Marcel Proust, un roman parisien.
Musée Carnavalet, du 16 décembre 2021 au 10 avril 2022.

Commissariat général : Valérie Guillaume, directrice du Musée Carnavalet
Commissariat scientifique : Anne-Laure Sol, conservatrice en chef du patrimoine, responsable du département des peintures et vitraux, Musée Carnavalet

Comité scientifique : Jérôme Bastianelli, Luc Fraisse, Jean-Marc Quaranta, Jean-Yves Tadié, Alice Thomine-Berrada

Conception scénographique : Véronique Dollfus / Atelier JBL – Claire Boitel / Sarah Scouarnec

 

Catalogue sous la direction d’Anne-Laure Sol, publié par Paris Musées. Relié, 256 pages, 250 illustrations, 39,90 euros.
Textes de Mathias Auclair, Sophie Basch, Jérôme Bastianelli, Évelyne Bloch-Dano, Roselyne Bussière, Delphine Desveaux, Emily Eells et Elyane Dezon-Jones, Zelda Egler, Vincent Ferré, Luc Fraisse, Adrien Goetz, Laure Murat, Guillaume Pinson, Jean-Marc Quaranta, David Simmoneau, Jean-Yves Tadié, Alice Thomine-Berrada

Visite effectuée le jeudi 16 décembre 2021 à 14h30.

A la recherche du temps perdu, ce n’est pas qu’Illiers-Combray ou Cabourg-Balbec, c’est aussi Paris, l’hôtel particulier où habitent à la fois les Guermantes et les parents du narrateur, l’appartement où Albertine devient la Prisonnière, et la capitale transformée par le premier conflit mondial. En cette saison de double commémoration, le Musée Carnavalet propose jusqu’au printemps une exposition qui met en relief tout ce Paris doit à Proust et réciproquement.

Cet hiver, les expositions parisiennes honorent deux illustres écrivains français : tandis que la BnF a ouvert le 3 novembre une manifestation consacrée à Charles Baudelaire, le Musée Carnavalet honore Marcel Proust. Dans les deux cas, la commémoration est dictée par un anniversaire de naissance : bicentenaire l’auteur des Fleurs du mal, sesquicentenaire pour celui de Du côté de chez Swann, à quoi s’ajoutera d’ici peu un anniversaire de décès, puisque Proust est mort en 1922. Mais si la BnF évoque surtout un univers fantasmatique, l’autre institution, officiellement consacrée à l’histoire de la ville de Paris, se concentre de manière assez logique sur l’évocation de la capitale qu’on peut trouver dans A la recherche du temps perdu.

Adieu Combray, adieu Balbec, adieu Venise, donc. De l’univers proustien, l’exposition du Musée Carnavalet choisit de ne retenir que l’un des lieux. Mais puisque l’inégalité des pavés de la cour de l’hôtel de Guermantes suffit à faire ressurgir la mémoire des dalles du baptistère de San Marco, tout est dans tout et réciproquement, et le Paris du narrateur d’A l’ombre des jeunes filles en fleurs contient peut-être en lui toutes les villes, et même un peu de campagne.

Deux paris sont successivement présentés au fil du parcours de visite : d’abord le Paris vécu, celui dans lequel Proust passa à peine un demi-siècle, puis le Paris écrit, la capitale telle qu’elle figure dans les sept volumes de la Recherche, depuis l’enfance du narrateur jusqu’aux scènes situées pendant la Première Guerre mondiale.

Henri Gervex, Une soirée au Pré-Catelan, 1909 Collection du musée Carnavalet – Histoire de Paris CCØ Paris Musées / Musée Carnavalet – Histoire de Paris 

Si Marcel Proust a d’abord vécu à Auteuil, rue La Fontaine, l’exposition s’ouvre sur une rapide présentation de ses ancêtres, maternels notamment, avec la fabrique de porcelaine fondée par son arrière-grand-père Baruch Weill, rue du Temple. Photos, portraits et lettres de famille laissent très vite la place aux toiles d’un petit maître durablement associé au Paris de la Belle Epoque : Jean Béraud (1849–1935), dont le Musée Carnavalet possède une collection nombreuse, qui permet d’évoquer aussi bien le Lycée Condorcet, où Proust fut scolarisé, que les cafés des grands boulevards ou les salons mondains. Henri Gervex figure également en bonne place dans l’exposition, avec notamment sa grande toile Une soirée au Pré Catelan (commande du propriétaire dudit restaurant, exposée en 1909, acquise par le musée en 2001) ou le très beau Bal de l’Opéra (1886, acquis par le Musée d’Orsay en 2016). Cependant, le génie proustien ne suscite pas que le rapprochement avec Le Sidaner ou Prinet, et les Impressionnistes sont également présents, Pissarro avec une Avenue de l’Opéra, Caillebotte avec ses toits de Paris enneigés ou ses pavés ébauchés. En guise d’équivalent aux œuvres d’Elstir, une des variations de Monet sur la Gare Saint-Lazare. Et une brumeuse vue de Paris par Eugène Carrière nous montre le seul autre peintre moderne qui trouve grâce aux yeux des Guermantes.

