Norma résistante pendant la seconde guerre mondiale ! Soit ! On en a vu d'autres. En toile de fond donc, un village français en pleine occupation, des résistants conduits par Oroveso, Norma chef de réseau, bientôt trahie par un collaborateur, Pollione, père de ses enfants, mais auprès de qui elle choisira de mourir non sans avoir été tondue avant d'être immolée par les siens. Si le duo Caurier/Leiser a essayé d'innover, livrant des indices dès l'ouverture pendant de courtes scènes jouées « comme au cinéma » dans un décor très réaliste d'école désaffectée (Christian Fenouillat), le reste du drame concentré à l'avant-scène devant un rideau de fer baissé est malheureusement dirigé de manière très conventionnelle. Norma seule chez elle, cachant ses enfants, Norma trompée par un homme qui lui préfère une plus jeune (Adalgisa), Norma anéantie à deux doigts de l'homicide roulant des yeux comme une damnée, la main crispée sur un mauvais couteau de cuisine ou sur sa bouteille d'eau de vie, tout cela n'a rien de révolutionnaire. Reste la scène finale où le couple recomposé et conspué, est puni par les résistants qui mettent le feu à l'école avant de fuir.
Cecilia Bartoli croit sincèrement à cette lecture entièrement conçue à son attention et la défend bec et ongles depuis plusieurs années de Salzbourg à Monaco, sans pour autant éviter le ridicule de certaines situations (le bébé dans les bras dont elle ne sait que faire, les œillades expressionnistes, la fureur traduite comme au temps du muet…), qu'un jeu plus travaillé aurait pu atténuer : ce n'est pas parce que l'on convoque le souvenir d'Anna Magnani qu'on lui ressemble.
Vocalement la performance laisse perplexe : en expédiant les récitatifs comme s'il s'agissait d'une feuille de route débitée avec agressivité, bien éloignée de la déclamation classique, en adaptant certains passages chantés à ses moyens (la cabalette « Ah bello a me ritorna », le trio de l'acte 1, le duo « In mia man »), en omettant de nombreux aigus, la cantatrice contourne la plupart des difficultés au point de transformer Norma en un rôle accessible – ce qu'il n'est pas ! – tout en se référant à l'original : mais lequel ? Pas d'accident majeur, certes, mais une prestation vocale en rien exceptionnelle.
En matière d'orchestre sur instruments anciens, nous pensions avoir atteint des sommets avec l'Ensemble Matheus de Jean-Christophe Spinosi au Châtelet en 2010, qui nous avait arraché les oreilles. Ce n'était rien à côté d'I Barocchisti dirigé par Gianluca Capuano, d'une aigreur impossible, grinçant, sans chair ni texture, parfois tellement fin qu'il en est inaudible, sorte de trame qui soutient à peine les voix, parfois tellement précipité qu'il crépite comme un feu de bois sans que l'on puisse définir clairement quels instruments le constituent. Sensation étrange et inédite.
La voix pâle et légère de la soprano Rebeca Olvera (Adalgisa) contraste évidemment avec celle plus mature de Bartoli, également plus âgée et plus corpulente, pour expliquer la trahison de Pollione, ténor lui aussi aux antipodes des habituels stentors distribués dans ce personnage (ah la vilaine tradition!), tenu avec fermeté et rigueur stylistique par Norman Reinhardt. L'Oroveso de Peter Kalman a belle allure, la Clotilde de Rosa Bove, le Flavio de Reinaldo Macias et les chœurs de la Radio Télévision Suisse de Lugano, sans histoire, apportant leur contribution à cette étrange expérience musicale et théâtrale à la gloire d'une artiste que rien ne semble pouvoir arrêter.