Disponible en streaming sur OperaVision jusqu’au 7 juillet 2020 :
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Mis en scène par Graham Vick, ce Guillaume Tell s’annonçait comme un moment phare du festival de Pesaro 2013, servi par trois interprètes rompus au répertoire belcantiste : Nicola Alaimo, Juan Diego Flórez et Marina Rebeka. Mais disons-le d’emblée, les amateurs de beaux paysages suisses et de reconstitutions historiques risquent d’être déçus.
Avant même le début de la représentation, un rideau rouge où figure un poing levé annonce la couleur : il s’agira moins ici du sort de l’Helvétie que de lutte des classes. Si le décor est constitué d’un espace entièrement blanc, sans époque et sans lieu, les costumes permettent d’identifier un début de XXème siècle.
L’action semble à première vue déplacée dans un studio de cinéma dont Ruodi est un acteur, chantant depuis sa barque devant une toile peinte représentant un lac et des montagnes. Guillaume Tell en est un technicien, le chœur est occupé à nettoyer le sol, et à ce tournage se mêlent soldats en uniformes et bourgeois vêtus de blanc, canotiers sur la tête. La dichotomie est claire : ce ne sont plus les autrichiens contre les suisses, mais la bourgeoisie et l’armée contre les prolétaires. On ne s’étonne plus qu’une mise en scène choisisse pour décor un plateau de cinéma, c’est désormais chose courante à l’opéra ; mais on comprend moins pourquoi ce plateau disparaît si vite et qu’il ne soit plus question de tournage avant l’acte III, lors de la fête donnée par Gesler. L’idée – assez bonne – du film de propagande tombe à l’eau et le décor vide et blanc n’évoque désormais plus rien ; c’est pourtant une piste qui aurait mérité d’être davantage exploitée, voire aurait pu servir de fil rouge dans une production qui manque de cohérence.
Le seul élément qui traverse véritablement la mise en scène d’un bout à l’autre est la terre, mais pas tant au sens métonymique – la terre comme territoire, comme lieu auquel on appartient par ses origines ou parce qu’on l’habite – qu’au sens littéral : les personnages ont littéralement de la terre dans leur poche qu’ils jettent au sol pour marquer que ces lieux leur appartiennent, on voit dans une vidéo Melchtal et Arnold enfant cultiver le sol, la citation « Ex terra omnia » surplombe le décor… C’est efficace et lisible, mais peut-être un peu simpliste : le combat des suisses pour défendre leur territoire, n’est-il pas, après tout, au cœur de l’œuvre ? Ne mérite-t-il pas une illustration un peu plus recherchée et soignée ?
Tout cela n’empêche pas des moments bien pensés et efficaces visuellement et dramatiquement, que l’on pense aux chorégraphies très réussies de l’acte III qui évoquent des danses traditionnelles mais tournées en dérision par Gesler et ses invités, ou à l’escalier monumental qui descend des cintres et sur lequel s’avance Jemmy, symbole de l’avenir radieux qui s’ouvre devant lui, à la toute fin de l’opéra. Mais la direction d’acteurs est globalement limitée et, disons-le, absolument désolante à l’acte II : Mathilde et Arnold s’avouant leur amour tout en s’agrippant à des chevaux empaillés n’a non seulement aucun sens dramatique, mais aucun intérêt scénique ; difficile de faire moins romantique et de mettre les chanteurs plus en difficulté pour l’expressivité et l’émotion. Si les ensembles avec chœurs fonctionnent assez bien, Graham Vick se trouve vraiment en peine pour les solos, duos et trios ; pour sa défense, la musique de Rossini est loin d’être des plus faciles à mettre en scène, mais il faut reconnaître que le spectacle semble parfois un peu long.
Fort heureusement, Michele Mariotti dirige l’orchestre du Teatro Comunale di Bologna d’une main de maître. L’ouverture est superbe grâce à un pupitre de violoncelles d’un lyrisme remarquable et à des instruments à vent d’une clarté et d’une lumière sans faille. La direction est vive, l’orchestre déploie une belle palette de couleurs tout au long des quatre heures de représentation : sans aucun doute la plus grande réussite de cette production.
Car disons-le d’emblée, si la distribution possède des arguments vocaux indéniables, la compréhension du français est mise à rude épreuve. La diction de Juan Diego Flórez en Arnold est correcte – et en tout cas la plus compréhensible –, mais le ténor nous avait habitués à bien mieux. C’est dommage car il possède l’art de la ligne, la qualité de nuances et l’aisance dans les aigus dont le rôle a besoin. On pourrait disserter sans fin sur l’interprète idéal d’Arnold – plutôt Nourrit ((Adolphe Nourrit fut le créateur du rôle en 1829)), plutôt Duprez ((Gilbert-Louis Duprez est connu comme le premier ténor à avoir poitriné le contre-ut sur scène, précisément dans le rôle d’Arnold et à la grande horreur de Rossini)), plutôt léger ou plutôt héroïque –, mais en tout cas Juan Diego Flórez vient sans difficulté à bout de la partition avec ses moyens. Il livre un « Asile héréditaire » d’une grande élégance, tout en sachant se montrer déchirant dans le trio « Quand l’Helvétie est un champ de supplices ». On regrettera que la mise en scène le laisse si souvent immobile car le ténor aurait eu l’énergie nécessaire pour donner plus de présence et de vivacité au personnage.
Marina Rebeka incarne une Mathilde de haute tenue, d’une voix homogène aux vocalises joliment dessinées et aux aigus sonores dans les ensembles. La soprano comble les lacunes de la direction d’acteurs par des regards et quelques gestes bien choisis qui donnent une grande douceur au personnage. C’est d’autant plus dommage que son français laisse à désirer, car sa voix se fond parfaitement aux exigences du rôle. La même remarque vaut pour le Guillaume Tell de Nicola Alaimo qui, n’était ce défaut de diction, possède la beauté du timbre, la projection et l’autorité dont le rôle a besoin. Il campe un Guillaume sombre, renfermé et qui se prête bien à la vision du metteur en scène ; un héros qui ne manque pas de sensibilité non plus, notamment lorsqu’il s’apprête à relever le défi proposé par Gesler.
Ce dernier est remarquablement interprété par Luca Tittoto qui en impose scéniquement en tyran cynique et humiliant, tandis qu’Amanda Forsythe est un Jemmy tout à fait juvénile : les vocalises sont joliment perlées, l’aigu est incisif, mais on peut se demander si la voix parvient à passer l’orchestre et à remplir la salle. Hedwige possède le timbre sombre et l’engagement dramatique de Veronica Simeoni, et Walter la voix de Simon Orfila, puissante, efficace, mais qui mériterait davantage de raffinement. Déception surtout du côté du Ruodi de Celso Albelo, dont l’air d’entrée manque cruellement de souplesse et de rondeur, dans les vocalises comme dans l’aigu.
Voilà donc un Guillaume Tell((Il existe un DVD Blue ray DECCA Unitel Classics en vente partout)) dont on pouvait attendre beaucoup et finalement déçoit ; mais il offre du moins l’occasion d’entendre un orchestre et un chef tout à fait à leur aise dans ce répertoire, dont ils maîtrisent remarquablement le langage.
Disponible en streaming sur OperaVision jusqu’au 7 juillet 2020 :
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