Fatal Don Giovanni ! C’est à se demander s’il ne vaudrait pas mieux un spectacle simplement illustratif sans prétentions autres que rendre un peu de dramma et un peu de giocoso sans surtout aller plus loin, sans vouloir à tout prix laisser une trace qu’on pourrait avoir l’outrecuidance de croire définitive. D’autres très grands s’y sont cassé les dents, Chéreau à Salzbourg avec Barenboim, un grand spectacle certes, mais qui ne creusa aucun sillon, Strehler à la Scala, qui resta très pâle et très didascalique. Elles ne sont pas légion, les mises en scène qui ont marqué les mémoires depuis une cinquantaine d’années… Guth à Salzbourg, Haneke à Paris, Warlikowski à Bruxelles, Bondy à Vienne au début des années 1990 et la trilogie Sellars donnée à Bobigny dans les années 1980 qui le lança en Europe.
La production de Don Giovanni de cette édition 2021 ne fera pas date, parce qu’à vouloir trop en faire….
Avant d’aborder la question de la mise en scène, une fois n’est pas coutume, nous aborderons les questions musicales, qui ne sont pas pour rien dans l’échec de la soirée.
On sait que le marché lyrique va souvent par cycles, il y a eu des périodes où l’on ne trouvait pas de chanteurs wagnériens, d’autres où l’on manquait de chanteurs pour Verdi (c’est toujours le cas), nous vivons un moment où certains Mozart sont difficiles à distribuer.
c’est le cas pour Don Giovanni. Quand on cherche un Don Giovanni, on pense Peter Mattei, mais c’était il y a une quinzaine ou une vingtaine d’années, tout comme Keenlyside… Qui pourrait donner sur l’instant le nom d’un chanteur d’aujourd’hui possible pour Don Giovanni, dans une salle aussi vaste que le Grosses Festspielhaus de Salzbourg ? C’est à peu près pareil pour Leporello, même si on a applaudi souvent un Kyle Ketelsen encore récemment qui reste le meilleur aujourd’hui. Il sera Don Giovanni à Vienne dans la future production de Kosky. Attendons.
Dans ces conditions, que le Festival de Salzbourg ait essayé de proposer de nouveaux chanteurs qui ont fait leurs preuves dans d’autres rôles et d’autres répertoires (Rossini notamment), c’est tout à fait louable. Mais ni Davide Luciano, ni Vito Priante n’ont convaincu. Honorables certes, tous deux, mais pas pour Salzbourg, et surtout pas pour cette salle. Scéniquement, ils répondent à la mise en scène, mais vocalement ni l’un ni l’autre n’ont la puissance, ni l’autorité des personnages qu’ils incarnent. Chez l’un un air dit « du catalogue » honnête, mais sans grand caractère, ni grand relief, chez l’autre un « air du champagne » surjoué par la mise en scène du genre « vous voulez un show ? Le voilà ! avec montée de la fosse d’orchestre, stroboscope qui fascine et emporte le public qui lui fait un triomphe (il faut dire aussi l’ennui assez mortel de ce qui précédait), certes avec un véritable engagement du chanteur, mais, un petit volume, des aigus modestes et mal tenus, et un manque d’éclat. Je voudrais être clair : aussi bien Luciano que Priante ont montré ailleurs ce qu’ils savaient faire, Priante est un bon chanteur, un Figaro très correct par exemple dans Le nozze di Figaro, un excellent rossinien, et Davide Luciano est un extraordinaire Figaro, le meilleur aujourd’hui, du Barbiere di Siviglia de Rossini, mais pas encore un Don Giovanni de grand format. L’avantage était qu’ils ont un physique voisin qui sert la mise en scène où Leporello est l’exact double de Don Giovanni (quelle innovation !!). Le timbre de Davide Luciano est plus séduisant, plus soyeux, il sait donner de la couleur à son chant, mais reste en-deçà de ce qu’il est légitime d’exiger dans ces lieux.
David Steffens en Masetto est convaincant, il a du style et de l’autorité, il fait partie des bonnes surprises de la soirée, mais il est peu traité par la mise en scène.
Mika Kares n’est pas favorisé par la mise en scène non plus, puisqu’il chante en fosse, l’organe est toujours aussi somptueux et l’interprétation toujours aussi indifférente, mais vu sa position hors scène, on peut comprendre qu’il ne soir pas stimulé.
