Exposition "Marcel Proust, la fabrique de l'œuvre" à la Bibliothèque Nationale de France (du 11 octobre 2022 au 22 janvier 2023)

Commissariat : Guillaume Fau, chef de service des Manuscrits modernes et contemporains, Antoine Compagnon, professeur émérite au Collège de France, Nathalie Mauriac Dyer, directrice de recherche à l'Institut des textes et Manuscrits modernes (ITEM, CNRS – Ecole Normale Supérieure).

Scénographie : Studio Matters
Eclairages : Aura Studio
Conception audiovisuelle : Dévocité

Catalogue de l'exposition sous la direction d'Antoine Compagnon, Guillaume Fau et Nathalie Mauriac Dyer

Coédition BnF Éditions / Éditions Gallimard

Format : 220 x 270 mm Nombre de pages : 240 Nombre d'illustrations : 185 Broché

Prix : 39 €

EAN 9782072989100

Paris, Bibliothèque Nationale de France le 21 octobre 2022

Pour la quatrième fois depuis 1947 et cette fois-ci à l'occasion du centenaire de sa disparition, la Bibliothèque nationale de France consacre à Marcel Proust un incontournable parcours parmi les manuscrits de l'écrivain. Imaginée selon la géographie originelle de la Recherche, "Marcel Proust, la fabrique de l'œuvre" dresse un portrait intime de l'auteur en faisant des étapes de la conception de l'œuvre les traces visibles de son imaginaire et de sa véritable personnalité. Près de 350 pièces sont rassemblées pour la première fois – principalement ébauches, carnets, placards et mise au net, mais également tableaux, photographies, objets et costumes. Aux documents issus du fonds Proust de la BnF ainsi que de collections privées et de prêts consentis par d'autres bibliothèques, s'ajoutent des pièces du musée d'Orsay, du musée du Louvre, de la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, de la Cinémathèque française, du musée Galliera, de la Fondation Bodmer à Genève. Cet ensemble extraordinaire entraîne le visiteur au cœur de la fabrique de l'œuvre, faisant le récit de l'élaboration l'un des plus grands chefs‑d'œuvre de la littérature universelle.

Après les expositions "Marcel Proust, un roman parisien" au Musée Carnavalet (décembre 2021 – avril 2022) et "Marcel Proust, du côté de la mère" (avril-août 2022) au Musée d'Art et d'Histoire du Judaïsme, c'est au tour de la Bibliothèque nationale de France de célébrer le plus grand écrivain français du XXe siècle en s'appuyant sur l'exceptionnel fonds Proust légué en 1962 par Suzy Mante-Proust, la nièce de l'écrivain à la Bibliothèque Nationale (et enrichi en 2020 par l'acquisition des fabuleux "75 feuillets", état initial de quelques grands épisodes de La Recherche), mais aussi les prêts en provenance de bibliothèques étrangères et de fonds privés. Le public circule dans l'œuvre-même à travers un parcours organisé d'une salle à l'autre selon l'organisation originelle (et souvent méconnue) de la Recherche. Cette tomaison diffère des sept tomes de l'édition canonique qui résulte d'un choix "plus rationnel" que Gaston Gallimard réussit à imposer à Robert Proust. Cette tomaison voulue par Proust se présente sous la forme suivante :

Du côté de chez Swann
À l'ombre des jeunes filles en fleurs
Le Côté de Guermantes I
Le Côté de Guermantes II – Sodome et Gomorrhe I
Sodome et Gomorrhe II
Sodome et Gomorrhe III, La Prisonnière – Albertine disparue
Sodome et Gomorrhe, suite
Le Temps retrouvé

