Wolfgang Amadé Mozart (1756–1790)
Cosi fan tutte KV 588 (1790)
Dramma giocoso in due atti
Libretto di Lorenzo Da Ponte
Version spéciale pour le Festival 2020 de Joana Mallwitz et Christof Loy

Joana Mallwitz
 Direction musicale
Christof Loy  Mise en scène
Johannes Leiacker Décors
Barbara Drosihn Costumes
Olaf Winter Lumières
Niels Nuijten Dramaturgie

Elsa Dreisig Fiordiligi
Marianne Crebassa Dorabella
Andrè Schuen Guglielmo
Bogdan Volkov Ferrando
Lea Desandre Despina
Johannes Martin Kränzle Don Alfonso

Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor
Huw Rhys James Chef des chœursWiener Philharmoniker 

 

Salzburg, Grosses Festspielhaus, 18 août 2020

Il eût été dramatique que Salzbourg manquât à l’appel des Festivals d’été en cette édition du centenaire, et la décision de proposer une programmation est autant politique au plus haut niveau que culturelle, il y a des États qui accordent une importance politique et symbolique à un Festival et d’autres qui s’en moquent (suivez mon regard) . Il reste que monter une programmation en deux mois est un défi, d’autant que cette édition salzbourgeoise du centenaire propose tout de même deux opéras des deux compositeurs symboliques du lieu, un Mozart (Cosi fan tutte) et un Strauss (Elektra). Le Strauss, Elektra dans la mise en scène de Krzysztof Warlikowski  faisait partie des opéras prévus à l’origine, tandis que Cosi fan tutte a été monté de toutes pièces et confié à Christof Loy, qui l’avait déjà mis en scène en 2008 à Francfort.

Dans la programmation initiale, deux Mozart étaient prévus, Die Zauberflöte, une reprise retravaillée de la production de Lydia Steier, dirigée par Joana Mallwitz, et le très attendu Don Giovanni qui devait être confié à l’équipe Romeo Castellucci/Teodor Currentzis avec Davide Luciano dans le rôle-titre et l’ensemble MusicAeterna dans la fosse.
Il était impossible de proposer Don Giovanni avec MusicAeterna pour des raisons de voyages (de Russie) et de logistique (on ne pouvait cette année en version réduite proposer deux lourdes productions qui auraient nécessité un investissement en personnel difficile à tenir.

Alors, le contrat de Christof Loy, prévu pour Boris Godunov a été mué en contrat pour Cosi fan tutte, et celui de Joana Mallwitz est passé de Zauberflöte à Cosi fan tutte.
Cosi fan tutte
est un opéra idéal pour l’occasion, six personnages, un chœur réduit à son minimum qui peut chanter en coulisses, et un décor unique. Logistique réduite et effet maximum : l’opéra de Mozart étant après une longue période de purgatoire redevenu depuis les années 50 du XXe siècle une des œuvres maîtresses du répertoire des opéras, troisième opéra de la « trilogie Mozart-Da Ponte » comme on l’appelle désormais depuis moins d’une vingtaine d’années.
Restait un autre défi, programmer pour raison sanitaires sans entracte : pour Elektra, aucun problème puisque c’est un acte unique, pour Cosi, c’est une autre paire de manches parce que l’œuvre dure deux actes d’un total d’un peu plus de trois heures. Mais des trois Mozart-Da Ponte, c’est sans doute le plus apte à une intervention chirurgicale. Le nozze di Figaro est une œuvre où chaque détail compte, ficelée par la précision horlogère de Beaumarchais. Don Giovanni s’y prêterait un peu plus mais là les obstacles étaient autres et Markus Hinterhäuser le directeur artistique n’avait sûrement pas envie de sacrifier une production prévue de Don Giovanni susceptible d’attirer la grande foule et faire buzz, qui conviendra mieux au moment du retour à une édition « normale ».
Dans la mesure où tous les chanteurs étaient sans occupation et sans contrat, réunir une distribution issue de l’Union européenne (Covid oblige, l’Europe a aussi ses avantages) n’était vraiment pas le problème.