Le seul de toute la distribution masculine à s’en sortir avec brio, et même avec un extraordinaire engagement est Michael Spyres, fabuleux Ottavio, avec le phrasé, le poids des mots, la clarté, les agilités, le souffle, le port de voix, la puissance, il est le seul qui réussit à avoir une autorité scénique incontestable alors que la mise en scène le ridiculise à souhait, il est tour à tour Amundsen (!!!) avec ses skis, son drapeau norvégien et son sac à dos, combattant des croisades avec la bannière du Christ-Roi, chevalier baroque avec son écu et sorte de chanteur italien toujours baroque avec une jolie cape encombrante, bref, visiblement mal aimé de Castellucci, mais dans tous ses accoutrements, d’Amundsen à Rinaldo, il est merveilleux. Il faut le faire !
Du côté féminin, on déplorera une Federica Lombardi (Elvira) qui fait les notes, mais sans une once d’engagement, de couleur, de poésie, sans le velouté quelquefois nécessaire : son Mi tradi laisse indifférent là on tant de chanteuses très diverses nous ont bouleversés, sur cette scène et ailleurs.
Anna Lucia Richter en Zerlina a un timbre assez séduisant, pas trop personnel, mais la voix porte et elle est à l’aise en scène, ce pourrait être une très jolie Zerlina, mais la mise en scène ne la favorise pas non plus, les paysans n’intéressent pas.
Seule la Donna Anna de Nadezhda Pavlova a la voix, le contrôle, le style (le plus souvent), la technique et la puissance, elle serait une Donna Anna idéale si elle se dispensait de minauderies vocales, si on laissait de côté un maniérisme assez insupportable et si les agilités de non mi dir avaient plus de rondeur, de legato et moins de précipitation. Son or sai che l’onore est en revanche remarquable. Elle n’est pas totalement convaincante mais sur le chemin de l’être si on dirige un simple Don Giovanni et pas ce Don Giovanni surchargé et écrasé sous le poids des sursignifications inutiles.
Comme on le voit le bilan global n’est pas si riche.
C’est aussi pour moi la conséquence d’une crise singulière du chant mozartien. Il est de bon ton de sacraliser Mozart, de le hisser au sommet, mais au total, on ne voit pas beaucoup de productions convaincantes ni surtout de distributions intéressantes et riches d’avenir. Très souvent on entend des voix appliquées, indifférentes, interchangeables, sans caractère, sans vibration interne si importante pour le chant mozartien (exemple Jacquelyn Wagner dans la Contessa à Aix) là encore le poids des mots, le poids du sens devrait être au premier plan et non les roucoulades crémeuses qui font croire à la profondeur. Le Cosi fan tutte salzbourgeois actuel est certainement vocalement d’un niveau meilleur, tel que nous l’avons entendu en 2020, mais ne restera pas non plus si mémorable. Quant aux Nozze vues à Aix, elles ne font pas émerger de mozartiens indiscutables.
On a pris l’habitude de distribuer Mozart à des chanteurs jeunes, c’est bien pour certains, pour d’autres c’est trop tôt et souvent immature. En tout cas, très rares sont ceux qui savent avec un air de Mozart créer tout un univers de poésie et donner une épaisseur aux personnages : on le sent très cruellement ici. Ce Don Giovanni sonne vocalement assez creux.
Que la direction musicale de Teodor Currentzis soit attentive aux exigences de la mise en scène, cela s’entend dans les insupportables récitatifs, avec leur rythme lent, leurs silences pesants, leur manière de nous dire « attention ! grand style ! » ou « attention ! profondeur ! ». C’est ridicule, agaçant, cela tue le rythme, tue l’action, tue l’intérêt et c’est terriblement prétentieux, artificiel, démonstratif au sens pitoyable du mot.
Pourtant, le continuo est intéressant, sonne merveilleusement avec le Hammerklavier de Maria Shabashova, mais pourquoi à la fin rallonger la sauce, multiplier les variations. Pourquoi ne pas savoir s’arrêter ?
