Hamlet Transgression, d'après Shakespeare, Hamlet Machine de Heiner Müller et Winterreise de Franz Schubert.

Laurence Malherbe, soprano
Dominique Jacquet, comédienne

Jacques David (Metteur en scène),
Christophe Séchet (électroacoustique),
Elise Blaché (Dramaturgie), E
mmanuelle Debeusscher (Scénographie),
Agnès Marillier (Création costumes),
Laurent Nennig (Création lumières).

Arrangements musicaux du Winterreise de Franz Schubert par Excursus (Laurence Malherbe, Laurent David, Faro, Éric Groleau).

Production Théâtre de l'Erre (Saint-Denis)

"Richard III, Loyauté me lie",
un spectacle d'après Shakespeare,
mis en scène par Jean Lambert-Wild, Lorenzo Malaguerra et Gérald Garutti et interprété par Elodie Bordas et Jean Lambert-Wild.

Stéphane Blanquet (Scénographie) ,
Nourel Boucherk (Régie son) ,
Christophe Farion (Régie son) ,
Renaud Lagier (Création lumières) ,
Jean Lambert-Wild (Scénographie) ,
Frédéric Maire (Régie vidéo) ,
Claire Seguin (Direction technique) ,
Annick Serret-Amirat (Création costumes) ,
Jean-Luc Therminarias (Musique) ,
Alban Van Wassenhoven (Régie vidéo) ,
Thierry Varenne (Assistant(e) à la scénographie) Stéphane Blanquet et Christian Couty (Armure en porcelaine de Limoges), Stéphane Blanquet et Olive (Accessoires et marionnettes), Alicya Karsenty (Recherches et documentation), Zelda Bourquin et Guillaume Lambert (Assistanat à la dramaturgie), Claude Durand & Didier Marti.

3 novembre 2016 au Théâtre de l'Aquarium – La cartoucherie (Paris)

Le théâtre de l'Aquarium – La Cartoucherie présente jusqu'au 3 décembre un remarquable diptyque autour de Hamlet et Richard III. C'est tout d'abord "Hamlet transgression" de Jacques David, autour de la rencontre entre Heiner Müller et Franz Schubert, puis une impressionnante adaptation du chef d'œuvre de jeunesse de Shakespeare : un Richard III aux saveurs de fiel, de poudre et de sucre filé…

À déguster sans réserve.

C'est l'histoire de deux histoires, un diptyque shakespearien qui met en regard deux couples de personnages. Un prélude et une fugue.

Le prélude, c'est "Hamlet Transgression", mis en scène par Jacques David autour de la combinaison d'un texte parlé (Hamlet Machine de d'Heiner Müller) et chanté (Winterreise de Schubert). Cet amalgame composite fusionne deux univers différents comme on chercherait à introduire un théâtre dans le théâtre. Ce principe de la mise en abyme interroge notre époque de la même manière que chez Shakespeare, il faisait éclater la vérité. Récité à fleur de mots, ce monologue à deux voix réunit une comédienne (Dominique Jacquet) et une soprano (Laurence Malherbe). À l'étrangeté du texte de Heiner Müller se mêle les accents du dépressif Winterreise de Franz Schubert, transcrit dans un style rock cold-wave qui atomise et étire sous des riffs de guitare électrique le texte de… Wilhelm Müller.

Moins fouillée et moins originale que la fameuse "interprétation composée" de Hans Zender, cette ombre portée sonore crée une forme de déclinaison et de contrepoint à l'incipit de Hamlet Machine : "J'étais Hamlet. Je me tenais sur le rivage et je parlais avec le ressac BLABLA, dans le dos les ruines de l'Europe". Interrogeant la question de l'acteur et du rôle, ce jeu de dupes met à nu les mécanismes qui font du théâtre une convention. Avec Heiner et Wilhelm Müller pour témoins, ce bref spectacle dévide un écheveau poétique et désabusé, élevant l'impossible décision du héros shakespearien à la dimension d'un mythe moderne. Moulée dans une robe en lamé aux faux airs de vamp voluptueuse et dégingandée, la soprano Laurence Malherbe n'égale pas l'interprétation de Dominique Jacquet, alternance de sarcasme et de tragédie dans un registre intime très touchant.

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La fugue à présent. Une fugue à deux sujets, 21 scènes et une quarantaine de voix. Ce Richard III – sous-titré par la devise (historique) "Loyaulté me lie"- est vêtu d'un comique pyjama à rayures et grimé en clown blanc. Cet accoutrement renvoie à la hiérarchie inversée qui organise les codes circassiens ; ce roi-clown trouve en Jean Lambert-wild un interprète de premier ordre, capable de mêler à son interprétation le fiel et la démence d'une pièce qu'il a adaptée et concentrée avec Gérald Garutti sur une durée totale de deux heures. Bouleversante d'abattage et de présence, Elodie Bordas se glisse d'un personnage à un autre avec une agilité à couper le souffle. Elle incarne, à elle seule, une quinzaine de rôles, de Lady Anne à l’écuyer, du duc de Buckingham aux enfants de Clarence… Pour compléter cette galerie de personnages, le plasticien et décorateur Stéphane Blanquet a imaginé une sorte de baraque foraine, dont les couleurs bigarrées et les dessins psychédéliques s'agrémentent de projections d'images de synthèse qui font surgir et dialoguer des êtres fantomatiques. C'est par exemple, Clarence, le frère de Richard, dont le visage poupin apparaît sur une baudruche et dont le meurtre se réduit à une aiguille qui la fait éclater. Plus loin, ce seront le prince Edouard et le duc d'York, deux barbes à papa qui finiront piteusement à terre, ou bien encore la décapitation de Hastings symbolisée par ce jeu de foire qui consiste à écraser un énorme marteau pour mesurer sa force pour faire jaillir une pluie de confettis. La cruauté et le sadisme sont métaphorisés par des éléments qui d'ordinaire appartiennent au monde souriant de l'enfance. En travaillant ce décalage sémantique, Jean Lambert-wild fait des péripéties de ce monarque avide de pouvoir et de sang, une longue suite d'images à l'humour glacé et glaçant. Plus que jamais, le Mal est ici montré sous son jour le plus cru et le plus nécessaire – machiavélisme qui pousse à une course à l'abîme dont il sera lui-même victime. Egotisme fulminant… "Myself upon Myself".