Sans distanciation : Elsa Dreisig (Fiordiligi) Andrè Schuen (Guglielmo)

Tout ce préambule est évidemment nécessaire pour moduler le jugement sur une production qui a été non seulement appréciée, mais vraiment triomphale dans l’accueil du public présent (environ 1000 personnes sur les 2000 que peut accueillir le Grosses Festspielhaus). On a glosé une fois de plus sur l’inadéquation du lieu et de l’œuvre, qu’on a jouée à la Haus für Mozart, plus intime, et souvent dans celle qu’on appelait avant sa réfection Kleines Festspielhaus. Mais Cosi a aussi déjà été donné à la Felsenreitschule (dans la mise en scène médiocre de Sven-Eric Bechtolf et au Grosses Festspielhaus, notamment dans la production des Hermann de 2004 créée par Sir Simon Rattle et les berlinois au Festival de Pâques, puis reprise au Festival d’été. La question du lieu, c’est d’abord celle du projet scénique et de la dramaturgie voulue et les circonstances cette année (moins de personnel recruté, occupation des trois salles etc…) a fait que Si Elektra était à la Felsenreitschule, Cosi était au Grosses Festspielhaus parce que d’une part la scénographie essentielle de Christof Loy (un grand mur blanc) ne nécessitait pas de maniement complexe, et réverbérait parfaitement le son, dans une salle à l’acoustique déjà avantageuse et d'autre art la salle éais relativement inoccupée.

Une des singularités de la soirée est évidemment cette version sans entracte, où l’on a dû couper près d’une heure de musique, ce qui a imposé un dialogue serré entre cheffe et metteur en scène (ce devrait être la norme dans la préparation d‘une production ordinaire et ça ne l’est pas toujours, c’était ici, et pour cause, une obligation). Le résultat est moins sensible dans le premier acte, plutôt complet, que dans le second, plus amputé. Mais le second acte est une succession d’airs respirant les hésitations des uns et des autres, qui font moins avancer l’action que fouiller les âmes…au fond, dès le final du premier acte, on sent que tout est prêt à basculer. Et il faut reconnaître à cette version dramaturgiquement resserrée sa cohérence, une vie et une logique internes qui n’enlèvent rien au sens de l’œuvre.

Blanc et noir, Ying et yang, c'est déjà une signature

Blanc et noir, ying et yang, c’est déjà une signature. Cosi c’est l’opéra des opposés, le blond, le brun, la mezzo et la soprano, le couple soprano-baryton et le couple ténor-mezzo, qui vont ensuite s’échanger en soprano-ténor et mezzo-baryton, c’est le blanc initial des situation, tout est sans aspérité, tout va bien puis le noir des inverses et des basculements : il y a dans ce noir-blanc le mur tout blanc, et  les costumes initialement tous noirs comme si on voulait à la fois installer l’idée d’un contraste, mais aussi d’un équilibre dans cet univers aseptisé et (presque) sans quatrième mur : des marches descendent dans la fosse comme si l’orchestre était part de nous, pour ne pas insinuer la séparation des mondes mais aussi comme une mer (musicale) dans laquelle s’enfoncer métaphoriquement. Ce monde à l’équilibre fragile, c’est nous.

Vivacité et rythme : Johannes Martin Kränzle (Alfonso), Andrè Schuen (Guglielmo), Marianne Crebassa (Dorabella) Elsa Dreisig (Fiordiligi)

Dans la version resserrée dont nous avons parlé, il faut du rythme et il faut avancer, et en voyant cette production, on a au départ presque l’idée d’une pantomime, gestes calculés et grandiloquents, exagération ironique des sentiments, dans l’amour comme dans le drame (d’ailleurs, smanie implacabili est une caricature des airs dramatiques des opere serie) mouvements démultipliés (Don Alfonso, qui joue, surjoue et hyperjoue) et courses effrénées jusqu’à l’opposition entre les deux femmes, la blonde Fiordiligi et la brune Dorabella, et des deux hommes, le blond Ferrando et le brun Guglielmo, le petit Ferrando à la voix délicate, et le grand Guglielmo à la voix énorme, sorte de couple burlesque de cinéma. Tout est en place pour cette comédie des erreurs qu’est la Scuola degli amanti, sous-titre de l’opéra (l’école des amants). Pas de meubles, pas d’objets rien pour accrocher l’œil que le jeu des acteurs, particulièrement bien travaillé par Christof Loy et des signes assez discrets : les deux paires de talons qui gisent sur le sol à l’ouverture, signe d’une intimité féminine un peu désordonnée, ou le masque porté par Despina déguisée en médecin, rarissime allusion à notre situation partagée, que rien sur le plateau sinon ne souligne puisque les fameuses règles de la distanciation ne sont pas appliquée : on se serre, on se chante de gosier à gosier à pleine portée de postillons, on s’embrasse. Mais les artistes sont régulièrement testés, et le dispositif sanitaire de protection des professionnels, artistes et techniciens, est particulièrement strict comme on a ou le souligner ailleurs .
Pour le reste, le propos reste conforme à la tradition, et ce Cosi, à l’inverse d’autres, ne propose pas vraiment de perspectives, certaines productions laissent un goût amer, laissent entendre que ces couples reconstitués à la fin le sont pour la galerie, ou que les personnages ont rencontré l’amour vrai en cette mascarade, et que le bel ordonnancement initial n’était qu’infatuation. Ici, rien de tout cela, Loy laisse planer le doute, laisse l’imagination au pouvoir : pendant la scène des retrouvailles, il y a beaucoup de violence et aussi un peu de flottement, Las ! que sais-je ? Semblent dire comme Orgon les personnages perdus qui vont de-ci de-là. Où aller, vers qui se tourner, le sol sentimental est un terrain de sables mouvants, mais pour finir tout rentre dans l’ordre, un ordre dont assez finement Loy nous montre l’artifice et la fragilité, la pantomime est finie, l’expérience a montré l’instabilité du sentiment, maintenant, tous les personnages savent : à eux de gérer leur vie et de revenir avec ce savoir-là au statu quo ante.
Alors évidemment ces données sont un peu déviées durant le déroulement, de manière souriante et amusante, fonctionnant aussi par signes.

