« La Maison de Victor Hugo fête ses 120 ans »

Exposition gratuite, Maison de Victor Hugo, Paris, du 10 mai au 3 septembre 2023.

 

Commissaire général : Gérard Audinet, directeur des Maisons de Victor Hugo Paris-Guernesey

Commissaires : Alexandrine Achille, chargée de la colelction photographique ; Claire Lecourt, régisseuse du musée ; Florence Zouzières, bibliothécaire, chargée du pôle documentaire

C’est vraisemblablement le premier « musée littéraire » à avoir ouvert en France : la Maison de Victor Hugo, à Paris, célèbrera en juin ses 120 années d’existence. Pour l’occasion, une exposition gratuite revient sur les origines du projet, sur le contenu initial du musée, et dévoile une alléchante partie de ses riches collections.

« Le souvenir, c’est la présence invisible ». Cette phrase orne le dossier de presse de l’exposition avec laquelle la Maison de Victor Hugo fête son cent-vingtième anniversaire. En effet, c’est en 1903 que fut transformé en musée l’immeuble de la Place des Vosges, au deuxième étage duquel le poète avait habité de 1832 à 1848. Commémorer ces douze décennies d’existence, c’est avant tout rendre hommage à un personnage aujourd’hui bien oublié du grand public : Paul Meurice (1818–1905). Présenté à Hugo par Auguste Vacquerie en 1836, Meurice devint son ami et son homme de confiance, et fut finalement choisi pour être un de ses exécuteurs testamentaires. Romancier et dramaturge, Meurice écrivit ou cosigna diverses adaptations théâtrales des œuvres de Hugo, Les Misérables avec Charles Hugo, fils du poète, ou Quatre-Vingt-Treize. Plein d’admiration pour son illustre ami, Paul Meurice jugeait qu’à l’instar de l’Allemagne avec sa maison de Goethe ou de l’Angleterre avec sa maison de Shakespeare, la France devait se doter d’une maison de Victor Hugo. Hauteville-House, à Guernesey, ne serait offerte à la Ville de Paris qu’en 1927, mais de toute manière, ce haut lieu hugolien n’était pas situé sur le territoire français ; il fallait donc trouver un autre endroit, à l’intérieur de l’Hexagone. Le bâtiment du 6, Place des Vosges appartenait déjà à la ville et abritait une école, qui fut peu à peu délogée (elle ne partit définitivement qu’en 1995). Il était donc possible d’imaginer une musée Hugo dans les murs mêmes où le grand homme avait vécu. Restait à résoudre une question fondamentale : que montrer dans ledit musée ? Autrement dit, comment rendre visible l’illustre disparu ?

1er étage, salle des peintures, à l'ouverture du musée, 1903, photographié par Paul Duchenne, © Paris Musées / Maisons de Victor Hugo Paris-Guernesey

 

Il fallait donc constituer une collection exposable, et surtout susceptible d’intéresser les visiteurs. Les manuscrits de Hugo intéressaient surtout les chercheurs, et n’offraient pas forcément de quoi retenir l’attention du public. De toute façon, ils étaient destinés à la Bibliothèque Nationale, tout comme les dessins ; Paul Meurice réussit malgré tout à obtenir quelques créations visuelles du romancier, au prix d’une légère entorse aux dernières volontés de son ami défunt. Autre pièce maîtresse : le contenu de la maison de Juliette Drouet à Guernesey, dont le décor « chinois » fut installé d’emblée dans le grand salon de la Place des Vosges, les photographies anciennes en témoignent. Mais cela ne suffisait pas encore, et c’est là que Paul Meurice eut une grande idée, qui dut coûter fort cher, mais qui allait transformer la maison de Victor Hugo en une sorte de galerie d’art contemporain : il commanda à toute une série d’artistes en vue des peintures hugoliennes, représentant de grands moments de la vie de l’écrivain, ou des épisodes fameux de ses écrits. Ayant dirigé la publication d’éditions illustrées des œuvres de Hugo, Meurice connaissait l’importance de l’image et sa capacité à frapper les esprits. L’exposition donne donc à voir diverses toiles alors commandées aux artistes les plus divers. Raffaëlli peignit ainsi La Fête du 27 février 1881, belle évocation des célébrations organisées par la IIIe République pour marquer l’entrée de Victor Hugo dans sa quatre-vingtième année. Les autres sont inspirées par les romans, les pièces de théâtre et les poèmes. Si plusieurs sont généralement visibles dans le cadre des collections permanentes, comme le magnifique Une larme pour une goutte d’eau de Luc-Olivier Merson, où Esmeralda abreuve Quasimodo, bien d’autres peuvent cette fois être (re)découvertes : le grand Don César de Bazan de Roybet, peintre qui a donné son nom au musée de Courbevoie, Le Satyre que réalisa Fantin-Latour durant l’avant-dernière année de sa vie, la Fantine abandonnée d’Eugène Carrière… Le choix ne fut sans doute pas laissé au hasard, et chaque artiste traita un sujet recoupant ses préoccupations habituelles : nudité rousse pour Sara la baigneuse de Henner, représentation des humbles pour Les Pauvres Gens de Steinlen, etc.

