Nous étions peu dimanche dernier à connaître l'avant dernier opéra d'Offenbach, la version proposée, la plus complète à ce jour ((celle de Mark Elder enregistrée live en décembre 2013 et publiée par Opera Rara est parcellaire.)), étant jouée pour la première fois. Tout un symbole pour l'Opéra Comique dont les travaux n'ont pas pu être terminés à temps pour ouvrir à l'heure dite et qui a trouvé refuge au Châtelet pour lancer sa première saison. Hommage à un compositeur aimé, à une résurrection musicale et à deux salles qui se sont déjà soutenues par le passé, le Châtelet ayant accueilli Favart pendant plus de dix ans après l'incendie de ce dernier en 1887.
L’œuvre est un petit bijou de légèreté, d'élégance et d’impertinence, la partition d'Offenbach trouvant le ton juste pour mettre en musique la piquante intrigue née de l'imagination d'Alfred de Musset (auteur de la pièce éponyme publiée en 1834). Jeune homme sans le sou, Fantasio se faisant passer pour le nouveau bouffon du Roi de Bavière, qui doit marier sa fille au Prince de Mantoue, finira par annuler les noces initialement prévues et à se faire aimer de la jolie Elsbeth. Laurent Campellone n'a pas son pareil pour redonner son lustre à cette œuvre pleine de charme et pour imprimer à l'Orchestre Philharmonique de Radio France son allant et sa diabolique précision dans les nombreuses scènes de foules, où s'intègrent le très beau chœur Aedes et toute son admiration dans les pages plus rêveuses comme la Ballade à la Lune « Voyez dans la nuit brune » que chante Fantasio à son entrée, ou plus tard le duo Fantasio/Elsbeth « Je donnerai ma vie ».
Au plateau rien de très novateur, mais un joli spectacle qui alterne avec habileté agitation et moments plus introspectifs. Pour son second essai lyrique (après Eliogabalo de Cavalli en début de saison de l'Opéra National de Paris), Thomas Jolly fait preuve d'efficacité et de discipline en faisant évoluer ses personnages dans un univers de fête foraine comme l'ont fait avant lui Py, Pelly, Demarcy-Mota, Brunel ou Bellorini dans une récente Cenerentola à Lille. Ce type de décor minimaliste et esthétisant, tout en échafaudage et praticables métalliques, en escalier pentu complétés par un jardinet et une prison portative, éclairé par quelques guirlandes électriques fonctionne, mais semble être devenu la marque de fabrique de toute une génération, un recours systématique pour illustrer n'importe quel ouvrage, comédie ou drame. Thomas Jolly tire heureusement le maximum de cet opéra-comique, sans craindre de faire parler ses chanteurs avec assez de naturel, l'ensemble bien mené, drôle, enlevé et parfois poétique se laissant regarder avec plaisir.
Avec ses airs à la Audrey Tautou, gouaille parigote comprise, Marianne Crebassa est un adorable Fantasio, jeune dépravé, puis bouffon plein d 'esprit, qui se joue du désordre de la cour pour trouver l'amour. Vocalement le rôle lui va comme un gant, la tessiture étant idéale pour ses moyens ; petits bémols cependant pour la couleur uniforme de son instrument, dont elle ne se départit pas, alors que la musique permet quantité de modulations et une certaine retenue, sans doute due au trac de la première et aux huit représentations à venir. Marie-Eve Munger possède une curieuse émission vocale et un aigu étouffé, mais sa diction et sa pertinence musicale ne manquent pas d'intérêt, d'autant que le personnage de la Princesse Elsbeth est plutôt bien écrit et convient à son profil. Franck Leguérinel est un Roi impayable, Jean-Sébastien Bou un Prince de Mantoue survitaminé, vêtu comme un soldat de plomb d'une drôlerie incroyable, comme son aide de camp Marinoni interprété avec aplomb et tendresse par Thierry Félix. Parmi les second rôles tous traités avec attention, l'amusante Alix Le Saux (Flamel), Philippe Estèphe, Sparck un peu vert mais prometteur et le comédien Bruno Bayeux (Rutten, le tailleur et le garde suisse) aux envolées « almodovardiennes ».