À la recherche du temps perdu est une œuvre difficile d'accès par sa lecture, elle l'est d'autant plus quand il s'agit d'interroger ses sources d'inspiration, sa conception et même les conditions dans lesquelles elle fut éditée du vivant de Proust et de façon posthume. L'exposition de la BnF lève le voile sur la face cachée de cet atelier intime. On peut bien entendu choisir de visiter en sautant d'une madeleine à une autre, cherchant à retrouver les épisodes emblématiques du roman pour en recomposer ce qu'il est bien convenu d'appeler le "récit". C'est en s'éloignant des épisodes célèbres qui "résument" le récit qu'on pénètre par les arcanes jusqu'à ressentir l'épaisseur de l'écriture. On peut donc préférer à la commodité du synopsis le vagabondage d'une mémoire involontaire qui nous conduirait à trébucher sur les ratures comme sur les pavés inégaux de la cour de l'Hôtel de Guermantes ou laisser infuser la pure contemplation d'une "paperole" en habituant le regard à y discerner, à travers les fluctuations de la graphie, le tempo intérieur de la phrase proustienne et l'urgence de son imaginaire. Il faut distinguer les brouillons de premier jet, écrits sur des feuilles volantes ou des cahiers d'une écriture souple et hâtive ("J'écris au galop" disait Proust), des pages où la graphie est de toute évidence très soignée car il les destine à un copiste en vue d'une mise au net ou d'une saisie à la machine à écrire.

Cahier 54 « Venusté » La mort d’Albertine BnF,département des Manuscrits © BnF

Œuvre-cathédrale, la Recherche est un chantier d'écriture permanent qui occupa l'auteur de 1906 à 1922, ne lui laissant pas la possibilité de finaliser une édition qu'on pourrait dire "définitive". Paradoxalement, c'est le sentiment de la relativité de cette finitude qui domine d'une salle à l'autre. Le projet proustien dépasse sa stricte réalisation – inouïe leçon de littérature, qui fait de cette déambulation parmi des manuscrits devenus eux-mêmes des œuvres d'art une promenade-rêverie en abandonnant l'ordre littéral de la narration. Il est d'ailleurs quasiment impossible de retrouver l'ordre de l'écriture car Proust a écrit le premier et le dernier tome quasiment en même temps, en opérant rétrospectivement d'incessants changements dans la structure interne des différentes étapes intermédiaires. En déroulant la genèse du roman selon l'ordre des volumes, on suit au plus près la trajectoire qui mène de Du côté de chez Swann paru en 1913 au Temps retrouvé publié à titre posthume en 1927, grâce aux efforts de son frère Robert et à l'équipe de la Nouvelle Revue française.

 

On suit dans cette exposition les péripéties de l'histoire éditoriale de la Recherche, depuis le célèbre refus par cette même N.R.F. qui conduisit Proust à éditer Du côté de chez Swann à compte d'auteur chez Grasset en 1913 avant que Gaston Gallimard ne reprenne la main. On découvre les obstacles importants que posaient la transcription des manuscrits et les solutions apportées, souvent par Proust lui-même, pour résoudre l'irrépressible envie de retoucher et d'ajouter. Tous les manuscrits exposés dans ce parcours forment le prolongement de l'œuvre publiée de Proust. Ils constituent aussi, et c'est sans doute là l'aspect le plus fascinant, une œuvre : l'œuvre des manuscrits. Ainsi, ces placards inédits, insérés dans le volume d'une édition de luxe d'À l'ombre des jeunes filles en fleurs, publié en 1920 aux éditions de la Nouvelle Revue Française, soit deux ans après l'originale. Tirée à 50 exemplaires numérotés sur papier Bible, cette édition a la particularité d'être la seule édition purement bibliophilique de Proust publiée de son vivant, composée dans un inhabituel format in-quarto avec de très grandes marges. Décrite par Proust comme une "extraordinaire marqueterie où de larges fragments autographes alternent avec des épreuves, corrigées ou non", ces délicieux découpages-collages sont l'œuvre d'une certaine Mlle Rallet, dactylographe de la N.R.F. dont on ignore le prénom. Elle utilisa à la fois le manuscrit de Proust, les épreuves corrigées de Grasset (pour l'édition prévue en 1914) et celles de Gallimard (pour l'édition de 1919) en vue de la première édition de ce volume de luxe. Enthousiasmé par le résultat, Proust commenta ainsi ces planches : "le manuscrit […] malgré mon affreuse écriture […] est ravissant et a l'air d'un palimpseste à cause de la personne qui le collait avec un goût infini". Ces placards d'un très grand intérêt pour la compréhension du roman ont été dispersés en 1920 au gré des collections. Ils comportent des manuscrits uniques de parties du roman dont aucune bibliothèque ne conserve la version manuscrite. C'est avec fascination que l'on découvre ces documents présentés dans leur intégralité pour la première fois. On admirera également la série des cahiers que Proust gardait toujours à portée de main au chevet de son lit et qui l'ont accompagné durant toute l'élaboration de la Recherche. Ces cahiers sont affublés de noms énigmatiques ou familier : "Dux", "Vénusté", "Fridolin", "Babouches", le "cahier noir Serviette", "le cahier jaune glissant", "le cahier mince bleu"…