Ferdinand Roybet (1840–1920). "Don Cesar de Bazan". Huile sur toile, vers 1903. © Paris Musées / Maisons de Victor Hugo Paris-Guernesey

Trois salles sont ensuite consacrées à trois œuvres phares. Notre-Dame de Paris, évidemment, en premier lieu, avec des dessins sont pour la plupart des illustrations destinées au roman (dont celles de Gustave Doré), mais aussi des œuvres indépendantes, comme l’impressionnante et anonyme sculpture montrant Quasimodo chevauchant une cloche. Les Misérables, autre texte incontournable, est évoqué à travers les images conçues par Gustave Brion, mais aussi celles d’Emile Bayard, dont la « Cosette balayant » de 1879 accéda un siècle plus tard à une célébrité mondiale lorsqu’elle fut utilisée pour l’affiche de la comédie musicale tirée du roman. Choix plus inattendu avec Les Burgraves, pièce créée en 1843, reprise à la Comédie-Française en 1902 pour le centenaire de Hugo (de ces représentations date toute une série de photographies et surtout l’admirable portrait de Madame Segond-Weber dans le rôle de la sorcière Guanhumara par René-Joseph Gilbert), et remontée uniquement en 1977, sous une forme tronquée, par Antoine Vitez. A quand une nouvelle production de ce texte dont d’aucuns prétendent qu’il préfigure le théâtre symboliste ?

La salle suivante, consacrée à la poésie, poursuit dans cette veine originale avec deux textes rares, Le Pape et La Fin de Satan, opposant les illustrations élaborées par deux artistes bien différents. Pour Le Pape, c’est le très historiciste Jean-Paul Laurens qui imagine des images très proches de ses toiles évoquant divers moments du Moyen Âge, mais avec en plus une inspiration fantastique qu’on ne lui connaît guère. Pour La Fin de Satan, c’est à Emile Bernard que s’adressa le ministre et bibliophile Louis Barthou, en vue de célébrer par cette publication le cinquantenaire de la mort de Hugo en 1935 (le commanditaire mourut assassiné un an avant la parution du volume) ; après avoir été avec Gauguin l’inventeur du synthétisme, Emile Bernard avait renié les audaces de sa jeunesse au profit d’un néo-classicisme parfois corseté, mais il se montra très inspiré dans la plupart des cinquante eaux-fortes qu’il conçut alors. Laurens avait lui aussi envisagé d’illustrer ce texte, mais le projet avorta, ce qu’on regrette en découvrant les deux dessins présentés dans la même salle, pleins de force et d’imagination.

Emile Bernard (1868–1941). Suite des eaux-fortes originales, en 1er état sur japon, pour "La Fin de Satan. Premier état des eaux-fortes. N° 5. "Comme sur une braise il se mit à souffler"". Eau-forte et aquatinte. 1935. Paris, Maison de Victor Hugo.

La dernière salle, qui accueille des « Regards d’aujourd’hui », laisse d’abord dubitatif, face aux œuvres d’Arnulf Rainer, qui se contente d’ajouter ses traits de pinceau ou de crayon par-dessus des dessins de Victor Hugo. Plus intéressant s’avère le travail de Julius Baltazar (né en 1949), qui collabora avec Michel Butor pour illustrer un texte où l’écrivain suisse relatait une visite de Hauteville House, et qui produisit ensuite plusieurs toiles dont l’expressionnisme abstrait répond aux ambiances aquatiques évoquées dans Les Travailleurs de la mer. Tout aussi modernes, un siècle auparavant, semblent les deux encres sur bois de Hugo lui-même, Vivez et Mourez.

Au deuxième étage, le parcours de visite habituel inclut quelques vitrines nouvelles et surtout une petite salle dédiée à Jean Hugo (1894–1984), arrière-petit-fils de Victor, que l’on connaît comme peintre et époux de Valentine Gross, mais qui fut aussi l’un des grands donateurs du musée, surtout en matière de lettres, d’archives et de manuscrits.

Cette riche sélection, parmi les 70 000 pièces que comptent aujourd’hui les collections de la Maison de Victor Hugo, remplit d’autant mieux sa mission qu’au sortir du musée, on se sent animé d’une envie : relire, ou lire pour la première fois ces textes de l’illustre disparu, rendu visible de la meilleure façon.

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Laurent Bury
Ancien élève de l’ENS de la rue d’Ulm, auteur d’une thèse consacrée au romancier britannique Anthony Trollope (1815–1882), Laurent Bury est Professeur de langue et littérature anglaise à l’université Lumière – Lyon 2. Depuis un quart de siècle, il a traduit de nombreux ouvrages de l’anglais vers le français (Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, Orgueil et préjugés de Jane Austen, Voyage avec un âne dans les Cévennes de Stevenson, etc.) ; dans le domaine musical, on lui doit la version française du livre de Wayne Koestenbaum, The Queen’s Throat, publié en 2019 par les éditions de la Philharmonie de Paris sous le titre Anatomie de la folle lyrique. De 2011 à 2019, il fut rédacteur en chef adjoint du site forumopera.com, puis rédacteur en chef de novembre 2019 à avril 2020. Il écrit désormais des comptes rendus pour plusieurs sites spécialisés, dont Première Loge.
Crédits photo : © Paris Musées / Maisons de Victor Hugo Paris-Guernesey

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