Le Festival Donizetti dispose d’une chaîne TV (abonnement nécessaire) la Donizetti Opera Tube où vous trouverez les streamings des différents opéras de l’édition 2023, dont cette production de Lucie de Lammermoor, mais pas que. C’est un excellent moyen d’approfondir un compositeur essentiel qui en France n’est à l’honneur que pour les opéras bouffes et quelques rares titres fameux alors qu’il a aussi une production française qui n’est pas négligeable.
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Une œuvre qui n’est pas une simple traduction
Il y a quelques sensibles différences entre version originale et adaptation française, dans la distribution et le poids des personnages et aussi certains airs. La plus visible est l’ajout d’un personnage, Gilbert (ténor), qui joue le rôle du méchant et du traître, homme de main d’Henri. Du même coup Alisa la confidente de Lucia disparaît ainsi que Normanno, le grand veneur d’Enrico, tandis que le rôle de Raimond se trouve réduit par rapport à Raimondo de la version originale et amputé de son duo avec Lucia. Par ailleurs, le premier air de Lucie, que n’avons-nous des ailes est pris à Rosmonda d’Inghilterra et ne reprend donc pas le texte de Regnava nel silenzio de la version originale.
Exécutant une commande du Théâtre de la Renaissance, Donizetti était de ce fait plus libre que s’il avait travaillé pour l’Opéra, et le Théâtre de la Renaissance ouvert depuis peu, essayait de naviguer à vue pour afficher de l’opéra sans mordre sur les privilèges des grands théâtres d’Etat (Opéra, Opéra-Comique, Théâtre Italien) et par ailleurs, la salle aux dimension plus réduites permettait d’éviter des dépenses somptuaires en termes de spectacle. En programmant cette Lucie de Lammermoor au Teatro Sociale, le festival Donizetti essaie de reproduire en quelque sorte les conditions originales.
C’est la même histoire avec la même division en actes, mais le livret n’est pas une traduction de l’original italien. La présence de Gilbert, qui semble protéger les amants mais qui en même temps sert Henri, le frère de Lucie, pour tirer avantage des deux côtés, ne change pas seulement un peu la trame, mais noircit l’ambiance générale, renforçant la solitude du couple d’amoureux en faisant de Lucie une proie encore plus livrée aux manigances familiales. Enfin, nous l’avions déjà esquissé, c’est un opéra où Lucie est le seul rôle féminin, face à un monde exclusivement masculin, et amoureuse d’une sorte d’exclu. La fresque n’est pas vraiment azuréenne. L’original ne l’était pas non plus, mais la version française est peut-être encore plus sombre. On a quelquefois rapproché cette histoire de celle de Roméo et Juliette (un couple victime des haines familiales) mais au moins, chez Shakespeare, le couple se retrouve au moment de la mort : ici, chacun des deux meurt seul.
La production du Donizetti Festival
De cette matière noire le metteur en scène Jacopo Spirei a tiré une mise en scène certes sombre, mais aussi épurée que lourde, ce qui peut paraître contradictoire, qui allie une idée centrale un peu assénée et des moyens théâtraux plutôt légers si l’on se réfère aux deux autres productions de l’année 2023.
La légèreté, c’est un dispositif essentiellement fait de toiles peintes (décor de Mauro Tinti), un espace scénique au total assez réduit, comme une production un peu à l’économie, ou pour le dire plus élégamment réduite à l’essentiel. Un fil rouge dans le décor, un tronc, d’arbre, au pied duquel tous les personnages vont se réunir ou s’écrouler, d’Edgard à Lucie et Henri,
Ce tronc d’arbre, sorte de référence permanente qui tient le fil de la trame est entouré d’ambiances diverses, quelques arbres au premier acte (on est en forêt), des bancs (d’église ?) au deuxième acte pour la scène du mariage, Deux ambiances au troisième acte, une longue table qui marque les festivités d’après mariage, puis pour la scène du cimetière une carcasse de voiture et des cadavres de femmes dans l’ombre.
Il n’y a pas d’ouverture à proprement parler et dès l’introduction musicale au chœur des chasseurs, le metteur en scène construit un jeu d’illusions avec un couple d’amoureux bientôt surpris par d’autres hommes qui isolent la jeune femme où il se révèle que, ainsi qu’à la chasse, la jeune fille a servi d’appât et se retrouve face à trois hommes dont celui avec qui on la croyait en couple. C’est à la fois une scène de « chasse en Ecosse », mais aussi une sorte de pantomime prémonitoire de l’histoire que le couple va subir.