En dehors de cette question pénible des récitatifs, la direction de Currentzis est moins histrionique qu’ailleurs, les rythmes moins syncopés, et même plutôt lente, mais elle respire en syntonie avec la mise en scène. La fosse et la scène se sont entendues pour rendre le tout hypermaniéré voire maniériste, excessivement artificiel, avec des chanteurs qui ne sont pas prêts pour ça. Aucune responsabilité de Castellucci plus que de Currentzis : c’est d’un commun accord que tout se passe.
Cependant, on doit reconnaître que le son est rond, l’accompagnement des chanteurs attentif, même si c’est souvent trop lent, jusqu’à mettre en difficulté les voix. Il reste qu’avec son orchestre, excellent, il tient tous les fils, soutient la scène, répond aux exigences de la vision de Castellucci, sans excès, sans être aussi virevoltant que d’habitude. Pas tout à fait modeste (n’en demandons pas trop), mais sensible et souvent juste avec un rythme moins syncopé, moins de ruptures, mais pas moins d’effets.
L’ensemble est musicalement moyennement satisfaisant, même si les huées en direction du chef m’ont semblé injustes (comme toutes les huées, mais celles-ci en particulier). Le fauteur principal de cet échec, une approche commune qui veut trop en faire, trop montrer, surjouer, pour faire croire à de la profondeur ce qui n’est souvent que répétition, évocation et artifice. Je ne sais comment vieillira Currentzis, mais les phénomènes de mode durent ce que durent les modes, et Castellucci est assez mûr pour avoir un passé, une histoire, une « pensée » qu’il nous assène ici au lieu de nous emmener sur d’autres rivages, comme il a si souvent su le faire.
La mise en scène de Castellucci est en effet comme un cercle qui se ferme et nous enferme dans un système plutôt que de chercher à nous faire respirer autre chose. Si bien que l’on peut soupçonner que Don Giovanniune œuvre à la fois si claire et si complexe, ne lui convenait pas.
Nous avons vu trop de spectacles qui nous ont enthousiasmé et nous connaissons son travail depuis trop longtemps pour être accusés d’être subjectifs. Très objectivement, ce spectacle nous semble d’abord paresseux, sans doute le résultat de cette distance de Castellucci avec cette œuvre ou du moins ce livret. Après une première partie assez répétitive qui est un air du catalogue des idées passées de Castellucci, sans aucune idée vraiment nouvelle ou séduisante,
une seconde partie fondée sur cet ensemble de femmes qui se réunissent et se désunissent en une chorégraphie d’abord séduisante lorsqu’elle réfère à La città delle donne (La Cité des Femmes) de Fellini, puis lassante quand elle se répète à l’envi, se tresse et se détresse, comme si c’était la seule idée, très esthétisante, qu’il soit arrivé à développer, celles de femmes à la fois suiveuses et menaçantes d’un Don Giovanni qui fait du sur-place. C’est bien ordonné, magnifiquement éclairé, mais un peu lassant et pour tout dire suffisamment pauvre pour souligner la plus grande faiblesse dramaturgique de l’acte II par rapport à l’acte I.
L’acte I est une suite de références au travail de Castellucci, on peut rapidement évoquer la voiture qui tombe des cintres (Tragedia Endogonidia P.#06), les ballons de basket déjà dans Inferno à Avignon en 2008, la chute du piano sur lequel on joue ensuite est aussi un thème récurrent venu de Fluxus, ce mouvement né dans les années 1960 qui pose la question de l’art dans la société, en faisant de « l’anti-art ». Et puis tombent une calèche, un fauteuil roulant etc…
On retrouve aussi son goût pour les animaux vivants : les animaux, les seuls à ne jamais jouer sur scène et à être « naturels », comme ces caniches aboyeurs inopinés, ou un rat, ou une chèvre qui traverse la scène, en somme, tout le Musée de la Mémoire de Castellucci… On pense à « Hereinspaziert in die Menagerie » du début de Lulu, avec une Ménagerie d’objets et d’animaux à la Ponge, à la Prévert. Les images sont souvent belles, les éclairages sublimes, l’espace grandiose, mais ça finit en creux. Tous les grands metteurs en scène se citent, de Tcherniakov à Warlikowski en passant par Kosky. Là il se répète, et ce n’est pas tout à fait la même chose.