Elsa Dreisig (Fiordiligi); Andrè Schuen (Guglielmo), Marianne Crebassa (Dorabella) Bogdan Volkov (Ferrando)

Les costumes stricts des deux jeunes gens deviennent ceux colorés (vert pour l’un, rouge pour l’autre) d’albanais très touristiques (en bermuda ou pantacourt), vision d’un exotisme en décalage par rapport au noir-deuil des deux héroïnes. L’introduction de la couleur dans les costumes est indice de fantaisie, indice de vie aussi (peut-être ces couleurs sont-elles la vie…) quand le paysage initial semblait un peu plâtré. D’ailleurs, la seule fois où le mur blanc se fend, c’est pour laisser passer une nature discrète faites d’arbres dissimulés dans l’obscurité, où les amants vont se perdre dans leur tempête intérieure, laissant libre court à leur désir, Sturm und Drang. Ce mur blanc cache en réalité tout le reste, sous son apparence immaculée et rigide, il cache tout ce que l’humanité ressent, souffre, désire. Il cache la vérité du sentiment.

 

Sturm und Drang : elle est bien sombre, cette nature qui cache les désirs

 

Alors il reste à Loy, qui propose d’utiliser cette scène si large dans sa largeur et jamais dans sa profondeur et de tout rejeter sur le proscenium, de donner à voir les gens, les personnages, leur humanité, leur singularité, leurs faux-semblants et leur fragilité. D'où aussi une violence à fleur de peau dont on n'a pas l'habitude, dans la scène finale, où les "violences faites aux femmes "  deviennent réalité :

Violences…Andrè Schuen (Guglielmo) Elsa Dreisig (Fiordiligi) Bogdan Volkov (Ferrando) Marianne Crebassa (Dorabella)

Il faut donc exclusivement travailler sur le jeu, sur l’échange, sur les mouvements, sur les regards et soigner les mouvements d'ensemble comme celui très réussi de l'ensemble final du premier acte où le groupe est encadré dans la porte puis explose.

Ensemble : 1) Concentration dans l'encadrement de la porte

 

Ensemble : 2) éclatement

Le travail sur le jeu est justement d’une précision et d’une justesse rares, notamment sur les femmes protagonistes de l’histoire et puis sur Alfonso, incarné au sens propre par Johannes Martin Kränzle qui s’est emparé du rôle avec une gourmandise visible et qui lui donne un vrai sens. Il n’est pas seulement le libertin cynique, il se lance dans le jeu des exagérations, des gestes grandiloquents, des mouvements convulsifs, il est volontairement histrionique, dans cette parodie de théâtre dans le théâtre qu’est Cosi fan tutte, comme Luca Ronconi l’avait jadis si génialement montré (1983, Teatro La Fenice, Venise).

Lea Desandre (Despina), Johannes Martin Kränzle (Don Alfonso)

Et Kränzle est étourdissant, avec cette voix légèrement voilée qui va si bien au personnage, et une diction et un phrasés impeccables : son italien est simplement parfait, le rythme, la respiration, tout est exceptionnel, il est pour moi ici une référence absolue, le personnage le mieux dessiné, et le plus en phase : il domine tout simplement la distribution, par ailleurs composée de jeunes chanteurs et il fait du personnage plus que le Monsieur Loyal de la farce, il en montre aussi les failles, comme dans son essai de circonvenir Despina, qui le repousse prestement, ou sa stupéfaction quand il se rend compte que le jeu qu'il a déclenché est allé au-delà de ce qu'il voulait, et cette déstabilisation se sent aux attitudes et se voit au laisser-aller du costume avec sa chemise sortie du pantalon. Interprétation supérieure.

