, chargée de la basse, assure l’harmonie et le soutien d’un ensemble parfaitement équilibré. La Fantaisie KV 475 et la Sonate KV 457 de Mozart ont en commun leur tonalité d’ut mineur. Sans doute les détails sont-ils ici privilégiés au détriment de la structure et d’une vision d’ensemble. Mais les contrastes de la Fantaisie – un Allegro initial dramatique et tendu, un Andantino à la mélodie charmeuse – sont traduits avec naturel, sans le moindre effet ; de même que l’atmosphère sombre et douloureuse de la sonate, composée en 1784 mais publiée en même temps que la Fantaisie achevée en mai 1785. Mozart expose dangereusement ses interprètes ; Pressler n’est pas irréprochable mais la profondeur de l’expression fait oublier quelques accrocs.

Après l’entracte, cinq Préludes de Debussy ainsi que La plus que lente et Rêverie sont l’occasion d’explorer un univers subtil et suffisamment mystérieux pour aiguillonner l’imagination. Les tempos sont toujours mesurés, la ligne mélodique délicatement déployée. Plus que d’un jeu de couleurs, il faudrait parler de dégradés de tons, de la blancheur laiteuse au gris orageux ; les nuances se fondent les unes dans les autres et le tissu harmonique est chatoyant, doté d’une consistance qui rappelle davantage la gouache que l’aquarelle. La lenteur des Danseuses de Delphes a quelque chose d’hypnotique, Voiles séduit par sa liquidité sonore, La Cathédrale engloutie par la gravité de ses résonances, Minstrels par sa fantaisie. Et l’on demeure subjugué par une Fille aux cheveux de lin dont la douceur se clôt sur un ineffable pianissimo.

Trois Mazurkas et la Ballade n°3 de Chopin témoignent d’une suprême élégance alliée à une simplicité qui exclut toute mièvrerie. Le piano de Pressler n’est ni effusif, ni démonstratif, il ne sollicite pas indûment l’auditeur mais il se contente de lui parler à hauteur d’homme. Cette sérénité est-elle le fruit de l’expérience et de l’âge ? Un bis termine la soirée, le Clair de lune de la Suite bergamasque. Pur moment de magie.

 

 

 

 

Michel Parouty
Titulaire d’une licence de lettres modernes, d’un Diplôme d’Etudes Supérieures de Philosophie et de deux certificats de musicologie, Michel Parouty commence sa carrière de journaliste en 1979, tant dans des revues spécialisées que dans la presse quotidienne en France (Opéra International, Diapason, Les Echos) et à l’étranger (La Tribune de Genève, le Record Geijutsu de Tokyo). Parallèlement à son activité dans la presse écrite, il travaille à la télévision (France Supervision, programme 16/9 d’Antenne 2) et à la radio (Radio classique, France Musique). Il collabore aujourd’hui régulièrement au magazine Opéra Magazine et Lionel Esparza l’invite fréquemment dans le Classic Club de France Musique. Il est par ailleurs l’auteur de plusieurs ouvrages dont La Traviata/Vivre avec Violette (Editions 1001 Nuits), Les Temples de l’opéra (avec Thierry Beauvert) et Mozart aimé des Dieux, ces deux derniers publiés dans la collection Gallimard Découvertes.
Crédits photo : © Charlotte Latour

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1 COMMENTAIRE

  1. Personnellement, ma Flûte traversière, une Djalma Julliot de 1924 qui m’accompagne depuis 72 printemps, m’a fait découvrir une autre approche de la conception Architecturale, de la sagesse et de la beauté des Eglises de notre Cité.
    la propagation des ondes, me donne en retour, le sentiment de Jouer avec moi-même, « Révélations, émotionnelles, créatives, jouissives »
    Sorte de « Méditation », Allégorie de la pensée, penser librement, penser autrement, « Eloge des silences »
    Signé un enfant de 83 printemps !!!

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