Castellucci met aussi à distance ces références, non son humour quelquefois comme pour ce Don Ottavio protéiforme d’Amundsen (conquérant des glaces, et donc d’une Donna Anna lointaine et glacée pour Ottavio ?) à chevalier médiéval porteur de la bannière du Christ-Roi (le défenseur de la foi, le chevalier servant des romans courtois, portant aussi des bouts de cheval (une patte, la croupe) : lui, le défenseur de l’honneur des dames est en même temps celui qui ne conquiert rien et qui mouline donc du vide.
Le rideau s’ouvre sur une église qu’on déconsacre, à la monumentalité proche de celle de la Cathédrale de Salzbourg, celle devant laquelle on joue Jedermann, ce mystère moderne signé Hofmannsthal, comme si on allait ici jouer un autre Mystère, celui de la désintégration. On descend tout et on déménage tout, finissant par le crucifix (venu d'Ombrie d'ailleurs), tandis que Don Giovanni menaçant une jeune fille nue et fragile monte sur l’autel, nouveau Dieu de la soirée.
Certes on retrouve les thèmes favoris : l’air du catalogue autour d’une photocopieuse descendue des cintres, avec cette fascination qu’on connaît de Castellucci pour les machines, la question de Dieu et du Diable, avec un Don Giovanni diabolique sous le crucifix renversé, mais au lieu de trouver véritablement de nouvelles idées, Castellucci puise dans son bestiaire personnel comme s’il voyait dans ce Don Giovanni, un lieu qui puisse résumer la totalité de ses travaux, du moins dans la première partie.
Il y a bien sûr des images assez fortes, comme ces femmes qui entourent Don Giovanni et le poursuivent après le viol (?) de Donna Anna, à la manière des Érinyes, ou comme l’arrivée d’Elvira avec son double enceinte à la manière de l’Ève de Cranach et cet enfant qui poursuit le père. Mais Don Giovanni ouvre l’œuvre par le meurtre du père, il ne peut s’embarrasser d’une Elvira femme amoureuse et mère.
Autres symboles déjà utilisés, la vision paradisiaque du jardin d’Eden (on pense au Requiem de Mozart d’Aix) avec ses pommes, qui entoure Zerlina, celle qui est tentée par les pommes, que Don Giovanni fait trier industriellement sur un tapis roulant. La tentation « industrielle », la pomme-tentation démultipliée, voilà le signe donjuanesque par excellence.
D’un autre côté, l’arbre plié rappelle le film de Tarkovski, Le Sacrifice (voir l’affiche ci-dessous), voire le Septième Sceau de Bergman.
Tout est référence souvent savante, comme ce portrait de femme lacéré puis renversé, signé Petrus Christus (un nom prédestiné vu le sujet) qui est une sorte de nouvel objet d’adoration/lacération de Don Giovanni.
Mais, au-delà de toutes ces allusions, et références, on ne trouve rien qui n’ait déjà été exploré par les analystes du mythe et par les mises en scène. Il en résulte un défilement d’images esthétisantes, assez belles, dans des éclairages extraordinaires, pour nous raconter encore et encore l’histoire de toujours, sans plus (hélas) et souvent moins parce qu’à force de symboles, de signes, de mouvements, cela devient ennuyeux, répétitif, et surtout prétentieux.
Les personnages féminins sont évidemment les plus intéressants dans la perspective de l’œuvre, trois typologies, Donna Anna, noble, fille du Commandeur et dont le viol est discutable. Est-ce un viol, s’est-elle laissé emporter… La question n’est jamais résolue, parce que l’ambiguïté est forte chez Mozart : sa résistance à Don Ottavio qui en fait le combattant vain et presque ridicule que dépeint la mise en scène est un indice de sa situation, victime ou victime consentante.
Elvira est sans doute l’archétype de la femme malheureuse et abandonnée, elle n’en devrait être que plus émouvante, d'autant que la mise en scène lui donne un enfant, c’est en tous cas la plus engagée dans cet amour impossible, jusqu’au bout. Mais aucune émotion n’en émane.
Castellucci les fait accompagner de leurs doubles qui dit ce que leur chant ne dit pas, comme le viol « consenti » de Donna Anna.
Zerline est peut-être la plus simple, la plus naturelle, dans son hésitation célèbre vorrei e non vorrei, et au fond le couple Masetto (muni d’une faucille symbolique…)/Zerlina est le moins sophistiqué et même du point de vue du chant et du style, le moins atteint par la « Castelluccite ».
