Tosca
Dramma lirico in tre atti
Libretto de Luigi Illica et Giuseppe Giacosa
d'après La Tosca de Victorien Sardou
Créé le 14 janvier 1900 au Teatro Costanzi, Rome

Direction musicale, Sir Simon Rattle
Décors : Raimund Bauer
Costumes : Kathi Maurer
Lumières : Reinhard Traub
Video : Martin Eidenberger

Kristine Opolais, Floria Tosca
Marcelo Álvarez, Mario Cavaradossi
Scarpia, Evghenyi Nikitin
Sagrestano, Peter Rose
Cesare Angelotti, Alexander Tsymbalyuk
Spoletta, Peter Tantsits
Sciarrone, Douglas Williams
Carceriere, Walter Fink
Un pastore, Philippe Tsouli (Aurelius Sängerknaben Calw)
en outre

Roberti (rôle muet), Antoanetta Kostadinova
Cameraman, Zohair Serestou

Berliner Philharmoniker
Philharmonia Chor Wien (dir : Walter Zeh)
Cantus Juvenum Karlsruhe (dir : Anette Schneider)

Retransmis par Arte TV et Arte Concert  le 17 avril à 20h15

Festspielhaus Baden-Baden 7 avril 2017

Il ne suffit pas d’annoncer Tosca avec deux des chanteurs les plus réclamés aujourd’hui, le meilleur orchestre du monde ou peu s’en faut, l’un des plus grand chefs de l’époque pour que l’opération réussisse. Puccini ne se donne pas comme ça et résiste si les choses ne sont pas au point. Et cette production du festival de Baden-Baden très problématique à tous niveaux en est la preuve malheureuse.

Puccini est l’un de ces compositeurs-pièges : comme il est représenté partout et dans toutes conditions, on pense qu'il est facile. Or pour qu’un Puccini fonctionne bien musicalement il faut que tout soit impeccable notamment que les chanteurs ne chantent pas seulement les notes, et que le chef aborde cette musique complexe en associant cette complexité à une approche théâtrale qui soit sans cesse présente. Le théâtre est dans la musique, et si l’on ne s’intéresse qu’à la complexité de la partition même pour en exhiber toutes les beautés de manière exclusivement symphonique, ça rate et c’est bien ce qui est arrivé à Sir Simon Rattle à la tête de ses Berliner Philharmoniker. Tout occupé à fouiller les notes jusqu’au moindre détail, tout occupé à faire sonner merveilleusement l’orchestre, à en faire émerger les chatoyances et les moirures, à exalter les bois et le velours des cordes dans une introduction au 3ème acte qui nous ferait mourir de bonheur si les cloches n’étaient pas aussi fortes et n’étouffaient pas l’orchestre (acoustique problématique de la salle), tout occupé à nous guider dans le labyrinthe des sons pucciniens, Sir Simon Rattle oublie qu’il est au théâtre et que le relief théâtral, dans la musique de Puccini, est un élément déterminant de la réussite du rendu de l’opéra. La direction musicale manque de relief et manque de tension, le tempo est lent, trop lent, et l'ensemble reste mou. où est Tosca ?
La distribution réunie ne passe pas la promesse des fleurs : Peter Rose en sacristain pédophile est trop sérieux, on l’a connu plus vivace, même si la voix sonne ; Alexander Tsymbalyuk qui est une très bonne basse, n’a pas en Angelotti l’émission idéale ni le phrasé voulu pour ce (petit) rôle.
Evghenyi Nikitin ne peut pas chanter Scarpia, la voix est trop claire, et surtout il n’est pas en capacité de chanter les aigus, il est couvert dans le Te Deum du premier acte, et n’arrive pas à la note pour les sei mia du deuxième acte, où la voix se casse, racle, déraille de manière spectaculaire et désagréable. Il soigne le phrasé pour les parties plus centrales, mais sa voix n’est pas adaptée au rôle, qui exige une puissance, un volume et une étendue de tessiture qu’il n’a pas. Il ne peut chanter Scarpia.

Marcelo Álvarez en Mario a toujours ce timbre clair et solaire qui enchante l’auditeur, mais son Mario manque d’investissement, de profondeur, de personnalité. C’est un Mario anonyme promené de théâtre en théâtre, sans grand intérêt interprétatif : si les aigus sont là, ils le sont en volume mais sans intensité, et systématiquement précédés d’un silence pour prendre le souffle qui nuit à la ligne de chant et au naturel de l’expression, ce qui est surprenant pour un ténor de ce niveau. Pour tout dire, il manque un engagement et une incarnation.
Kristine Opolais a les aigus, elle les darde, mais a‑t‑elle une ligne ? Le registre central n’est pas très soutenu et la prestation reste en deçà de ce qu’on peut attendre d’une Tosca et d’une chanteuse de sa réputation. Mal dirigée scéniquement, elle n’arrive pas à incarner le personnage et son Vissi d’arte reste quelconque, comme si les paroles ne sonnaient pas en elle et que le corps n’exprimait rien, même si elle joue…C’est une Tosca artificielle et peu incarnée, et surtout, pas vraiment bien chantée, elle n’est jamais hors d’elle, ni vraiment convaincante, et surtout, elle ne diffuse aucune émotion. Il est vrai aussi qu’elle n’est encouragée ni par la mise en scène, ni par les partenaires.
Ainsi aucun des trois ne donne l’impression de se livrer, mais d’être dans une sorte d’obligation à chanter, sans âme ni vraie chaleur : dans Puccini, c’est délétère.

