Le Östersjön Festivalen (Baltic Sea Festival) est une hydre un peu amputée cette année avec un Valery Gergiev fort occupé à honorer un contrat à Bayreuth et à orchestrer son savant jeu d’apparitions/disparitions. Reste Esa-Pekka Salonen, quasiment un enfant du pays, à l’aise dans l’éternelle figure du fils prodigue, de retour dans son lieu, Berwaldhallen, au sein de son public. C’est le cadeau du festival de cette édition, d’offrir, en avant-première, Das Rheingold, le Prologue du Ring que Salonen dévoilera avec l’Orchestre National de Finlande cette saison (à partir du 30 août).
Un Ring qu’on promet presqu’entièrement finlandais et qui rappelle dans l’esprit mais, on l’espère, sans la lettre, l’édition suédoise du Ring de 2018, avec Nina Stemme en Brünnhilde qui rachetait tout le reste.
Le programme annonçait 2h40 sans entracte : en effet, Salonen étire longuement les tempi. Ce qui donne le temps d’entrer doucement et avec beaucoup de plaisir dans le bain des flots initiaux du Rhin. Cordes graves majestueuses, cuivres profonds. On y est. On est peut-être même trop bien dans ce qui annonce une direction sans les surprises qu’on a vainement attendues tout au long. On est de plain-pied dans une zone de confort agréable. Les superbes transitions sont bien là, on observe tous les départs, on admire les coutures mais rien ne vient soulever notre enthousiasme.
L’impression sera renforcée par un bon plateau, voire très bon, qui comble exactement nos attentes. La Finlande est l'un des seuls pays d'Europe à pouvoir afficher des distributions complètes et solides dans des oeuvres réputées difficiles à distribuer : c'est une tradition que le chant en Finlande, et désormais l'école de direction d'orchestre est aussi une référence presque mondiale (Salonen, Saraste, Franck, Mälkki, et désormais Inkinen, mais d'autres aussi). Rien de surprenant donc dans la qualité homogène d'un tel Rheingold, même si on aurait aimé être un peu plus surpris.
Jukka Rasilainen est un bon Alberich, habitué aux rôles Wagnériens (Le Hollandais, Klingsor, Telramund, Biterolf…). Il fut notamment, on s’en souvient, un beau (et drôle) Wotan à Bayreuth en 2018 dans la production pour enfants du Kinderoper. Il est ici gouailleur, joueur lubrique bien sûr, et assez ironique dans la malédiction qu’il prononce sur l’anneau.
Les filles du Rhin, Marjukka Tepponen, Mari Palo et Jeni Packalen sont bien en place, en un groupe solide, impeccable, avec des voix qui fusionnent bien entre elles..
On frémit un peu en attendant le Wotan, rôle décisif, tenu par Tommi Hakala qui fut Amfortas ou encore Jochanaan dans Salomé en Finlande et on est très heureusement surpris par ce baryton plutôt jeune, plein de vigueur et de fougue mais aussi de profondeur, collant parfaitement au rôle dans le prologue.
Lilli Paasikivi apporte de la brillance à une Fricka qui, rôle ingrat oblige, se doit d’avoir un certain éclat et effectivement, ce soir-là, cette Fricka sort vraiment du lot.
On attend évidemment les deux basses (excellent produit d’exportation) des Géants et on est comblé avec l’estonien Koit Soasepp qui campe un amusant géant sentimental Fasolt, tout en bloc immuable, roulements d’yeux et sourdes basses (pour un baryton). Nul doute qu’il sera certainement un des atouts scéniques de la production d’Anna Kelo, d’autant plus surprenant qu’il s’agit d’une arrivée tardive (et rapide) à l’opéra, après avoir exercé quinze ans dans le domaine agricole.
