Antonín Dvořák (1841–1904)
Rusalka (1901)
Conte lyrique en 3 actes
,
Livret de Jaroslav Kvapil,
Créé le 31 mars 1901 au Théâtre national de Prague (version pour orchestre de chambre de Marian Lejava)

Direction musicale : Pavel Baleff
Cheffe assistante : Anne-Louise Bourion
Chef de chant : Jan Krejcik                                

Mise en scène : Nicola Raab
Assistante : Jeanne Pansard-Besson
Scénographie : Julia Muer
Réalisation costumes : Raphaela Rose
Concepteur lumières : Bernd Purkrabek
Reprise des  Lumières à limoges : Rick Martin
Vidéaste : Martin Andersson

Ruzan Mantashyan, Rusalka
Adam Smith, Le Prince
Rafal Pawnuk, Vodnik
Marion Lebègue, Ježibaba
Marie-Adeline Henry, La Princesse étrangère
Alexandra Marcellier, Première Nymphe
Aliénor Feix, Deuxième Nymphe
Caroline Meung, Troisième Nymphe
Marc Scoffoni, Le garde forestier
Yete Queiroz, Le marmiton
Josué Miranda, Le chasseur
Sawsan Sehil, Lison Chatreau-Mercier, Rusalka enfant, enfants du programme OperaKids.

Chœur de l’Opéra de Limoges, direction Edward Ananian-Cooper
Orchestre de l’Opéra de Limoges

Production de l’OnR, Opéra national du Rhin le 18 octobre 2019
Coproduction de l’Opéra de Limoges

Film réalisé par Arnaud Lalanne
Produit par Oxymore Productions
Coproduction de l’Opéra National du Rhin et de l’Opéra de Limoges
Diffusion France 3, France 5, France 3 Nouvelle Aquitaine, NoA, France 3 Grand Est

Chanté en tchèque, surtitré en français

 

Captation réalisée le 31 janvier 2021 à l'Opéra de Limoges

Dans les théâtres de France et de Navarre, faute de pouvoir jouer en public, on capte, avec plus ou moins de moyens et plus ou moins d’ambitions. Pour sa production de Rusalka, l’Opéra de Limoges bénéficie d’un luxe inhabituel, avec des conditions de tournage qui devraient faire du résultat final un véritable film d’opéra.

La production a déjà fait l'objet d'un compte rendu de David Verdier dans notre site lors de sa présentation à Strasbourg en octobre 2019, voir le lien en bas de page.

Ruzan Mantashian (Rusalka)

Le confinement aura au moins eu ceci de bon que plusieurs maisons d’opéra en France en auront profité pour se mettre à capter leurs productions de façon plus régulière que cela n’avait été le cas jusque-là. Evidemment, l’entreprise suppose des moyens techniques et financiers qu’il n’est pas toujours aisé de rassembler. Et la plus belle des captations ne remplacera jamais l’accueil du public dans une salle. Mais réjouissons-nous de disposer au moins d’aussi somptueux ersatz, surtout lorsqu’ils permettent à l’ingéniosité des uns et des autres de se déployer.

Adam Smith (le Prince), Ruzan Mantashian (Rusalka)

A Limoges, fin janvier, c’est Rusalka (graphie originale tchèque désormais conservée, peut-être pour mieux la distinguer de la Roussalka de Dargomyjski, où le passage des caractères cyrilliques aux caractères latins autorise que l’on ait recours à une transcription plus proche de notre langue) de Dvořák que l’on s’affaire pour filmer. Et puisque les spectateurs restent exclus des salles de spectacle, c’est l’occasion de proposer autre chose qu’une simple mise en boîte d’une production scénique. Cette fois, les caméras seront partout, et l’on nous annonce même certaines scènes captées en extérieur. Bref, le jour où ce film sera diffusé – aucune date n’a été indiquée jusqu’ici – il devrait nous en mettre plein les yeux, mieux qu’une représentation n’aurait pu le faire.