La chasse à courre initiale est donc une chasse à la femme : on finit par en ramener quatre, isolées, attachées à un arbre, que le groupe de chasseurs va entraîner dans la forêt pour laisser se développer « la scène d’exposition » entre Henri et Gilbert.
Quand les hommes reviennent, vestes tombées, vaguement débraillés, on comprend que la chasse fut heureuse et les proies offertes… les quatre femmes sont avec le groupe, détruites et bientôt brandies telles des trophées par un Henri chef de bande, et un Gilbert exécuteur mafieux (revolver entre les bretelles etc…). L’ambiance est claire : Spirei assimile Ashton à un chef mafieux sans trop de loi et probablement pas plus de foi.
On retrouvera ces femmes au troisième acte, dans la dernière scène, cadavres amoncelés sur un monticule de terre derrière la carcasse de voiture, comme abandonnées sur un terrain vague où la pègre règle ses comptes et fait disparaître ses méfaits.
Toute la mise en scène est là : Lucie est perdue dans un monde de prédateurs, de mafieux dont son frère est l’organisateur et le maître.
Alors apparaît Lucie, isolée, un peu perdue, et déjà fragile : elle se scarifie, en une sorte de don sacrificiel qui la pose dans sa situation et son destin.
Dans ce monde sinistre, Edgard de son côté n’appartient visiblement pas au même univers : il est vêtu (costumes de Agnese Rabatti) en jean et blouson de cuir, qui ne correspond pas du tout au code du monde qui entoure Lucie, prédateurs, certes, mais plus ou moins cravatés… l’habit ne fait pas toujours le moine.
Edgard, c’est presque dirait-on un jeune des quartiers, hors des cercles de pouvoir, hors des cercles de l’entre soi. Spirei joue aussi sur l’origine congolaise du ténor français Patrick Kabongo, qui devient aux yeux de Henri et de la bande un double paria social et racial qui s’oppose évidemment par le costume et l’allure à Arturo, le promis, propre sur lui et lisse, qu’on a vu dans la scène précédente gober sans broncher les promesses de son futur beau-frère.
Dans un monde violent et au total terriblement conformiste, surtout conforme à une idée de la jeune fille de bonne famille qui doit obéir aux mâles en souriant (de préférence) Cela contribue encore plus à singulariser la situation d’une Lucie complètement hors normes, hors de l’imaginable pour une horde de mâles blancs..
Tout cela montre un travail qui s’inscrit dans une sorte de compréhension immédiate et visuelle, on lit une ambiance, on lit la nature des personnages, et on comprend les intentions du metteur en scène.
En dehors de ces éléments perceptibles immédiatement, pas grand-chose d’autre ne se dégage de ce travail qui ne se différencie pas vraiment d’une vision habituelle de l’œuvre, avec les mouvements de chœur sont réduits a minima, notamment pendant la scène du mariage (Acte II).
L’entrée du chœur n’est pas sans évoquer celle du chœur des nobles de Tannhäuser au deuxième acte, Freudig begrüssen wir die edle Halle, est ici traitée non comme une assemblée de nobles, mais plutôt d’allégeance au chef mafieux.
Et Spirei a marqué l’attitude d’une Lucie rétive, malgré la contrainte où elle est réduite et les « preuves » accumulées de la trahison d’Edgard, manière de montrer que la soumission n’efface pas la vérité du cœur.
Pour le reste, même si les revolvers remplacent les épées, il n’y pas grande différence avec la pratique- habituelle pour l’intervention finale d’Edgard et les ensembles qui concluent l’acte…
Le troisième acte commence par le duo Henri Edgard autour de la table vaste qui va être le pivot central de toute la première partie de l’acte. Rappelons qu’il se divise en deux parties, d’un côté la « scène de la folie », et de l’autre la mort d’Edgard.
En fait, la structure temporelle de l’opéra est assez simple : le premier acte fonctionne comme prologue à la tragédie : exposition, et éloignement d’Edgard pour rendre possible les desseins familiaux d’Henri (dans la version française, Henri est au courant des amours de sa sœur, dans l’original italien, il les apprend de la bouche de Normanno).
