L’Opéra de Rome a beaucoup compté pour June Anderson dont la carrière internationale a débuté sur cette scène un beau soir de 1982. Invitée à interpréter le rôle-titre de Semiramide, la soprano américaine reçut un tel accueil que le lendemain les portes des plus prestigieux théâtres lyriques s’ouvraient à elle. Bel cantiste aux moyens impressionnants, cette grande voix allait bientôt être appelée à servir pendant près de trente ans Rossini, mais également Donizetti, Bellini et Verdi sans oublier l’opéra français, quelques incursions dans la musique contemporaine en passant par plusieurs partitions straussiennes. Très appréciée en Europe (Italie, France et Espagne) qui put l’entendre dans ses plus grandes incarnations (Lucia di Lammermoor, Sonnambula, I Puritani, Norma….) les Etats-Unis ne firent appel à elle que rarement, le MET, Chicago et Pittsburgh lui confiant La Fille du Régiment, la première in loco de Semiramide en 1990 avec Horne et Ramey, Lucia, Orlando de Haendel (toujours avec Horne) et Anna Bolena. Cette voix puissante au large ambitus et à la virtuosité aisée, proche de celle de Sutherland, aurait pu se limiter à quelques partitions brillantes, or la cantatrice a su et pu s’orienter avec succès vers des emplois plus dramatiques sans jamais perdre sa capacité à vocaliser conservant assez tard dans sa carrière Norma, mais également Trovatore et en dernier lieu à Lucrezia Borgia.
La retrouver fraîche comme une rose au tout début des années quatre-vingt-dix sur la scène romaine dans Rigoletto , opéra qu’elle enregistra aux côtés de Luciano Pavarotti (Decca 1988) qui, comme Alfredo Kraus, l’appréciait énormément, est un plaisir. Pour elle Gilda est une promenade de santé, la tessiture longtemps confiée à des coloratures sans consistance ne lui pose aucun problème, son instrument délié, s’ajustant admirablement à l’écriture tantôt escarpée du « Caro nome », tantôt grave « Tutte le feste » et duo final. Son approche sensible du personnage lui permet de briller dans les passages de pure bel canto comme le « Caro nome » où elle semble planer dans l’air, rester dans l’aigu sans l’ombre d’un effort, triller, vocaliser, ou de se montrer plus intense face à la violence de son père. La jeune fille un peu crédule qui se livre au premier venu prend ainsi vite de l’épaisseur pour subir les humiliations du Conte et décider de son existence en se sacrifiant pour lui.
Vincenzo la Scola n’éprouve également aucune appréhension à chanter il Duca ; son ténor d’essence italienne possède la vaillance, l’éclat et la souplesse demandés. Il est si rare à l’exception d’un Pavarotti, d’entendre dans ce rôle un interprète qui ne risque pas de s’enrouer sur le « Questa o quella », que l’on est surpris de retrouver un musicien capable de nuancer « Parmi veder le lagrime » et de prendre plaisir à interpréter la cabalette pourtant aride « Possente amor mi chiama ».
À cette date, Leo Nucci n’en était pas encore à son cinq centième Rigoletto, mais l’adhésion du chanteur pour ce qui sera le rôle de sa vie est déjà manifeste. Le comédien n’est pas exceptionnel et la mise en scène de Slivia Cassini est bien traditionnelle, celui-ci s’accrochant à quelques effets stéréotypés qu’il conservera de production en production, comme cette jambe qu’il traîne, ses grimaces faciles et ses mains agitées en tous sens, mais l’interprète a compris qu’en s’identifiant à ce personnage il se ferait pardonner ses imprécisions, ce manque de justesse et cette tendance à tenir la note plus que de raison. Ceci posé, son gobbo demeure excellent et parfois même attachant surtout aux côtés d’une Gilda aussi racée, que seule Ciofi parviendra à dépasser en style et en émotion quelques années plus tard.
Captée par les caméras de la Rai, cette production signée Silvia Cassini n’est ni pire ni meilleure que ce qui se faisait à l’époque. D’un classicisme assumé, elle se contente de suivre à la lettre le drame, d’enchainer platement les décors et les costumes en se contentant de faire évoluer les personnages sans surprise ni originalité. Les nostalgiques seront heureux de retrouver Viorica Cortez, accorte Maddalena, sœur du sombre Sparafucile de Franco De Grandis.
Chef rompu à toutes les disciplines et aux ouvrages les plus variés, Bruno Bartoletti maîtrise superbement cette partition d’un jeune Verdi en train d’opérer dans un même élan, un mélange entre tradition et révolution. Grâce à des tempi majestueux et à une description minutieuse de chaque événement, le maestro semble sculpter les ombres et les lumières sans oublier de laisser la place au théâtre et à l’émotion.
Bonjour
J'ai vu Anderson en fin de carrière, avec à Liège une Salome en français où elle paraissait avoir vingt ans, et un Viaggio rossinien à Monte Carlo où les vocalises sentaient le poids de l'âge.. Et avec un Rockwell Blake qui faisait pitié. Sa Fille du régiment avec Kraus a l'Opéra Comique est un souvenir mémorable, comme ses interprétations à Pesaro..
Une grande dame.
Cordialement