Car le traitement des hommes reste aussi discutable : on a vu tant de fois Leporello et Don Giovanni en double, ici presque parfait, qu’on n’y fait plus trop attention, même à la première la scène du deuxième acte d’une délicieuse ambiguïté, et plutôt très bien réglée. Le différentiel vocal des deux personnages est assez net (à la faveur d’un chant plus raffiné du côté de Luciano), mais physiquement, on s’y trompe.
On a vu combien Spyres est comme le « Pharmakon » de la production, celui sur qui tombent tous les sarcasmes, celui qui chante (merveilleusement) en vain, la beauté gratuite et inutile en quelque sorte.
Quant au Commandeur, il est déjà voix d’outre-tombe : Anna pleure devant une simple béquille plantée, dès le début. Un autre inutile, un autre fantôme.
La deuxième partie est moins échevelée, plus répétitive aussi, avec ce motif des femmes en masse (150 habitantes de Salzbourg : qui a dit que le Festival n’était pas fait pour le peuple… ?) formant des chorégraphies assez bien composées par Cindy Van Acker, corolles, lignes, mouvements vaporeux, on avait en première partie un feu d’artifice de souvenirs divers, on a en deuxième partie un thème unique avec ses variations, avec de beaux éclairages et quelques images superbes.
De mise en scène véritable, on peut estimer le début de l’acte assez bien trouvé, jusqu’au moment où Leporello est démasqué. Après, la succession d’airs rompt les effets dramaturgiques sans trouvailles notables, y compris lors de la scène du cimetière. On s’ennuie. On attend la fin.
Alors, le spectateur bercé par les langueurs musicales et les récitatifs très et trop longs, par les silences et les étirements de tempo, attend évidemment la scène finale, en se demandant comment ce Don Giovanni va-t-il connaître les flammes de l’Enfer. Comment Castellucci qui a mis en scène La Divine Comédie allait-il s’en sortir ?
C’est peut-être le seul moment d’intensité de cette soirée.
Don Giovanni meurt seul, derrière un rideau de tulle auquel est accroché Leporello terrorisé, ils se tort tout en quittant ses habits, il se livre totalement nu aux flammes, des flammes toutes intérieures, puisqu’il couvre sa nudité de blanc qui est en réalité la figuration des cendres brûlantes qui recouvrirent les habitants de Pompéi en 79 et non quelqu’allusion marmoréenne comme on a pu le lire… On le comprend mieux dans la scène suivante, nous y viendrons. C’est bien cet Enfer brûlant qui pénètre les corps et les suffoque, qui est évoqué ici, une sorte d’Enfer extérieur et intérieur. Et Davide Luciano affronte la scène avec engagement et non sans une certaine grandeur. Pas de Commandeur, il est dans la fosse, on entend sa voix comme si une voix intérieure appelait Don Giovanni.
Rideau.
Longue, très longue interruption qui a fait croire à certains au final de Prague…
Mais non, les autres personnages réapparaissent au milieu des ruines de leur vie, détruits de toute manière, que Don Giovanni soit en Enfer ou non. Car la morale de cette histoire qui « finirait bien » n’est qu’illusion : à part le couple Zerline/Masetto, tous se retrouvent seuls, sans but, sans futur, livrés au néant. Alors, ils portent avec eux leurs cadavres de cendres, comme ceux de Pompéi ; ils finissent tous comme Don Giovanni, gisants de cendres après une catastrophe volcanique. C’était bien la peine, puisqu’ils ne chantent même plus et que c’est le chœur qui chante à leur place…
Tout ça pour ça ?
Rideau.
Est-ce à dire que vous estimez que Currentzis est un phénomène de mode, Guy Cherqui ? Je n'en sais rien mais, au fond, c'est bien possible.
Tel qu'il dirige, comme un show, il y a de ça ; ceci dit, c'est un chef et il apporte quelque chose. Est-ce qu'il peut durer ainsi, comment murira-t-il. Autre problème.
Hors de son orchestre Currentzis n'a apparemment pas fait d'étincelles. La nouvelle qu'il va avoir une résidence à Lucerne avec Music Aeterna montre aussi que certains festivals qui peinent à retrouver un public stable comptent sur lui comme produit d'appel…un produit…
Ceci étant, j'ai eu de très belles soirées avec lui, d'autres un peu moins.