Cette production des Noces de Figaro signée Marco Arturo Marelli revient au Capitole de Toulouse où elle avait été donnée en 2008, avant de voyager au Wiener Volksoper, à Opéra de Lausanne ainsi qu'au Teatro Real de Madrid. Ce travail de bonne facture exploite une veine traditionnelle vaguement inspirée d'une esthétique à la Strehler – sans atteindre le déploiement de détails, ni la palette de tons et l'ajustage coloriste millimétré de son illustre aîné. Rien ne manque en revanche d'un rapport scrupuleux aux didascalies que Da Ponte avait préservées de la pièce originale de Beaumarchais. En résulte une palette de situations qui, à trop vouloir illustrer transforment les scènes en images d'Épinal. Figées sous un vernis protecteur devenu glacis rigide, cette approche muséale confond le respect de l'œuvre avec son interprétation – laquelle nécessite une palpitation et une distance à la fois inévitable et nécessaire pour permettre à la lecture de se déployer dans les directions polémiques que souhaitaient lui donner le créateur Beaumarchais.
La charge polémique et politique, passablement affadie par une scénographie trop proche du tableau vivant, limite le jeu et le corps de l'acteur à des paramètres secondaires qui font office de faire-valoir. La présence écrasante d'une reproduction du plafond signé Francisco Bayeu y Subías montrant Jupiter battant les Géants avec l’aide d’Hercule et de Minerve (1767) (( https://www.museodelprado.es/coleccion/obra-de-arte/el-olimpo-batalla-de-los-gigantes/b12804d1-a48e-4288–927c-38f3cd19c05b )) donne au dispositif scénique une orientation idéologique censée illustrer par l'allégorie mythologique les prémices et le souffle révolutionnaires du livret de Da Ponte-Beaumarchais. Traitée dans un style rococo, cet épisode des métamorphoses d'Ovide superpose les péripéties de cette "folle journée" à la rébellion de Figaro (Hercule) et Susanna (Minerve) contre le pouvoir d'un Comte Almaviva dont le statut aristocrate aurait pu associer au personnage de Jupiter. Sa "défaite" sociale donne au thème de cette gigantomachie des résonances de guerre sociale à l'issue de laquelle le peuple triomphe, avec le couple Figaro-Susanna et surtout la Comtesse dont on n'oubliera pas de préciser qu'elle était la roturière Rosine du Barbier de Séville, pupille du docteur Bartolo.
Reproduite intégralement sur de hauts panneaux qui tantôt ferment le cadre de scène et tantôt se fractionnent en rythmant latéralement le plateau, la peinture de Francisco Bayeu sert de focale politique et satirique à une œuvre dont le modèle théâtral dénonçait l'Ancien Régime. Qualifiée par Louis XVI "d'exécrable, qui se joue de tout ce qui est respectable" et dont "la représentation ne pourrait qu'être une inconséquence fâcheuse, sauf si la Bastille était détruite", ce Mariage de Figaro (devenu "Nozze" chez Da Ponte) est ici montré en un huis-clos séparé par un axe central percé d'une porte – accessoire essentiel du vaudeville et moteur de l'action qu'un léger tremblement du cadre accompagne chaque entrée et sortie de la crainte d'un accident fatal… L'apparition de discrets rubans tricolores fait écho au bonnet phrygien qu'arbore le turbulent Vulcain sur le côté gauche du tableau.
Les personnages en costumes d'époque évoluent sur une scène en forme de cercle étroit, symbole d'un lieu concentrant le jeu des relations dont le rythme se heurte à une absence de lignes de fuite. Là où Strehler transformait les déplacements en mathématiques du désir et de la séduction, Marelli joue sur le mode de l'abattage et de la pièce bouffe avec d'inévitables vignettes sans réelles surprises : Figaro mesurant le lit de ses noces, les farces autour des dissimulations et apparitions de Cherubino, le Comte lutinant Susanna et La Comtesse promenant sa blessure amoureuse d'un bout à l'autre… En dirigeant sur elle un rayon de lumière, Friedrich Eggert donne à son apparition le sentiment d'un réveil après une nuit agitée. Les Noces racontent la faillite d'un couple qui échoue à se réconcilier, malgré les stratagèmes aboutissant au pardon que le Comte implore à la toute fin. À la bonne idée (certes fugace) de montrer la Comtesse tourmentée par son désir pour Cherubino succèdent d'autres banalités, dont un peu mystérieux jardin aux allures de Stonehenge de fausse verdure quand les panneaux finissent enfin par s'écarter au dernier acte…
Cherubino à de multiples reprises, dont la production légendaire de Giorgio Strehler montée à l'Opéra de Paris, Karine Deshayes aborde avec un palette de nuances très sages le rôle si difficile de la Comtesse. Le soin qu'elle place dans la tenue et le dessin de la ligne traduit une concentration aux confins de la rigidité dans un Porgi Amor que l'orchestre mène curieusement tambour battant… Dove sono la trouve mieux à son aise, enfin capable d'élargir les nuances pour faire entendre l'amertume et l'aspiration au désir de celle que Beaumarchais nommera la Mère coupable dans l'ultime volet de sa trilogie. Difficile de croire que le Cherubino un peu foutraque d'Eléonore Pancrazi puisse conquérir son cœur, courant après ses nuances (Non sò più) ou les changements de registres (Voi che sapete). Anaïs Constans affiche en Susanna un caractère et un feu qui souvent dans les ensembles, cherche à dominer les débats (Voi, signor, che giusto siete) avant de trouver un équilibre et une densité plus appropriée dans les moments plus exposés et plus intimes (Deh vieni, non tardar). Le Figaro de Julien Veronese n'a pas l'impact ni la netteté de ligne capables de donner au personnage une flexibilité d'expression alliant le ton narquois à la candeur (Se vuol ballare), sans compter l'absence de mordant et de rythmique (Non più andrai). Le Comte de Michael Nagy remporte pratiquement sans coup férir, la palme de la vocalité et du contraste – fruit d'un engagement et d'une couleur qui sans faiblesse, plie les intentions aux contours psychologiques d'un séducteur finissant. Ni la rythmicité ni le caractère ne manquent aux seconds rôles, à commencer par le Basilio grinçant d'Emiliano Gonzalez-Toro ou la Marcellina délicieusement acariâtre d'Ingrid Perruche. Le Bartolo bien phrasé de Frédéric Caton rejoint la comique lourdeur d'Antonio (Matteo Peirone).
Dans une fosse redimensionnée où se pressent les musiciens de l'Orchestre du Capitole en effectif réduit, Hervé Niquet dirige avec les vents rangés derrière lui. Cette lecture d'un hédonisme bon teint ne vient pas bousculer les standards, mettant nettement en valeur les qualités d'un quatuor capable d'offrir à Mozart une palette et un relief d'archet de tout premier ordre. Les équilibres sont dans l'ensemble respectés, malgré l'inévitable irruption des cymbales placées à cour. Optant pour des tempi tantôt nerveux tantôt alanguis, il sépare clairement les ensembles des arias, créant des dissymétries et des contrastes dans l'homogénéité globale de l'ouvrage.