Coiffé du bonnet conique en guise de couronne royale, Richard se livre littéralement à un jeu de massacre lorsqu'il crève un mur de ballons avec un fusil mitrailleur – jeu de massacre qui devient prémonitoire quand il se met à bombarder les dizaines de têtes en carton-pâte à son d'effigie. Cette traduction de la tragédie en monstrueuse et sanglante fête foraine fait du personnage central un bouffon magnifique et terrifiant. On trouve ici les éléments sur lesquels repose la réflexion de Kleist dans son ouvrage sur le spectacle de marionnettes. Un simple tréteau de foire et des changements de costumes qui ne cherchent jamais à dissimuler les trucages font le sel de cette dramaturgie fascinante.

Ce Shakespeare sent la poudre, le fard et le sucre filé. On y manipule à vue des rideaux rouges, des automates, sur fond de rideau de fumée et de paillettes… accessoires d'une psychopathie dont les contours vont de pair avec la fragilité physique. Contrairement à l'imagerie traditionnelle de Richard III (confirmée par les récentes productions de Thomas Jolly ou Thomas Ostermeier), le handicap et la laideur physique ne sont pas ici mises au premier plan. Quand s'annonce la bataille de Bosworth qui lui sera fatale, Richard apparaît, le corps orné d'une fine et délicate armure de porcelaine – subtile allusion et ultime pied de nez surréaliste d'un personnage qui sombre dans la folie et la noirceur. Détrôné et désarçonné dans un même mouvement, le Pierrot farceur et meurtrier chute dans le vide. Sa dépouille se balance dans les airs tandis que résonne le fameux "Un cheval ! Mon royaume pour un cheval !". Une dispensable projection montre alors la cérémonie des funérailles organisées en 2015 dans la cathédrale de Leicester. Infime bémol pour une soirée qui remporte un succès indiscutable et mérité.

à voir en streaming sur ce lien : http://culturebox.francetvinfo.fr/theatre/theatre-contemporain/richard-iii-loyaulte-me-lie-par-jean-lambert-wild-249777

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David Verdier
David Verdier Diplômé en musicologie et lettres modernes à l'université de Provence, il vit et enseigne à Paris. Collabore à plusieurs revues dont les Cahiers Critiques de Poésie et la revue Europe où il étudie le lien entre littérature et musique contemporaine. Rédacteur auprès de Scènes magazine Genève et Dissonance (Bâle), il fait partie des co-fondateurs du site wanderersite.com, consacré à l'actualité musicale et lyrique, ainsi qu'au théâtre et les arts de la scène.

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4 Commentaires

  1. Je trouve toujours tout à fait étonnant qu'un critique oriente son approche et se positionne par le biais de comparaisons de deux choses en rien comparable… C'est encore une fois le cas ici : la version du Winterreise présentée dans "HAMLET TRANSGRESSION" dans une esthétique rock électrique utilisant les codes Néo-Romantiques de la Cold-Wave (car la cold-wave est un mouvement musical qui s'apparente au Romantisme, cela ne vous aura pas échappé ?) n'a aucune espèce de rapport avec l'esthétique, l'approche ou la construction de l'œuvre de Zender, compositeur de musique contemporaine, composée pour instruments classiques et voix lyrique.
    Il ne vous aura pas échappé non plus que la chanteuse de cette version rock passe du registre lyrique à une utilisation vocale rock et moderne de manière tout à fait remarquable… Pourquoi, là encore la mettre en comparaison (compétition ?) avec la performance d'une comédienne (tout aussi remarquable) mais qui n'a rien à voir ? Je ne comprends pas l'intérêt ni pédagogique ni didactique de votre approche comparative assez peu argumentée ni même fouillée car évoquer cette version du Winterreise qui s'apparente plus à une démarche Rock progressif en la comparant à celle de Zender, compositeur de musique dite "sérieuse" n'est en rien éclairant … A ce moment là, pourquoi ne pas évoquer celle de Corn Mo ? Ou la version de Loibner ? Ou toutes les autres d'ailleurs, suivant votre logique ?

    Je ne parlerai pas du second spectacle car nous n'avons apparemment pas vu le même …

    • Cher monsieur, la parenté romantique des genres musicaux que vous évoquez ne justifie pas qu'on pousse la transgression jusqu'à oublier les éléments qui constituent la base d'une technique vocale que vous appelez "registre lyrique". En pointant Zender, il s'agit ici moins de comparer que de suggérer un couplage possible et qui, à mon sens, aurait donné davantage de profondeur à cet Hamlet Transgression. Vos allusions à Corn Mo et Loibner m'ont conduit à replonger dans des expériences auditives que je ne souhaiterais à personne. Sans pousser la transgression à ce point, accordez moi le droit de ne pas trouver dans la voix de Laurence Malherbe les émotions que vous avez pu y trouver. Si j'avais voulu opposer "musique savante" et "musique populaire", peut-être aurais-je préféré entendre en seconde partie le Shakespeare de Laurence Olivier et non le transgressif Jean Lambert-wild…

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