On a insuffisamment souligné qu’un Festival comme Salzbourg, avec sa tradition et son passé, confie les trois rôles féminins à trois jeunes chanteuses françaises, qui succèdent dans cette œuvre  à des Janowitz, Schwartzkopf, Seefried, Rothenberger, ou plus près de nous Mattila ou Bartoli. Indépendamment de leurs qualités respectives, c’est un indice que le chant français aujourd’hui se porte bien mieux, et c’est réjouissant.
Lea Desandre (Despina) a une présence scénique qui s’impose dès sa première apparition. Une mimique, une attitude, une manière de battre mécaniquement le chocolat et les gloussements de la salle commencent, sous ou sans les masques, avec les petits rires et les sourires. Elle est prodigieuse de vie, avec une diction impeccable et un italien enviable.
Il est dommage – mais qu’y peut-on ?- que la voix soit si petite. On l’entend dans le Grosses Festspielhaus à l’acoustique favorable, mais le volume, la trop grande clarté du timbre font de ce personnage plutôt roué et « adulte » semble presque une enfant. Le chant est impeccable, l’expressivité grande, l’intelligence du mot sans défauts, mais il manque plus d’assise dans la voix, pour moi trop effilée pour le rôle. Elle supplée par la finesse, par la vivacité, par l’intelligence, et pour tout dire, par des dons artistiques éminents qui ne peuvent que la faire aimer, mais dans l’équilibre général, c’est peut-être un problème.
Marianne Crebassa est au contraire une Dorabella puissante (smanie implacabili !!) au jeu affirmé, très engagée dans l’interprétation, mais justement, elle gonfle la voix et le vibrato est bien trop accusé, qui fait disparaître la délicatesse du personnage et sa fraîcheur. Cette Dorabella n’est plus la sœur écervelée, mais la sœur un peu rouée fort consciente de ce qu’est la séduction. Elle est moins adolescente qu’adulte. C’est peut-être voulu par la mise en scène, mais vocalement, elle ne m’a pas paru totalement convaincante dans Dorabella avec une diction pas toujours très claire par ailleurs.

Elsa Dreisig (Fiordiligi)

Elsa Dreisig au contraire a tout d’une très grande, sa Fiordiligi réserve les moments les plus éthérés, les plus poétiques, les plus déchirants de la soirée, son Per pietà est vraiment bouleversant, un moment suspendu où toute la salle retient son souffle. Avec une diction soignée, une expression accomplie, un sens des couleurs et du poids des mots enviable, elle s’affirme d’emblée comme une des Fiordiligi qui va compter dans le futur, avec un naturel dans l’interprétation où rien n’est forcé, rien n’est exagéré, rien n’est joué, mais semble marqué par le sceau de l’évidence : elle est l’adolescente qui bascule dans l’âge adulte, qui comprend ce qu’est la profondeur d’un sentiment et les dangers des égarements du cœur. Grande interprétation.
Du côté des deux amants, deux profils très différents de deux jeunes chanteurs dont aujourd’hui on fait grand cas. Andrè Schuen vient de cette drôle d’Italie qui parle italien, ladin, allemand, de ce Sud-Tirol qui fleurit au pied des Dolomites où Mahler avait élu domicile. On commence à l’entendre sur des scènes internationales, et son Guglielmo est très bien interprété, dans son allure de grand dadais un peu brut de décoffrage. Mais si le chant est maîtrisé, le volume vocal l’est moins et sa première intervention (la mia Fiordiligi) fait sursauter tant le volume est fort et tant l’équilibre vocal des deux voix masculines est bancal, voire rompu. Schuen n’arrive pas à maîtriser le volume, sans doute soucieux de se faire entendre dans la vaste nef salzbourgeoise. C’est peut-être voulu pour caractériser les deux personnages (ying et yang là aussi) ou du moins pour en dessiner la caricature, mais musicalement il y a un problème d’homogénéité des ensembles. Ce baryton-basse au volume si important est peut-être un Conte ou un Don Giovanni, mais pas un Guglielmo. On l’entendrait mieux dans des rôles plus tardifs du Belcanto rossinien ou Donizettien. À réécouter donc dans des conditions plus adéquates.