Ruzan Mantashian (Rusalka), Marie-Adeline Henry (la Princesse étrangère), Rusalka enfant, Rafal Pawnuk (l'ONdin), Adam Smith (le Prince)

La production accueillie à Limoges est celle que l’Opéra du Rhin avait présentée en octobre 2019, signée de la metteuse en scène allemande Nicola Raab, dont on avait pu voir Francesca da Rimini à Strasbourg en décembre 2017 et Semiramide à Nancy (mai 2017) et Saint-Etienne (mars 2018) ; on attendait en mars 2020 son Macbeth à l’Opéra de Dijon. Nicola Raab travaille à Berlin (Traviata à la Komische Oper), à Moscou (Novaya Opera), à Athènes ; peut-être les salles les plus prestigieuses feront-elles bientôt appel à elle.

Adam Smith (le Prince), Ruzan Mantashian (Rusalka)

Sa vision de Rusalka se situe très nettement dans un des deux camps où les mises en scène situent l’œuvre : foin de la féerie, vive la psychanalyse. Cela ne date pas d’hier, et l’on peut d’ailleurs à plusieurs reprises avoir le sentiment que Nicola Raab s’est souvenue (à son insu ?) d’une production qui fit date. En 1983, David Pountney réalisait à l’English National Opera un spectacle qui ne fut pas pour rien dans l’acclimatation du chef‑d’œuvre de Dvořák en Occident.

Créé en 1901 à Prague, Rusalka aurait dû être présentée à la Staatsoper de Vienne dès 1902, Gustav Mahler ayant été conquis par la partition, mais un sentiment anti-tchèque ne le permit pas. Hors du monde slave, les grandes villes occidentales se contentèrent longtemps des tournées en provenance de Tchécoslovaquie : en 1910, l’Opéra de Brno vient à Vienne ; en 1924, l’Opéra National Slovaque en donna des représentations à Madrid et à Barcelone ; en 1935, des émigrés tchèques montent l’opéra dans la banlieue de Chicago. Il faut attendre 1929 pour que Rusalka soit donnée en allemand à Stuttgart. Le Sadler’s Wells de Londres en offre la première professionnelle britannique, en anglais, en 1959. Mais c’est seulement à partir des années 1980 que l’œuvre s’inscrit durablement dans les programmes : Otto Schenk monte Rusalka à Munich en 1981 (production reprise à Vienne en 1987, puis à New York en 1993), Jacques Karpo à Marseille en 1982, David Pountney à l’ENO en 1983 (et à Francfort en 1989), Jean-Claude Berutti à Lyon en 2001, Robert Carsen à Paris en 2002. Covent Garden attendra 2012 pour ouvrir enfin ses portes à une production scénique, en reprenant la mise en scène du tandem Wieler-Morabito créé à Salzbourg quelques années auparavant.

En résumé, face à Otto Schenk et aux tenants de la stricte féerie, on trouve toute une série de productions qui tenteront, avec plus ou moins de bonheur, de révéler les dessous de l’œuvre, quitte à en proposer une vision parfois assez peu ragoutante (Martin Kusej, Stefan Herheim), et surtout quitte à se retrouver un peu embarrassé par le dernier acte, où il faut bien composer avec la fin douce-amère voulue par le compositeur. De la vision « freudienne » de David Pountney, Nicola Raab retient l’aspect « psychose à la nursery » : l’héroïne a un double enfant, et on la voit alitée, entourée de ses trois sœurs (les nymphes des bois), veillée par une dame sévère en robe 1900 qui pourrait être sa gouvernante ou sa mère (Ježibaba) ; avec son manteau à pèlerine, l’Ondin aussi a un petit air victorien. Rusalka renonce à la queue de sirène qu’elle a brièvement arborée pour suivre le Prince dans son Palais, grande pièce blanche cubique avec vue sur un fond de vidéos changeantes, et dont le sol craque pour laisser s’effondrer les protagonistes, image qui rappelle beaucoup la production Pountney, où le plancher de la nursery s’ouvrait pour dévoiler le lac du conte. Nicola Raab se souvient peut-être aussi d’un spectacle d’opéra admirablement psychanalytique : Die Frau ohne Schatten monté par Robert Carsen à Vienne, où figuraient déjà ces portes surdimensionnées que l’on retrouve ici à plusieurs moments. L’apport de la metteuse en scène allemande tient en partie aux vidéos omniprésentes, souvent avec de très beaux effets, notamment au dernier acte, vidéos qui forment un contrepoint aux scènes « historiques » jouées par les chanteurs, puisqu’on y voit un couple d’aujourd’hui dont l’histoire sordide finit en tragédie : il semble avoir voulu la violer dans la cuisine, elle s’est défendue avec un couteau (de cuisine) ; pris de remords, il s’ouvre les veines dans la baignoire, et elle lui pardonne trop tard. Tout cela n’est pas toujours très clair, mais Nicola Raab déclare ne pas vouloir résoudre « toutes les énigmes de ces voyages », et le dernier acte paraît bien sévère, dans ce décor noir réduit à ses différents plans inclinés.