Quant à la mise en scène, elle oscille entre le ridicule et le maladroit, voire le contresens : c’est le type même d’actualisation qui ne rajoute rien à l’œuvre, avec une utilisation de la vidéo complètement inutile et qui n’est qu’habillage sans  faire percevoir d'espaces nouveaux à la signification.
L’acte I se déroule dans une église, et apparemment rien ne change par rapport à la vision traditionnelle : certes, le tableau est étendu au sol, certes, entouré d’une herse de projecteurs, certes, avec un écran plat qui renvoie l’image de l’Attavanti dont le portrait gigantesque est aussi projeté au mur mais cela ne change rien de l’intrigue, c’est simplement du décoratif moderne ; certes aussi le sacristain s’intéresse d’un peu près à un petit garçon du chœur des enfants, sans doute pour faire mode : la pédophilie dans l’église cela devient un lieu commun. Mais quel est le rapport avec Tosca ?
L’arrivée de Scarpia change un peu les perspectives : il arrive vêtu de noir, avec une sorte d’insigne qui est la réplique de ce qu’on voit dans l’oculus de l’église…tous ses sbires sont vêtus de la même manière et tous portent une coiffure (perruque) blonde avec un catogan. Nous sommes donc dans un moment post-contemporain, un monde à la Orwell, un monde de matin brun aux mains d'une secte qui domine religieusement et politiquement le monde, l’église est celle de ladite secte, et le sacristain fait partie de cette société, métaphore moderne de la société vaticane du début du XIXème siècle… Dans ce monde, les hiérarques se permettent tout et la morale est élastique, d’où les tendances pédophiles affichées du sacristain.
Tosca apparaît comme une tache rouge, vêtue de rouge aux trois actes, le rouge passion, bien entendu, qui en fait le point de focalisation de la scène …pendant que seul Cavaradossi est à peu près le peintre de toujours, interchangeable dans toutes les Tosca du monde.
L'acte II est une vaste pièce recouverte d’écrans sur lesquels se projettent les vidéos, et notamment des vidéos des caméras de surveillance du monde extérieur, mais aussi les vidéos de ce qui se passe dans la pièce où se trouve une caméra . C’est le bureau du chef, fauteuils modernes avec le signe cryptique lumineux de la secte, bureau laqué noir, avec micro que vont se disputer Tosca et Scarpia pour parler à Mario dans la salle de torture, et ordinateur qui reprend les images de Mario torturé que Scarpia montre à Tosca pour la forcer à parler, une salle de torture « propre » puisqu’en sortira, quand Tosca aura donné la cache d'Angelotti,  une sorte de docteur Mengele quelconque avec sa trousse aux horreurs.
L'acte III s’ouvre dans l’enchainement, dans le même décor, où le berger chante. C’est le jeune garçon du premier acte attendu ensuite par le sacristain qui l’emmène, pendant que s'abaisse un rideau écran car tout le troisième acte se déroule au proscenium, séparé du décor par ce mur translucide. Et Mario est tué non par le peloton, mais par un sbire, arme sur la tempe cagoulée du condamné. Une arme qui est un tube, sorte de pistolet à ultra-sons ou à laser qui tue proprement, et dont Tosca se servira au lieu de se jeter du haut du Château Saint Ange.

Une mise en scène censée nous montrer le monde totalitaire d’aujourd’hui ou celui que nous risquons de rencontrer demain, d’où toute morale est effacée, un monde de méchants universels où les bons sont condamnés, un monde glacial et laqué où le peuple est à la fois forcé d’obéir et d’adorer le Dieu des vainqueurs.
En réalité, rien de neuf : les éléments qui font Tosca sont là et c’est beaucoup de bruit pour rien. Philipp Himmelmann crée un contexte anecdotique qui n’ajoute rien à l’œuvre, qui l’affaiblit au contraire, car tous ces gadgets atténuent la force de l’histoire au lieu de lui donner du relief et du sens. Une mise en scène très traditionnelle a tout autant de force sinon plus et en dit tout autant sur le totalitarisme, les tortures policières et la surveillance. On pourrai suggérer à Philipp Himmelmann de jeter un coup d'oeil sur Avanti a lui tremava tutta Roma, un film de Carmine Gallone (1946) avec Anna Magnani et Tito Gobbi, qui n'est pas un chef d'oeuvre, mais en apprend tout autant sur le totalitarisme voire plus que ce travail inutile.
Au total une triste expérience, où à part la beauté intrinsèque des Berliner Philharmoniker entrainés malgré eux dans cette aventure, on ne voit pas quoi sauver.

Retransmis par Arte TV et Arte Concert  le 17 avril à 20h15

 

 

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Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.
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1 COMMENTAIRE

  1. Tout à fait d'accord.Kristine Opolais est très décevante.Faux tragique.Son glamour fascine certains mais pour moi celle qui demeure une grande dans ce rôle c'est LA CALLAS !

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