Bogdan Volkov (Ferrando)

Le jeune ukrainien Bogdan Volkov compte comme l’un des grands ténors de l’avenir : j’écrivais après sa performance dans « Les Fiançailles au couvent » de Prokofiev à Berlin (dir. Barenboim) : « magnifique aussi le jeune ténor Bogdan Volkov, ligne de chant parfaite, aigus maîtrisés et puissants, voix claire, phrasé impeccable, projection parfaite » et son Ferrando le confirme : la voix est d’une exceptionnelle qualité de timbre, d’une belle puissance, et d’une grande homogénéité sur tout le registre, avec des graves jamais détimbrés et des aigus soutenus, clairs, assurés. Son un’aura amorosa, n’est jamais mièvre, mais plutôt engagé. Ce n’est pas une voix légère, mais au contraire bien assise, mais avec une couleur claire, lumineuse. Avec la Fiordiligi d’Elsa Dreisig, il forme un couple musical d’un naturel et d’une émotion réels, et leurs qualités « fusionnelles » donnent au sens de l’intrigue une vérité absolue : ces deux-là se sont trouvés.
Soyons justes : la distribution avec ses grands hauts et ses petits bas, est très homogène, nous avons là un Cosi de bon niveau, très solide et les spectateurs frustrés d’opéra depuis des mois pouvaient laisser exploser leur enthousiasme.

Joana Mallwitz

Un enthousiasme du retour au théâtre qui a bénéficié à la nouvelle venue dans la galerie des chefs à considérer, Joana Mallwitz, à la tête des Wiener Phiharmoniker.  Markus Hinterhäuser, comme déjà dit, l’avait invitée à diriger Die Zauberflöte, avec ces mêmes Wiener Philharmoniker, mais c’était la reprise d’une production très critiquée, dans un festival qui proposait bien d‘autres titres plus alléchants, un parmi d’autres en quelque sorte. À la tête des Wiener dans l’une des deux seules productions du Festival 2020 revu, Joana Mallwitz stimule évidemment beaucoup plus la curiosité du public et des médias.
Il est incontestable qu’elle a montré à la tête des Wiener qu’elle n’était pas dévorée par cet orchestre qui sait résister aux chefs quand il le veut : elle les dirige, elle impose ses rythmes et son tempo. GMD au Staatstheater Nürnberg, elle a évidemment le répertoire et l’expérience, et donc l’autorité. On retrouve sous sa direction le son plein des Wiener si caractéristique, dans un répertoire qu’ils jouent les yeux fermés, et c’est donc d’autant plus méritoire, parce qu’elle a réussi à s’imposer là où d’autres chefs se seraient peut-être laissés mener par l’orchestre.
Sa manière de diriger est particulière avec un geste souple (une main gauche très dansante, laissant presque voir la musique) et guidant souvent par le regard ou par des gestes infinitésimaux les chanteurs pour les attaques, à l’opposé de chefs qui indiquent d’un doigt ferme.
Pourtant, ce Così conduit avec énergie et vivacité, avec une grande précision quelquefois, ne sonne pas « neuf », mais plutôt conforme à l’habitude, ce qui en soi n’est pas un défaut. La lecture est soutenue, rythmée, même si certains tempos surprennent et semblent un peu flottants ; la pâte sonore reste compacte, pas toujours aérée, ni aérienne mais solide et très en place. On a connu des lectures d’une plus grande limpidité, laissant mieux faire apparaître les pupitres singuliers. Il reste qu’on est face à une interprétation de qualité, sans renverser la table ni stupéfier par sa nouveauté. Mais, dans le relatif vide des jeunes chefs d’orchestre allemands depuis quelques années (aucun nom ne s’impose vraiment), il y a fort à parier que le marché va s’emparer de Joana Mallwitz assez vite, car ce Salzbourg 2020 si emblématique constituera sans nul doute pour elle un réel tremplin.

Ce Cosi a enthousiasmé le public (standing ovation) et c’est heureux de fêter ainsi des retrouvailles avec l’opéra :  c’est une production solide de Christof Loy, musicalement vive, avec une distribution intéressante et de vraies révélations. Elle a largement convaincu et presque sans réserve le plus souvent. On ne peut qu’en être heureux, pour les artistes et pour le Festival. Mais c’est l’une des œuvres les plus difficiles à réussir et cette production tout à fait exceptionnelle par sa configuration (extra-ordinaire au sens propre) est bienvenue, très solide mais ne bouleverse pas l'échelle des valeurs.

Marianne Crebassa (Dorabella) Johannes Martin Kränzle (Don Alfonso) Elsa Dreisig (Firodiligi)
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Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.

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