Jyrki Korhonen est un Fafner aussi à l’aise dans les basses que dans les hauteurs, qui fait penser à un René Pape jeune, dans la bonne tradition des basses finlandaises. Il sera aussi Hunding dans la Walkyrie de 2020. Cela semble très prometteur. Il a été Daland et Gurnemanz au Finnish National Opera House. À suivre.
Reeta Haavisto est une Freia comme on ne semblait plus en voir. Pleine de santé et tout en coffre. L’école finlandaise là aussi sans doute.
Les deux dieux fiers à bras, Froh et Donner, respectivement Markus Nykänen, ténor et Tuomas Pursio, baryton basse, tiennent bien leur rôle de ponctuation. Tuomas Pursio, plus exposé manquera le départ de son air, pas vraiment aidé par Salonen il est vrai, mais ne s’en sort pas si mal. Leurs voix sont claires, bien projetées. Héroïques sinon divines.
Tuomas Katajala est Loge. Contrairement à celui de Fricka, le rôle est plutôt bien servi par la partition, mais, et il brille par son chant lumineux et surtout sa diction railleuse et persifleuse.
Dan Karlström est lui aussi un bon Mime, pleurnichard à souhait et qui devrait se révéler pleinement sur scène.
On attend avec impatience l’arrivée d’Erda, Sari Nordqvist, mezzo-soprano qui force finalement un peu trop sur le vibrato. Une belle Erda certes, mais pas l’apparition fantastique et mystérieuse qu’on attend.
Cette version concertante avait tout de même une scénographie minimale. Les hommes en costumes noirs et gilets. Wotan avec une cravate américaine (bolo tie) dorée (son œil perdu, me semble-t-il). Certains portent des vestes plus longues que les autres, Wotan, Fasolt, Donner (selon leur rang et leur relative importance ?). Loge se détache de l’ensemble par ses mouvements secs, son foulard rouge et son pantalon court et étriqué suivant les canons de la mode actuelle et contrastant avec ceux larges et longs de ses compagnons masculins. Loge, ce moderne. Notons aussi la grenouille mimée par la main de Rasilainen-Alberich, toujours prompt à amuser la galerie.
Enfin, le retour des Filles du Rhin, en arrière scène au premier étage, parmi le public. Une meilleure idée, et surtout un meilleur son, que la voix trafiquée d’Alberich-dragon par un micro dans un recoin de la scène à cour.
Signalons aussi des jeux de lumières manquant de raffinement (Le Nibelheim rouge !!) pour marquer les lieux et le peu de lisibilité des sous-titres mal placés et trop haut sur les coursives. Tout cela donnait un sérieux goût d’amateurisme, de laisser-aller ou de retour de vacances, mais n’explique pas pour autant cette impression de déception qui ne nous a pas lâchés tout le long du concert malgré une absence de défauts notables. Peut-être à cause du côté figé d’acteurs venus uniquement chanter une mise en scène qu’ils doivent avoir pourtant effectivement dans les pattes pour la première dans une semaine, ou simplement à cause de la direction.
Reste que tout cela a laissé une impression de lagom. Ce mot suédois intraduisible, essentiel dans le mode de vie scandinave, qui caractérise le juste ce qu’il faut, le ni trop ni trop peu.
Un bon plateau donc mais sans flamboyances ni scories. Quant à Salonen, il nous a livré un Rheingold, lent (très lent), claironnant (premier thème du Walhalla), voire tonitruant (l’entrée des dieux au Walhalla) avec des timbales qui marquent (trop ?) fortement. Le Wagner machine à sons, spectaculaire que certains peuvent encore attendre mais qui aujourd'hui nous lasse. Peut-être espérions-nous beaucoup trop ? On restera sur d’autres Rheingold, entendus çà et là. Ce soir-là, ça nous déchire le cœur de l’écrire mais Salonen était une belle arrière-garde, plus Wotan que Loge. Le feu sacré, ce week-end, était ailleurs.
Retransmission Stage24 le 7 septembre à 19h.
https://oopperabaletti.fi/en/live/das-rheingold/