Un sans-fautes sur toute la ligne : direction mise en scène, dustrubution, orchestre et chœur, scénographie. Après bien des années, Luisa Miller réapparaît au programme du Teatro dell'Opera, dans une édition d'excellente qualité, qui marque les débuts de Michele Mariotti, sur le podium du Teatro Costanzi, comme nouveau directeur musical. Et c’est un début réussi, dans lequel Mariotti a montré une maîtrise totale d'une partition difficile car prismatique, tant dans l'alternance d'éléments stylistiques traditionnels et d’autres plus novateurs que dans la concaténation dramaturgie-musique.
Comme nous le savons, Luisa Miller, point culminant qui scelle et clôt la période de jeunesse de Verdi, est une œuvre d'une hétérogénéité conceptuelle évidente. C’est bien une caractéristique apparue dans la première période de Verdi, qui risque de faire apparaître cette œuvre et d'autres comme un collage de situations musicales diverses. Pourtant, la confiance dont fait preuve le chef d'orchestre, comme on sait originaire de Pesaro – qui a conduit l'Orchestre et le Chœur (dirigé par Roberto Gabbiani) de l'Opéra à un résultat décidément flatteur – confirme sa profonde connaissance de ce répertoire particulier de Verdi, qu'il a déjà fréquenté dans d'autres œuvres. C'est donc précisément de la coexistence de différents facteurs et styles que le chef a pu tirer une synthèse d’une expressivité brûlante et d’une tension persistante : comme, par exemple, dans l'étonnant quatuor vocal a cappella du deuxième acte, Un sogno di letizia. Il n'y a donc pas besoin de fracas ou de ruptures précipitées pour garantir le succès. Au contraire, il y a une attention systématique aux nuances et aux couleurs, soigneusement mélangées, comme par exemple dans la mise en valeur des interventions de certains instruments à vent.
La production provient de l'Opernhaus Zürich, où elle est apparue en 2010, signée Damiano Michieletto comme metteur en scène (repris à Rome par Andrea Bernard) et son équipe éprouvée : Paolo Fantin pour les décors, Carla Teti pour les costumes, Alessandro Carletti pour les lumières, Carlo Diego Massari pour les mimes. Les côtés et le fond de la scène sont dotés de hauts murs, coupés en deux horizontalement par un rais de lumière. La partie supérieure symbolise la noble résidence du comte de Walter, père du jeune amant Rodolfo, avec des portes en stuc, des lampes élégantes et des chaises majestueuses suspendues aux murs. Dans la partie inférieure, la simple maison Miller, habitée par le père et la fille, avec peu de lumière et de pauvres chaises suspendues à l'envers. Surtout, au centre se trouve un grand cube, où se déroule l'action, et avec quatre murs qui s'ouvrent ou se ferment selon le moment, murs sur lesquels sont fixés deux tables et deux lits, avec des apparences très différentes pour distinguer les deux environnements sociaux, à chaque fois. Tout est posé sur une tournette qui tourne en fonction du développement de l'histoire et des situations.
Il s'agit d'une idée qui fait bien fonctionner l'intrigue, d'un espace englobant qui accueille également les mouvements du chœur, et qui se cimente au fur et à mesure, sans pause dans l'action. Une structure qui n'offre donc pas les surprises spectaculaires des productions plus récentes de Michieletto, mais qui traduit de manière incisive l'idée principale du metteur en scène vénitien. C'est-à-dire l'idée que, dans cette œuvre, il ne faut pas tant lire la juxtaposition entre classes sociales, ou entre gentils et méchants, mais plutôt le développement problématique et symétrique de la relation entre parents et enfants. La perspective qui rend la mise en scène de Michieletto convaincante considère donc que le pivot de l'histoire n'est pas tant l'amour entre les deux jeunes gens, Luisa et Rodolfo, mais plutôt le lien étroit et parallèle entre les deux pères et les deux enfants. Les deux parents transfèrent leurs attentes sur leurs enfants et tentent de conditionner leurs choix. C'est la charnière de la lecture de Michieletto. Pour être plus clair, tout au long de l'opéra, il y a des contre-scènes avec comme personnages deux enfants et leurs jeux ; une solution qui, d'une part, évoque l'enfance et la pureté des sentiments des deux amants, et, d'autre part, souligne le fossé entre les générations que le metteur en scène place au cœur de l'histoire. En conclusion, un projet scénique efficace et convaincant.
La distribution était à la hauteur, avec une Roberta Mantegna en pleine possession de ses moyens. Son rôle reflète la phase de transition dans laquelle se déroule cet opéra. Le personnage de Luisa, en effet, possède d'une part un style d'écriture encore empreint d'agilité, dans le sillage de la tradition du bel canto, et d'autre part montre une tendance innovante vers un style vocal romantique et passionné. Le jeune soprano a donc su, d'une part, dessiner les fioritures attendues avec goût et tempérament, sans affectation, et d'autre part, elle a rendu avec un savant équilibre le parcours émotionnel de la jeune fille, des tendres palpitations du début à la conclusion malheureuse qui la submerge, elle et son bien-aimé. La plénitude de ses moyens vocaux, mesurés à l’aune de tout le registre, du pianissimo aux aigus, et l'attention minutieuse portée à chaque nuance ont valu à la chanteuse sicilienne la faveur convaincue du public.
Antonio Poli a offert une grande performance dans le rôle de Rodolfo, imposant son style de ténor verdien en termes d’éclat, d'accent et de phrasé. Ces caractéristiques sont apparues clairement dans sa grande aria du deuxième acte, Quando le sere al placido, grâce aussi à l'accompagnement perspicace et subtil de Mariotti.
Le duo avec Federica et les échanges tendus avec Walter, le père, étaient également remarquables ; un soupçon de fatigue dans le duo final tragique avec Luisa n'a en rien nui à un défi parfaitement relevé.
Et comment rendre compte de l'étonnement émerveillé du public suscité par Miller le père, le baryton mongol Amartuvshin Enkhbat ? Une voix d'une autre époque, pourrait-on dire, pour son volume, sa rondeur, sa douceur et sa chaleur, avec un timbre toujours homogène d'un registre à l'autre. Un fleuve de sonorité moelleuse, et très bien gouverné dans le phrasé, comme dans la diction ; c'est plutôt le côté jeu d'acteur, celui de l’incarnation, qui apparaît problématique et maladroit : espérons qu'un travail ponctuel sur les aspects scéniques aidera ce chanteur à surmonter sa rigidité.
Les autres participants étaient également de haut niveau. Michele Pertusi a été un Conte di Walter impeccable tant au niveau de la qualité vocale, toujours solide et compacte, qu'au niveau de l'interprétation, totalement fiable dans les accents et les facettes de son personnage. Le personnage de Federica a un espace limité, mais le fait de le confier à une artiste comme Daniela Barcellona a garanti une véritable présence interprétative et le meilleur résultat musical possible, comme l'a démontré le duo avec le ténor. Avec un répertoire de tics et de manies d'un méchant endurci, et avec une performance vocale adéquate, Marco Spotti a rendu de façon crédible la méchanceté sournoise de Wurm, le courtisan de Walter. Il convient également de mentionner, dans les seconds rôles, Irene Savignano, qui a fait un excellent travail dans le rôle de Laura, et Rodrigo Ortiz dans celui d'un paysan, tous deux issus du projet "Fabbrica" de l'Opéra ((Le nom de la structure de formation de l'Opéra)).