Jules Massenet (1842–1912)
Cendrillon (1899)

Conte de fées en quatre actes
Livret d’Henri Cain et Paul Colin, d'après Cendrillon ou La Petite Pantoufle de verre, de Charles Perrault
Créé à l’Opéra-Comique le 24 mai 1899.

Direction musicale : Henrik Nánási
Mise en scène : Damiano Michieletto
Décor : Paolo Fantin
Costumes : Klaus Bruns
Lumières : Diego Leetz
Chorégraphie : Sabine Franz
Dramaturgie : Simon Berger

Cendrillon : Nadja Mchantaf
Le Prince Charmant : Karolina Gumos
La Fée : Mari Eriksmoen
Pandolfe : Werner van Mechelen
Madame de la Haltière : Agnes Zwierko
Noémie : Mirka Wagner
Dorothée : Zoe Kissa
Le roi : Carsten Sabrowski
Le doyen de la Faculté : Christoph Späth
Le surintendant des plaisirs : Nikola Ivanov
Le Premier ministre : Philip Meierhöfer
La vieille Fée : Evelyn Gundlach

Chœur et orchestre de la Komische Oper Berlin,
Chef des chœurs : Jean-Christophe Charron

 

Capté à la Komische Oper de Berlin le 12 juin 2016. Disponible sur Operavision jusqu’au 20 janvier 2021

A la Komische Oper de Berlin, Damiano Michieletto a décidé que le bal de Cendrillon se donnerait un cours de danse classique. Dommage que cette idée ne lui ait pas permis de conserver le beau ballet prévu par Massenet, dans une production qui, par ailleurs, réussit à peu près à préserver les ingrédients essentiels de cette féerie en musique : émotion, humour et magie.

Nadja Mchantaf (Cendrillon), Evelyn Gundlach (La vieille Fée)

Vidéo disponible :
https://operavision.eu/en/library/performances/operas/cendrillon-komische-oper-berlin

Après n’avoir été longtemps connu que par un enregistrement de studio réalisé en 1978 sous la direction de Julius Rudel, avec Frederica Von Stade et Nicolai Gedda, l’opéra Cendrillon de Massenet fait depuis un quart de siècle un fulgurant retour sur le devant des scènes. Preuve que, comme en histoire de l’art on voit certains peintres un temps dédaignés se transformer en stars absolues (Vermeer, Caravage), il est possible en musique de réévaluer du tout au tout le jugement de la postérité.

Comment expliquer ce phénomène ? Malgré la bataille des Thaïs, quand Beverly Sills et Anna Moffo y allèrent chacune de leur intégrale, presque la même année, malgré l’engouement de Joan Sutherland pour Esclarmonde, et malgré les efforts qui furent déployés à Saint-Etienne, ville natale du compositeur, dans le cadre d’une biennale Massenet qui semble désormais bien morte et enterrée, on ne saurait affirmer qu’il y ait eu une « Massenet Renaissance » comme il y en eut une pour Rossini et comme il pourrait bien y en avoir une pour Meyerbeer (du moins pour le versant français de sa carrière). Cendrillon reste un cas isolé dans la production du Stéphanois, et tous les théâtres d’opéra semblent vouloir aujourd’hui monter cette œuvre, mais celle-là seulement, hélas.

L’Allemagne, toujours friande de titres permettant de renouveler le répertoire, s’y est attaqué, et l’un des trois DVD actuellement sur le marché vient de Frisbourg en Brisgau (Naxos, 2018). Un autre est l’écho des représentations proposées en 2019 dans le cadre du festival de Glyndebourne (Opus Arte, 2020). Et le plus ancien est une captation réalisée à Londres en 2011, qui immortalise la production signée Laurent Pelly, qu’on a également pu voir à l’Opéra de Lille en 2012, l’année du centenaire de la mort de Massenet, puis au Met de New York en 2018. Londres ? New York ? Eh oui, si le monde anglophone a tant vu cette Cendrillon, c’est parce qu’une artiste avait décidé d’incarner ce personnage. Et tout comme Renée Fleming avait su faire revenir Thaïs au Met, Joyce DiDonato sut y faire entrer Cendrillon. Massenet a toujours dû beaucoup à ses interprètes, et cela n’a pas changé. Avantage supplémentaire : Cendrillon est un opéra sans ténor, à condition que l’on respecte les intentions du compositeur, et que l’on renonce à la pratique de confier le Prince non pas à une mezzo-soprano mais à un ténor, pratique dictée par un absurde souci de « vraisemblance » (du vraisemblable à l’opéra ! quelle idée !).

