Il est des festivals dont on parle peu mais qui vont droit leur chemin avec audace et détermination. Fondé par le chef d’orchestre Julien Masmondet, « Musiques au pays de Pierre Loti », qui se tient depuis 2005 en Charente-Maritime de Rochefort-sur-Mer à l’île d’Oléron, aime les rencontres entre musique et littérature. En mai 2016, son esprit d’aventure le conduit à ressusciter un ouvrage oublié de Reynaldo Hahn, L’Ile du rêve ; une « idylle polynésienne » créée le 23 mars 1898 à l’Opéra-Comique sous la baguette d’André Messager. Peu de reprises, par la suite : une en 1942, à Cannes, l’autre en 2000… à Tahiti ! Autant dire presque rien.
Sept mois après sa création, le spectacle fait escale à l’Athénée, et permet aux Parisiens de découvrir une œuvre émouvante et ravissante. Hahn commence sa composition en 1891 – il n’a que dix-sept ans. Pierre Loti est alors un écrivain à succès, et comme un large public le musicien est tombé sous le charme de ses récits. Le livret de ces trois actes, signé André Alexandre et Georges Hartmann, s’inspire d’un roman publié en 1882, Le Mariage de Loti. Une histoire d’amour qui finit mal entre un officier de marine (ce qu’était Julien Viaud, baptisé Loti par la reine Pomaré de Tahiti) et une jeune tahitienne, Mahénu. La rencontre de deux êtres qu’unit la force éphémère des sentiments, mais que trop de différences culturelle et sociales séparent.
La musique séduit par sa grâce mélodique et sa simplicité : pas d’effets superflus, d’épanchements inutiles mais des couleurs qui ont la délicatesse des pastels. Pas de grands airs ou de duos à sensation mais une trame musicale ininterrompue au lyrisme contrôlé. Comme si Hahn, sans renier les leçons de son maître Massenet, en avait retenu la substance pour la mettre au profit d’un discours plus contemporain. Faute d’avoir les moyens de disposer d’une formation symphonique, le festival a commandé à Thibault Perrine, expert en la matière, une transcription pour douze instruments qui conserve la transparence de l’original et s’adapte aux dimensions d’un écrin comme l’Athénée.
Julien Masmondet dirige avec sensibilité une partition qu’il affectionne, la justesse des tempos allant de pair chez lui avec une narration vivante et stylée. Les cinq chanteurs solistes forment une belle équipe. Ronan Debois (Taïrapa), Safir Belhoul (Tsen-Lee), Eléonore Pancrazi (Téria/ Oréman) tiennent leur emploi avec loyauté. Marion Tassou est une Mahénu au timbre brillant, face au Loti d’Enguerrand de Hys, ténor prometteur au chant facile et élégant.
Olivier Dhénin est à la fois metteur en scène et scénographe. Sans doute manque-t-il à son travail une direction d’acteurs plus ferme, débarrassée de gestes conventionnels et d’attitudes stéréotypées – se déplacer, se servir de ses bras, le tout sans gaucherie, s’apprend, de même dire un texte parlé : le théâtre a ses exigences que seuls le travail et l’expérience peuvent satisfaire, à condition d’être bien guidés.
Evitant le piège de l’exotisme à bon marché, il a conçu des décors astucieux. Des éléments mobiles colorés et transparents suffisent à cloisonner l’espace ; quelques agrandissements de photos d’époque (certaines signées du frère de Loti) situent l’action en évoquant divers lieu de l’île. Cette économie de moyens adaptée à des plateaux de différentes tailles devrait permettre au spectacle de voyager facilement. Dans leur austérité, les costumes – longues robes noires, couronnes de feuillage – apportent une touche de modernité.
Cette résurrection vient à point après le retour de Ciboulette à l’Opéra-Comique, les actes du colloque qui s’est tenu à Venise en 2011 sous l’égide du Palazzetto Bru Zane et avant la sortie de la biographie signée Philippe Blay prévue en 2017. Il serait temps que Hahn retrouve la place qui lui est due, hors des clichés qui ont trop longtemps altéré son image.