Evidemment, le Musée Carnavalet s’enorgueillit de posséder le mobilier de la dernière chambre de Proust : pour l’exposition, une présentation « immersive » est proposée, chaque objet se décrivant lui-même dans un langage fleuri (« biographies » écrites par Jean-Marc Quaranta). Surtout, à côté du lit, de la chaise longue et d’un fragment de revêtement mural en liège, on peut voir la fameuse pelisse de l’écrivain, à laquelle Lorenza Foschini avait consacré tout un roman en 2012 (et dont Gérard Pesson a tiré le deuxième acte de son opéra Trois Contes). Dans la même salle, un impressionnant échantillon des fameuses paperolles vient compléter les propos tenus par Céleste Albaret vers la fin de sa vie, et confirme l’aspect « mité » que prenaient les épreuves de la Recherche, découpées et recollées sur de plus grandes pages, parasitées par des fragments manuscrits.

 

Mobilier ayant appartenu à Marcel Proust Collection du musée Carnavalet – Histoire de Paris © Pierre Antoine / Paris Musées / Musée Carnavalet – Histoire de Paris

La deuxième partie revient sur quelques lieux emblématiques du Paris décrit par le narrateur : les Tuileries où il retrouve Gilberte, les Champs-Elysées et leurs pissotières, le Bois de Boulogne, mais aussi, à ne pas mettre devant de chastes yeux, le monde de Sodome et Gomorrhe, avec les bordels masculins dont le fameux hôtel Marigny dirigé par Albert le Cuziat, ancien valet de chambre et modèle du giletier Jupien dans le roman (l’exposition inclut même quelques rapports de police sur les activités de l’établissement).

On pourrait croire que cette exposition sur le Paris proustien revient à montrer le Paris 1900 : ce serait oublier que la géographie proustienne limite la capitale à quelques quartiers, à l’exclusion de nombreux autres. Evidemment, les arrondissements populaires n’ont guère leur place dans la Recherche, qui se concentre sur le quart nord-ouest de la ville. Le fameux paragraphe des cris de Paris constitue l’une des rares incursions des classes laborieuses dans un texte où, par ailleurs, elles ne sont guère représentées que par les domestiques vivant chez leurs maîtres. La Rive Gauche est largement absente, Proust fréquentant davantage l’aristocratie du faubourg Saint-Honoré que celle du faubourg Saint-Germain.

Henri Le Sidaner, La Place de la Concorde, 1909 Musée des Beaux-Arts, Tourcoing © Bridgeman Images 

Tout au long du parcours, en contrepoint des images d’époque, sont proposés des exemples d’éditions illustrées de la Recherche : celle pour laquelle Gallimard sollicita Kees Van Dongen, bien sûr, publiée en 1947, mais aussi celle de 1968, où les images furent confiées à Philippe Jullian (1919–1977), ou d’autres plus récentes. A intervalles réguliers, le visiteur est convié à écouter des extraits de la Recherche, ou quelques passages de Pelléas et Mélisande que Proust savourait grâce à l’extraordinaire « Théâtrophone », et des écrans permettent de projeter des interviews (Cocteau racontant la façon dont Proust lisait ses textes à ses amis, en commentant « C’est idiot ! ») et des extraits d’adaptations cinématographiques (Un amour de Swann de Volker Schlondorff sorti en 1984, Le Temps retrouvé de Raul Ruiz sorti en 1999) ou télévisées (A la recherche du temps perdu de Nina Companeez diffusé pour la première fois en 2011. Quelques vitrines contiennent aussi cannes et hauts-de-forme, ou une robe de Fortuny ayant appartenu à la comtesse Greffulhe. Dans les salles permanentes du musée, une présentation est également consacrée à l’une des amies de Proust, la poétesse Anna de Noailles.

Catalogue :
Catalogue sous la direction d’Anne-Laure Sol, publié par Paris Musées. Relié, 256 pages, 250 illustrations, 39,90 euros.
Textes de Mathias Auclair, Sophie Basch, Jérôme Bastianelli, Évelyne Bloch-Dano, Roselyne Bussière, Delphine Desveaux, Emily Eells et Elyane Dezon-Jones, Zelda Egler, Vincent Ferré, Luc Fraisse, Adrien Goetz, Laure Murat, Guillaume Pinson, Jean-Marc Quaranta, David Simmoneau, Jean-Yves Tadié, Alice Thomine-Berrada

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Laurent Bury
Ancien élève de l’ENS de la rue d’Ulm, auteur d’une thèse consacrée au romancier britannique Anthony Trollope (1815–1882), Laurent Bury est Professeur de langue et littérature anglaise à l’université Lumière – Lyon 2. Depuis un quart de siècle, il a traduit de nombreux ouvrages de l’anglais vers le français (Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, Orgueil et préjugés de Jane Austen, Voyage avec un âne dans les Cévennes de Stevenson, etc.) ; dans le domaine musical, on lui doit la version française du livre de Wayne Koestenbaum, The Queen’s Throat, publié en 2019 par les éditions de la Philharmonie de Paris sous le titre Anatomie de la folle lyrique. De 2011 à 2019, il fut rédacteur en chef adjoint du site forumopera.com, puis rédacteur en chef de novembre 2019 à avril 2020. Il écrit désormais des comptes rendus pour plusieurs sites spécialisés, dont Première Loge.
Crédits photo : © CCØ Paris Musées / Musée Carnavalet – Histoire de Paris (Pré Catelan)
© Pierre Antoine / Paris Musées / Musée Carnavalet – Histoire de Paris (Mobilier)
© Bridgeman Images (Place de la Concorde)

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