Adam Smith (le Prince), Ruzan Mantashian (Rusalka), Marie-Adeline Henry (la Princesse étrangère)

Musicalement, l’exécution est ici de haute tenue, mais il est on ne peut plus regrettable que la polonaise du deuxième acte ait été coupée : ce ballet n’est pas si long que ça, la musique en est fort belle, il est intégré à l’action, et d’autres productions ont montré tout le parti que l’on pouvait en tirer. On regrette que Pavel Baleff n’ait pu obtenir son rétablissement ; grâce à sa direction sensible, le chef bulgare nous convainc de la totale efficacité de la version de chambre utilisée (élaborée pour les représentations données à l’automne 2014 au théâtre de Bienne).

De l’avis à peu près unanime de tous les représentants de la presse réunis le 29 janvier dernier, la distribution assemblée à Limoges était nettement préférable à celle que proposait l’Opéra national du Rhin en 2017. Tout d’abord, il faut saluer la prestation de Ruzan Mantashian, qui possède exactement les qualités requises pour le rôle-titre : un timbre juvénile pour éviter de donner un caractère trop mûr à la sirène, mais avec le moelleux souhaitable pour la rendre séduisante et la solidité nécessaire pour affronter les éclats du rôle. L’actrice mérite autant de louanges, comme les gros plans de la captation permettront sans doute de le vérifier. Par chance, on lui a trouvé un Prince présentant les mêmes qualités : silhouette élancée, Adam Smith surmonte les écueils du personnage grâce à un aigu libre et vaillant. Bien que tout aussi jeune, Rafał Pawnuk impressionne par la noirceur de son grave : l’Ondin est bien le père de Rusalka, et non son grand-père comme on le croirait dans certaines productions. Cocorico pour le reste de la distribution, presque exclusivement française : en Ježibaba, Marion Lebègue y confirme avec brio toutes ses promesses, tandis que Marie-Adeline Henry trouve dans la Princesse étrangère un rôle qui convient à son tempérament et à son style de chant : bien que brève, son intervention n’en est pas moins marquante. Les trois nymphes des bois (Alexandra Marcellier, Aliénor Feix et Caroline Meung) sont elles aussi très en voix. Le baryton Marc Scoffoni a l’aisance nécessaire pour le rôle du garde-chasse, parfois confié à un ténor, et Yete Queiroz prête au marmiton une voix sonore et large.

Ruzan Mantashian (Rusalka)

 

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Laurent Bury
Ancien élève de l’ENS de la rue d’Ulm, auteur d’une thèse consacrée au romancier britannique Anthony Trollope (1815–1882), Laurent Bury est Professeur de langue et littérature anglaise à l’université Lumière – Lyon 2. Depuis un quart de siècle, il a traduit de nombreux ouvrages de l’anglais vers le français (Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, Orgueil et préjugés de Jane Austen, Voyage avec un âne dans les Cévennes de Stevenson, etc.) ; dans le domaine musical, on lui doit la version française du livre de Wayne Koestenbaum, The Queen’s Throat, publié en 2019 par les éditions de la Philharmonie de Paris sous le titre Anatomie de la folle lyrique. De 2011 à 2019, il fut rédacteur en chef adjoint du site forumopera.com, puis rédacteur en chef de novembre 2019 à avril 2020. Il écrit désormais des comptes rendus pour plusieurs sites spécialisés, dont Première Loge.

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