Karolina Gumos (Le Prince Charmant)

Autre critère qui a son importance : la qualité de la musique, bien sûr, et celle de Cendrillon est du meilleur Massenet, qui sait unir émotion, humour et merveilleux, cocktail propre à ravir tous les publics, même en l’absence de toute star souhaitant lui prêter les sortilèges de son gosier. Au Komische Oper, le seul nom prestigieux à défendre la féerie de Massenet est celui du metteur en scène, Damiano Michieletto. Après avoir suscité diverses lectures ingénieuses (la plus admirable restant celle de Benjamin Lazar à l’Opéra Comique), Cendrillon est cette fois transposé dans le monde de la danse classique et de ses concours sans pitié. Evidemment, au centre du conte, il y a un bal, celui où vont les méchantes sœurs et où l’héroïne rêve de les rejoindre, celui qui se termine pour elle à minuit et en sortant duquel elle perd sa pantoufle de vair. Du bal au ballet, il n’y a qu’un pas, qui transforme la marâtre en impitoyable professeur de l’école russe, tout le chœur en élèves, et le prince en danseur étoile que toutes rêvent d’avoir pour partenaire. Et Cendrillon, dans tout ça ? Son incapacité à se joindre au bal/ballet ne vient pas de l’humble statut auquel on la relègue : la cause n’en est plus ici sociale mais physique, puisque la jeune fille porte une attelle métallique à la jambe droite, qui l’oblige à vivre sur un lit d’hôpital et fait de la danse un rêve forcément impossible. On craint d’abord que les éléments comiques et merveilleux de l’œuvre passent à la trappe, mais cet écueil est heureusement évité : pour les premiers, parce que tous les membres du chœur, on l’a dit, revêtent leur plus beau tutu pour danser avec le prince, les messieurs compris ; quant à la magie du conte, elle est introduite par une vieille danseuse qui revient hanter la classe quelques décennies après, et qui est en quelque sorte le double de la fée-marraine, devenue ici une vieille dame, au même titre que les esprits qui l’accompagnent. L’invention s’avère pleine de poésie quand cette équipe du troisième âge se charge de faire apparaître la robe et le carrosse de Cendrillon.

 

Nadja Mchantaf (au sol) (Cendrillon)

Le Prince et l’héroïne acquièrent bientôt leur double dansé, et il s’en faut de peu que celui-ci ne leur usurpe la vedette dans le grand duo du troisième acte. Le plus gênant, et le plus paradoxal, est ici la suppression du ballet explicitement prévu par Massenet dans sa partition : alors que ce ballet de cour est d’une veine tout à fait inspirée, il a été coupé sans pitié, sans doute parce qu’il ne s’intégrait pas au concept du metteur en scène, car on a peine à croire que le public berlinois n’aurait pas pu supporter quinze minutes de musique en plus, dans une soirée qui ne dure guère plus de deux heures. La direction d’Henrik Nánási ne traîne pas, ce qui est en soi plutôt une bonne chose, mais dont le côté métronomique prive parfois l’œuvre de la juste dose d’émotion que l’on en attendrait.

Nadja Mchantaf (au fond) (Cendrillon), Karolina Gumos (Le Prince Charmant)

Peut-être faut-il aussi, pour que cette musique respire comme elle le doit, que les chanteurs épousent les inflexions de la langue. Dans la distribution présente à la Komische Oper, signalons d’abord la présence de deux francophones « honoraires ». En Pandolfe, Werner van Mechelen, flamand mais parfaitement francophone, maîtrise à la perfection le style adéquat, et ses moyens vocaux sont également à la hauteur ; on regrette seulement que la mise en scène dépouille le personnage de tout ridicule. Quant à Mari Eriksmoen, ceux qui ont entendu sa Mélisande ne seront pas étonnés de lire tout le bien que l’on pense de sa Fée aux aigus cristallins et au français impeccable. Silhouette androgyne et timbre chaud, Karolina Gumos campe un prince tout à fait convaincant ; Nadja Mchantaf, elle, n’a pas exactement les couleurs qu’on souhaite dans un opéra-comique français, et la voix est peut-être déjà un rien trop lourde pour le rôle. Vue dans le même rôle à Glyndebourne, Agnes Zwierko est ici heureusement dépouillée de la vulgarité que la production de Fiona Shaw imposait à Madame de la Haltière : si les moyens sont opulents, la diction gagnerait à être plus soignée. Les personnages secondaires sont tous honorablement défendus, et l’on saluera en particulier les très angéliques esprits entourant la Fée, issus du toujours solide chœur de la Komische Oper. Enfin, comment oublier l’actrice Evelyn Gundlach, si éloquente dans son rôle muet ?

Vidéo disponible :
https://operavision.eu/en/library/performances/operas/cendrillon-komische-oper-berlin

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Laurent Bury
Ancien élève de l’ENS de la rue d’Ulm, auteur d’une thèse consacrée au romancier britannique Anthony Trollope (1815–1882), Laurent Bury est Professeur de langue et littérature anglaise à l’université Lumière – Lyon 2. Depuis un quart de siècle, il a traduit de nombreux ouvrages de l’anglais vers le français (Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, Orgueil et préjugés de Jane Austen, Voyage avec un âne dans les Cévennes de Stevenson, etc.) ; dans le domaine musical, on lui doit la version française du livre de Wayne Koestenbaum, The Queen’s Throat, publié en 2019 par les éditions de la Philharmonie de Paris sous le titre Anatomie de la folle lyrique. De 2011 à 2019, il fut rédacteur en chef adjoint du site forumopera.com, puis rédacteur en chef de novembre 2019 à avril 2020. Il écrit désormais des comptes rendus pour plusieurs sites spécialisés, dont Première Loge.

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