Vidéo disponible sur YouTube : https://www.youtube.com/watch?v=QuO1iioMDnw
Longtemps réalisés à la va-vite, sans « œil » derrière la caméra et tributaires de moyens techniques rudimentaires, les spectacles lyriques publiés en DVD sont aujourd’hui de grande qualité, car le plus souvent confiés à des équipes compétentes. Don Kent, François Roussillon ou Philippe Beziat… pour ne citer qu’eux, sont fréquemment sollicités pour restituer l’esprit d’une mise en scène et parfois les sublimer. Toutes les captations n’ont malheureusement pas la chance de disposer de spécialistes et le spectateur de se contenter d’un minimum syndical, à savoir une seule caméra posée en fond de salle, un seul plan large et s’il est chanceux un zoom. L’Andrea Chénier romain de 2017 a ainsi été sauvegardé ; la production du cinéaste Marco Bellochio, d’un classicisme désolant, aurait certainement gagné à être vue sous différents angles et à être habilement montée pour éviter au public de bailler devant cet amoncellement de clichés. Car il faut bien reconnaître que l’ennui plane très vite sur cette soirée dont le seul intérêt est de bénéficier de la présence d’un des tout derniers monstres sacrés du chant : Gregory Kunde.
Les candélabres du palais, les baies ouvertes sur un parc, les toiles peintes, le tribunal et la prison, rien ne manque à l’appel sauf l’idée, l’étincelle, ce qui fait d’une représentation d’opéra un moment de théâtre inoubliable. D’où vient à ce propos que ce hit du répertoire n’inspire aux metteurs en scène de tout poil qu’un pathétique respect à la lettre des didascalies et un style révolutionnaire hautement désuet, que l’on retrouve inchangé sur toutes les scènes du monde ?
Nous nous rabattrons donc sur la partie musicale, et encore. Roberto Frontali n’est pas un mauvais Gérard, mais sa prestation est bien monolithique et l’on sait qu’il suffit d’y avoir vu et entendu Carlos Alvarez pour savoir comme ce personnage ulcéré, tiraillé et cauteleux peut, lorsqu’il est défendu avec conviction, s’apparenter à celui de Scarpia. La Bersi de Natascha Petrinsky est honnête, Elena Zilio est bouleversante en Madelon, Anna Malavasi une Comtesse de Coigny vaillante comme les comprimari et les chœurs de l’Opéra de Rome. La direction linéaire et routinière de Roberto Abbado ne permet pas au drame de briller sous un jour nouveau où de révéler des aspects inconnus de la partition : c’est solide, en place, mais sans surprise.
Gregory Kunde n’en a heureusement pas fini de nous surprendre par son aura, son humilité et sa carrière qui semble ne devoir jamais s’arrêter. La prise de rôle du ténor américain (qui rêve d’incarner Mario Cavaradossi avant de prendre sa retraite et qui devrait y parvenir !) vient sans doute un peu tard, mais devant la bravoure, la sincérité des accents et la leçon de style on oublie aisément le vibrato qui vient çà et là polluer la ligne de chant. Si son Chénier n’a pas vraiment le physique du rôle, il en a le tempérament et la fougue qu’il s’agisse de faire vibrer Maddalena « Un di all’azzuro spazio », de clamer sa défense « Si fui soldato », ou de poétiser avant de mourir « Come un bel dì di maggio ». Sa partenaire Maria José Siri a beau sautiller en tous sens comme une jouvencelle, sa lourde voix et son jeu suranné sont un contresens, sa Maddalena de matrone ayant plus à voir avec Azucena. Son timbre grisâtre, son aigu contraint et ses effets appuyés qui rendent sa « Mamma morta » pachydermique, sont l’antithèse des miraculeuses interprétations de ses consœurs Harteros et Radvanovsky qui, par leur sens du théâtre et leur inspiration musicale ont su redonner à cette héroïne vériste – comme Callas en son temps – toutes ses lettres de noblesse.
Vidéo disponible sur YouTube : https://www.youtube.com/watch?v=QuO1iioMDnw