Le deuxième acte se déroule quelques mois plus tard, et si la première scène avec Gilbert fixe le cadre de la suite, tout le reste de l’opéra, se déroule pratiquement dans une continuité temporelle, du début du mariage à la fin tragique d’Edgard. Le mariage a été célébré au deuxième acte, on fait la fête pendant au troisième comme dans tous les mariages tandis que les mariés « se sont éloignés ». C’est lors de cet « éloignement » que Lucie a poignardé Arthur et revient sur scène (scène de la folie), la scène suivante se déroule au fond de la même nuit : le temps est presque aussi resserré que dans une tragédie. Pratiquement deuxième et troisième acte se déroulent en moins de 24h.
Le décor est barré d’une table centrale table qui est table de Festin, estrade de danse et bientôt podium sur lequel Lucie va chanter avec autour de la table exclusivement des hommes : Spirei revient ainsi sur l’idée initiale : Solitude de Lucie parmi les hommes, ici assez effrayés par le spectacle qu’elle offre, non pas de sa folie, mais de ce qu’elle a tué son mari, avec la vague crainte qu’elle n’achève le boulot en les poignardant aussi…
Les scènes finales censées se dérouler auprès des tombes des Ravenswood se déroulent dans un décor très « marqué » : une carcasse de voiture, et un monticule de terre sur lequel gisent les quatre femmes du premier acte.
Ce lieu est celui où les sbires d’Ashton achèvent tous les sales boulots, où l’on fait disparaître les corps des délits. Edgard s’y retrouve sans doute parce que le monde d’Ashton a effacé tout passé et toute mémoire et que le jeune homme est désormais seul au milieu des brutes, lui aussi.
Pour confirmer cette logique, le chœur, qui devrait être empathique devant la souffrance d’Edgard (texte et musique le soulignent) va chanter l’empathie et mimer la moquerie, le sarcasme, la violence, si bien que dans toute la partie finale, entre les interventions de Raimond, le suicide d’Edgard et le remords d’ Henri, c’est le groupe – le chœur- qui semble désormais en roue libre, cherchant à incendier la carcasse avec Edgard dedans, n’ayant cure ni de Raimond ni d’Henri, comme si désormais tout était permis à la violence masculine, l’image finale montrant le chœur partant vers d’autres aventures pas très recommandables et laissant en scène un cadavre et deux affligés.
Alors l’impression qui domine, c’est une mise en scène où la thèse est surlignée au stabilo avec quelque insistance, on comprend la chasse au tendron du prélude, mais la scène finale où l’on règle ses comptes contre une carcasse de voiture et quatre cadavres de femmes violées, correspond à la thèse sans rajouter rien de plus de ce que nous savions dès le prélude.
Cela ne manque pas d’idées, mais elles sont mal réalisées, à la limite de la caricature de mauvais film sans vraiment fouiller dans un travail plus approfondi sur la nature de l’œuvre. Dans le programme de salle et intelligemment, Spirei pose la question de la folie de Lucie.
De fait, c’est peut-être plus des extrêmes de la douleur plus que des extrêmes de la folie dont il faudrait ici parler, ce qui permettrait d’ailleurs de reposer la question de ces scènes de folies féminines qui parsèment les opéras qu’on semble avoir classées une fois pour toutes dans la catégorie folie, parce que la question de la douleur féminine se vend moins bien, en replaçant le personnage dans une sorte de normalité. La folie, c’est tout ce qui va être aussi attribué à l’hystérie féminine et à ses excès. C’est ainsi que les hommes regardaient les femmes…
Mais ce qui aurait pu être un beau travail sur le personnage est ici vision habituelle (chemise de nuit dégoulinante de sang etc…) sans aller bien plus avant.
Un rendez-vous peu convaincant avec cette œuvre, malgré une idée de départ qui pouvait être séduisante, mais jamais fouillée et restant sans cesse à la surface et dans l’effet.
Les aspects musicaux
Les voix
Une part non négligeable de la production donizettienne ayant été représentée en version française ou même créée en Français, le rôle du Festival Donizetti est de faire connaître ces œuvres moins jouées et moins connues, d’autant que la production pléthorique du compositeur bergamasque et la relative exiguïté du répertoire joué aujourd’hui permet à chaque édition d’offrir son lot de nouveautés et d’œuvres inconnues. C’est justement le cas de cette édition qui propose deux œuvres totalement inconnues du public dont nous avons précédemment rendu compte.
