On salut l'initiative de l'Opéra de Lille de présenter en avant-première des extraits du Montag auf Licht (Lundi de lumière) de Karlheinz Stockhausen. Troisième opéra du cycle Licht destiné à être donné en sept jours, cette journée bénéficie d'une mise en scène signée Silvia Costa qui convoque l'aspect ludique et spirituel. Placés sous la houlette de son fondateur Maxime Pascal, les musiciens du Balcon prouvent, si besoin était, qu'ils maîtrisent parfaitement leur sujet dans ce nouveau volet qui sera donné en intégralité à la Philharmonie de Paris à l'automne prochain.
Le cycle Licht (1977–2003) se singularise au sein du catalogue de Karlheinz Stockhausen comme le point culminant parmi la série des grands cycles composés à la même période comme Tierkreis (1974–75) ou Sirius (1975–77). Avec plus de 30 heures de musique, des dizaines de personnages différents mêlant traditions orientales et occidentales, Licht sollicite chez le spectateur des qualités d'écoute et de concentration qui portent à des thématiques philosophiques et sensorielles inédites. Le thème de la lumière ("Hikari" en japonais) devait, à l'origine, donner son nom à l'ensemble du cycle, avant que Stockhausen ne préfère associer le nom du jour de la semaine avec le thème de la lumière, constituant ainsi une vaste cosmogonie de divinités et de symboles. Montag auf Licht ("Lundi de lumière") est parmi les sept journées, la plus longue et la plus complexe – gageure de taille pour le projet mené par les membres du collectif du Balcon de mettre en scène l'intégralité du cycle répartie sur plusieurs années. En attendant de découvrir à l'automne prochain à la Philharmonie de Paris, la version intégrale de cette journée du Lundi, l'Opéra de Lille propose de donner des extraits de l'œuvre à travers une forme de parcours narratif qui permet de découvrir les options scéniques et musicales du projet. Comme la journée du Vendredi (Freitag auf Licht), donnée à Lille et Paris en 2022, la mise en scène est confiée à l'italienne Silvia Costa. Son travail se concentre sur l'Acte II (scènes 3,4) et l'Acte III qui représentent en durée environ la moitié de la durée totale (4 heures).
Contrairement aux apparences, Montag (1984–1988) n'est pas le premier volet composé par Stockhausen. Donnerstag et Samstag le précèdent, complétant une trilogie qui présentent les trois principes spirituels du cycle : Montag (Ève), Donnerstag (Michaël) et Samstag (Lucifer). En parallèle aux personnages, chaque journée se distingue par un symbole particulier, une couleur ou un élément. Eve est associée à la lune, à l'eau et à la couleur verte, illustrant le principe d'une fertilité à la fois païenne et chrétienne. D'où le principe d'un phare dont la lumière éclaire le monde avec, à son sommet, une figurante dans une position rappelant à la fois la méditation orientale et le symbole de la parturiente. Cette vraie-fausse ambiance façon Vacances de Monsieur Hulot se satisfait d'une palissade de bois blanc qui sépare les trois musiciens de la scène à proprement parler, avec ses images d'enfants jouant dans un cercle au centre. La lancinante bascule aérienne d'un volume d'eau prisonnier de deux plaques de verre imprime l'image d'une vague roulant sur un rythme obsédant.
Les sept enfants (merveilleux solistes du Trinity Boys Choir) apparaissent par la petite ouverture en contrebas du phare – identifiés par les couleurs et la lettre initiale comme les sept jours de la semaine et les sept enfants de Eve. Les projections alternent une succession assez potache de symboles ludiques et d'animaux-totem, rappelant les variations humoristiques autour du chiffre sept : sept nains, sept piliers de la sagesse etc. La narration disparaît en tant que telle, au profit d'une forme plus proche du rituel et du cérémonial. Ainsi cette princesse Cœur / cor de basset, entre Frères Grimm (Joueur de flûte de Hamelin, Blanche-Neige et les sept nains) et Lewis Carroll (Alice au pays des merveille), qui porte fièrement son auréole en forme de cœur et conduisant les enfants vers l'arrière-scène. Il faut signaler la qualité et la densité des voix du Jeune Chœur des Hauts-de-France (préparés par Richard Wilberforce) combinés au Chœur de l'Orchestre de Paris (préparés par Nicholas Mulroy). Impressionnante en Cœur (et cor) de basset, Iris Zerdoud domine les débats avec une aisance remarquable par la mémorisation des mouvements complexes de la chorégraphie et des parties jouées. Elle forme avec Alice Caubit et Joséphine Besançon un trio de fées musicales qui entourent la soprano Pia Davila, idéale en oiseau des bois avec la flûte de Claire Luquiens. Placés en coulisses, les percussions de Akino Kamiya alternent leurs interventions avec les polyphonies déjantées de trois claviéristes de "l'orchestre moderne" : Bianca Chillemi, Sarah Kim, Alain Muller. L'esprit de virtuosité illumine avec élégance et brio la toute fin de l'ouvrage – de toute évidence la partie de la soirée la plus dense et la plus féérique avec la reprise en écho de la mélodie des enfants chantée en boucle et qui s'élève dans le haut du registre jusqu'à disparaître totalement, moment hypnotique et captivant.