Paperoles du fonds Proust BnF, département des Manuscrits © BnF 

L'intérêt de cette exposition est de rendre visible dans ces cahiers la topographie de l'écriture proustienne, sans en dissimuler la complication puisqu'elle se dissémine avec le temps, devenant plus illisible encore avec les "ajoutages" et les paginations à tiroir que la Bibliothèque de la Pléiade avait, tant bien que mal tenté de reproduire dans la section "Esquisses", mais en faisant l'économie des ratures. Tout au plus, pourra-t-on regretter ici le faible recours aux ressources et aux outils de présentation numérique de la génétique proustienne (il faudra attendre la présentation de ces outils aux rencontres Gallica du 22 novembre par Guillaume Fau, chef de service des Manuscrits modernes et contemporains à la BnF et commissaire de l'exposition). Pour l'heure, ce sera au visiteur d'acclimater son regard pour tenter de déchiffrer parmi les clusters de lignes et de ratures. On devra se contenter d'une projection des différents états de la phrase liminaire "Longtemps, je me suis couché de bonne heure". Jugée triviale dans un premier temps, cet incipit est modifié à de nombreuses reprises avant de revenir à sa version première.

 

En marge du célèbre portrait le portrait de Proust par Jacques- Émile Blanche, on retrouvera des œuvres déjà exposées à Carnavalet, comme le portrait de Robert de Montesquiou par Boldini ou Le Cercle de la rue Royale par James Tissot. D'autres tableaux viennent compléter cet ensemble, signés Hubert Robert, Turner, Monet, Renoir, Vuillard ou des œuvres modernistes comme La Primitive de Kupka… L'exposition ne fait pas l'impasse sur la galerie d'objets en rapport étroit avec l'univers proustien, depuis le fameux kinétoscope (dit "lanterne magique"), un kaléidoscope, des robes de la maison Fortuny, de nombreuses photographies… Enfin, des extraits audiovisuels, dont les gouailleurs cris parisiens (scène d'imitations) dits par Jean Péheu et qui servirent d'inspiration aux premières pages de la Prisonnière – sans oublier les extraits des 49 heures d'entretiens de Georges Belmont avec fidèle gouvernante Céleste Albaret en 1973.

Marcel Proust. Cahier 12. 1909 Manuscrit autographe et dessin "Le bal de têtes" BnF, département des Manuscrits © BnF 

Autour de l'exposition sont organisés au Grand auditorium une série de concerts autour de Reynaldo Hahn avec le baryton Mathieu Dubroca et Les Frivolités Parisiennes (12 décembre 2022) et "la sonate de Vinteuil" (16 janvier 2023). Une journée projection "Proust au cinéma" le 29 novembre 2022 présenter deux films inspirés de la vie et de l'œuvre de l'écrivain : Céleste (1980) de Percy Adlon et La Captive (2000) de Chantal Akerman, ainsi que Proust vivant (2000) de Jérôme Prieur et des extraits de Proust lu de Véronique Aubouy – un projet délirant initié en 1993 qui devrait s'achever en… 2050. Un dernier mot concernant le luxueux catalogue coédité par BnF Éditions et Gallimard ; décliné en forme d'abécédaire, il présente une abondante iconographie puisée dans les 7000 pages manuscrites du fonds Proust de la Bibliothèque nationale de France et complétée par des documents en provenance de plusieurs musées et collections particulières.

 

 

 

 

 

 

 

 

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David Verdier
David Verdier Diplômé en musicologie et lettres modernes à l'université de Provence, il vit et enseigne à Paris. Collabore à plusieurs revues dont les Cahiers Critiques de Poésie et la revue Europe où il étudie le lien entre littérature et musique contemporaine. Rédacteur auprès de Scènes magazine Genève et Dissonance (Bâle), il fait partie des co-fondateurs du site wanderersite.com, consacré à l'actualité musicale et lyrique, ainsi qu'au théâtre et les arts de la scène.

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