La production « française » impose donc aux chanteurs de chanter en Français, ce qui pour les italiens n’est jamais facile, notamment quand ils sont habitués à la version italienne. Or, la diction, le phrasé, la prononciation imposent quelquefois un style de chant nettement différencié par rapport aux versions italiennes. C’est d’ailleurs le même cas pour Verdi. L’opéra sans aucun doute sonne différemment et demande notamment aux chanteurs non idiomatiques un travail très différent sur le phrasé, l’émission et les accents. Nous soulignons suffisamment dans chacun de nos comptes rendus l’importance qu’il faut accorder au texte pour que ces questions valent pour toutes les langues à l’opéra, mais quand on a l’habitude de chanter une Lucia italienne, il peut être difficile de passer à Lucie. Mais dans l’ensemble de la distribution, on doit saluer les efforts de tous, francophones ou non car dans l’ensemble le français est sinon impeccable, du moins clair, compréhensible et bien maîtrisé dans sa couleur et ses lignes.
On l’a déjà souligné, la différence vocale avec la Lucia Italienne tient d’une part à la réduction de l’importance accordée à Raimond par rapport à Raimondo dans l’original italien, à la disparition des personnages d’Alisa et de Normanno, qui justifient de la création du personnage de Gilbert, âme damnée de Henri, qui est la figure de la duplicité et de la traitrise puisqu’il fait semblant d’aider Lucie et Edgard tandis qu’il manœuvre pour son maître Henri Ashton. Elle tient aussi à une Lucie plus dramatique aux aigus plus marqués.
Raimond, c’est Roberto Lorenzi, au rôle singulièrement réduit par rapport à l’original italien (il y manque notamment tout le duo avec Lucie), avec sa voix de basse noble, bien projetée et assez puissante dans cette salle aux dimensions un peu plus intimes, il propose une prestation très acceptable et puissante du personnage, avec une prononciation du Français assez claire.
Dans le rôle de Sir Arthur, le malheureux fiancé et très éphémère mari, on retrouve Julien Henric, qu’on a déjà entendu à Genève et sur d’autres scènes et qui a toujours montré des qualités éminentes. La voix est bien posée et bien contrôlée, avec une jolie ligne, le timbre particulièrement clair et lumineux, la diction impeccable et la prestance scénique enviable qui donnent à cette voix de ténor un véritable éclat, non dépourvu de noblesse.
Remplaçant les rôles d’Alisa et Normanno dans la version originale, le rôle de Gilbert le méchant est confié à David Astorga qui s’en titre avec les honneurs, notamment par ses efforts de colorer la voix et lui donner son aspect insinuant et cynique , dans un Français parfaitement limpide. La voix de ténor est claire, forte, bien projetée, ce qui lui donne une belle présence scénique et une très belle assise.
Edgard, c’est le ténor français Patrick Kabongo.
Il y a trois ténors, Gilbert le méchant, Arthur la victime au propre et au figuré, victime des mensonges d’Henri et victime de la folie désespérée de Lucie, et Edgard l’amant malheureux. Il faut donc qu’ils aient chacun une couleur très différenciée.
Nous avons vu que Gilbert était le cynique insinuant, Arthur, le brillant un peu naïf, et reste le « premier ténor », Edgard, le pur lyrique, qui doit avoir à la fois l’éclat, la délicatesse de celui qui aime et est aimé en retour et le désespoir tragique de celui qui a été manipulé et éloigné. Kabongo a d’abord une élégance qui frappe.
Son chant est d’une élégance marquée, celle d’un styliste qui prend soin de chaque mot, de chaque inflexion, de chaque modulation, avec un contrôle sur le souffle permanent et un souci de l’émission qui ne le quitte jamais, un peu trop d’ailleurs parce qu’on sent que la concentration sur le chant efface quelquefois l’incarnation. Enfin, même dans cette salle aux dimensions moyennes, la voix n’a pas toujours le volume nécessaire. Il semble plus un Almaviva rossinien qu’un Edgard auquel il manque quelque éclat. C’est un peu dommage parce que son chant très ciselé arrive à émouvoir vraiment à la fin de l’œuvre dans son dernier air allié à la manière dont la mise en scène construit le personnage, qui de marginalisé par « destin » devient une sorte de « victime désignée » par les autres. C'est clairement un profil au total plus profond que les autres. Un chanteur à suivre attentivement.
Vito Priante en Henri Ashton termine cette galerie masculine. Il est vu par la mise en scène de manière assez conforme à l’attendu, en mâle dominateur plus soucieux des intérêts du clan (et des siens) que de ceux de sa sœur qui vit au fond le destin des filles de famille telles que les voit le XIXe, victimes obéissantes et soumises.
Mais c’est vocalement qu’il est absolument remarquable à tous égards : d’abord par son français impeccable, aux accents marqués, sa diction ciselée, son sens du mot et du poids que donne sur le mot la couleur, et puis l’autorité offerte par le volume, l’émission, la projection et l’aisance scénique. Il est à la fois monstre froid et à la fin il réussit même dans le dernier instant à émouvoir (« Le remords, voilà mon partage »…). C’est sans conteste la vedette de la soirée, qui remporte un triomphe particulièrement mérité.
Caterina Sala sortait d’un rhume lourd qui l’a empêché d’assurer l’intégralité de la première. Elle est de nouveau en scène et même si les moyens ne sont pas intégralement revenus on retrouve son timbre assez cristallin et la vigueur d’un volume qui nous avait déjà étonnés dans l’Elisir d’Amore au Festival 2021. Peut-être pourrait-on souhaiter pour Lucie une voix plus légère ( Lucie est en effet plus légère que Lucia), mais c’est ici plus une question de goût. Caterina Sala qui nous avait frappés par sa présence en scène et son abattage dans l’Elisir frappe ici par son sens dramatique, sa présence et sa force d’émotion qui en font une Lucie convaincante et touchante, non pas un petit oiseau fragile au milieu des mâles dominateurs, mais une femme, victime et impuissante, qui pose son malheur devant tous jusqu’à la folie. Avec un timbre riche, son air de la folie, auquel elle avait dû renoncer une semaine plutôt (elle avait été doublée en fosse) est chanté avec beaucoup de cran et de sensibilité, d’autant qu’il est débarrassé des cadences rajoutées par la tradition. Même si ces aigus les plus hauts restent courts ils ne sont jamais évités ou savonnés. Très engagée en scène, capable de moments puissants voire quelquefois saisissants, il lui manque seulement de travailler encore un peu mieux sa diction française qui n’est pas toujours claire, moins claire en tous cas que celle de ses collègues italiens du plateau. Elle se sort de ce qui a été finalement pour elle une première avec tous les honneurs, sans jamais démériter, convaincante mais sans mettre la salle en délire.
Chœur et direction musicale
Le chœur de l’Accademia del Teatro alla Scala préparé par Salvo Sgrò est particulièrement attentif au rythme, au tempo, à la couleur, il lui manque un peu de pratique du Français pour être toujours parfaitement clair dans son expression.
Pierre Dumoussaud à la tête de l’orchestre Gli Originali, confirme qu’il est un chef d’opéra de qualité. Après son très convaincant Hamlet à l’Opéra de Paris, il dirige à la fois avec vigueur et un vrai sens symphonique, mais aussi une certaine délicatesse, une partition qui n’est pas partition de routine. Il sait donner à sa lecture la transparence voulue, laissant entendre les raffinements d’une écriture qu’on n’a pas toujours jugé à sa vraie valeur. Il est quelquefois trahi dans ses intentions et dans le rendu par un orchestre Gli Originali qui semble moins préparé aux périls de l’exécution : les vents et les bois n’ont pas toujours la précision ni la justesse voulues et il en résulte quelques errances où le chef n’entre en rien, mais plutôt un travail préparatoire technique insuffisant en amont des répétitions. Il demeure que la direction de Dumoussaud a su néanmoins réserver de très beaux moments élégiaques et faire percevoir la richesse et l'épaisseur de la partition avec un vrai sens dramatique. Sa direction sait soutenir les chanteurs, et surtout ne jamais donner au rendu une lourdeur qu’on peut entendre quelquefois : cela reste ici limpide et même quelquefois lumineux.