Giuseppe Verdi (1813–1901)

Simon Boccanegra

Opéra en un prologue et trois actes, livret de Francesco Maria Piave, d'après Gutiérrez (révision Arrigo Boïto). Seconde version, créée à Milan, Teatro alla Scala, le 24 mars 1881

Mise en scène : Philipp Himmelmann
Scénographie : Etienne Pluss
Costumes : Kathi Maurer
Lumières : Fabrice Kebour

Avec :

Simone Boccanegra : Vittorio Vitelli
Jacopo Fiesco : Luciano Batinić
Maria Boccanegra (sous le nom d'Amelia Grimaldi) : Keri Alkema
Gabriele Adorno : Gianluca Terranova
Paolo Albiani : Armando Noguera
Pietro : Maurizio Lo Piccolo
Un capitaine : Steffano Ferrari
Une servante : Sarah Hauss

Chœur de l’Opéra de Dijon
Chef de chœur : Anass Ismat

Orchestre Dijon Bourgogne
Direction musicale : Roberto Rizzi Brignoli

Coproduction avec l'Opéra de Rouen et le Stadttheater Klagenfurt

18 mars 2018 à l'Opéra de Dijon

Ce Simon Boccanegra donné à l'Opéra de Dijon est une belle réussite, fruit d'une collaboration entre un plateau vocal de belle tenue et un orchestre transporté par la battue énergique de Roberto Rizzi Brignoli. La mise en scène de Philipp Himmelmann installe l'action dans un univers où la bureaucratie dictatoriale fait office d'écrin esthétique particulièrement efficace.

Simon Boccanegra est de tous les opéras de Verdi celui qui cède le moins à la facilité d'un découpage dicté par la loi des airs à succès. Les scènes y occupent une longueur généreuse, inscrivant les airs dans un continuum dramatique que n'aurait pas renié un certain Wagner. Si Fiesco, Amelia et Gabriele ont un air de prouesse, le rôle-titre doit tenir en haleine le spectateur sans avoir d'air à chanter. Si l'on ajoute à cette particularité le fait que Verdi exige en permanence une incroyable délicatesse dans la palette des nuances, on ne peut que s'étonner de cette manière de tenir la bride haute à un orchestre qui doit remiser ses velléités rutilantes dans un final qui disparaît dans un très lent clair-obscur piano.

Simon Boccanegra incarne à double titre le rôle du parfait anti-héros aux prises avec une vie privée qui ne cesse de contredire le personnage qu'il incarne dans sa vie publique. Son accession à la dignité de Doge est conditionnée par l'espoir d'obtenir la main de Maria – espoir évanoui par la mort soudaine de l'être aimé. À cette disparition s'ajoute celle de la fille de Maria qui rend impossible tout espoir de réconciliation. L'intrigue est placée d'emblée sous le signe funeste du malheur intime et d'une puissance politique qui fuit entre ses doigts au moment où il l'obtient.

Philipp Himmelmann a imaginé son Simon entre les hauts murs vert glauques aux motifs tristes. Cette ambiance de bureaucratie dictatoriale aurait très bien pu servir d'écrin néo-réaliste à une énième adaptation vantant les mérites du pouvoir vertueux sur la tentation du recours à l'autorité aveugle. Quelques éléments permettent de contourner (en partie) l'obstacle, notamment cette esthétique abstraite et poétique qui place au centre du décor une tournette dans laquelle Simon fait face à un cheval noir. Si le regard s'échappe vers le point de fuite d'un fascinant horizon marin, il butte également sur la dépouille de Maria qui se balance au bout d'une corde. La symbolique épaisse et récurrente sert d'arrière-plan illustratif toutes les fois où Simon est envahi par les tourments de son passé. L'allusion à l'élément marin ne quitte pour ainsi dire jamais la scène, avec cet horizon peint dont les contrastes varient insensiblement d'une façon nettement plus subtile que les apparitions en contrejour de la fiancée pendue. Ce paysage mental accompagne le personnage de Simon en montrant les variations d'une âme agitée telle un ciel qui s'obscurcit ou une mer qui vire à la tempête.

Vingt-cinq ans ont passé, l'ancien rebelle a troqué sa queue de cheval et son blouson en cuir (noir évidemment) contre une dégaine de neurasthénique grisonnant dont le jeu exagère le poids des ans et la déprime générale qui menace de l'emporter avant même le poison de Paolo. Il passe son temps à signer des parapheurs et commande une armée de fonctionnaires gris et zélés. La scène de reconnaissance père-fille n'occasionne pas d'effusion notable ; on s'échange les portraits et chacun plonge son regard dans le sien… Philipp Himmelmann donne à voir avec une même économie de moyens les incursions du peuple selon une typologie de carte postale : blouses et casquettes, vêtements bon marché, poing levé etc. La révolte qui gronde au 2e tableau du premier acte se signale par ces feuilles que l'on jette en l'air pour les éparpiller dans un geste rageur.

Les lumières de Fabrice Kebour évitent à cette sobriété générale assez triste de sombrer définitivement dans l'ennui, notamment par une forme de parallèle étroit entre l'action, la caractérisation et l'évolution des sentiments. En témoignent notamment les ombres portées de ces deux ventilateurs placés de part et d'autre de la scène, évoquant tantôt l'atmosphère confinée d'un lieu de pouvoir sécurisé et la menace planant sur les protagonistes – l'ombre des pales planant comme l'aile du destin.

Le plateau réunit des voix de grand intérêt, à commencer par le Simon très ample et vigoureux de Vittorio Vitelli. Le baryton italien ne cherche pourtant pas à dissimuler un ambitus parfois exposé dans des graves obtenus au prix d'efforts audibles. La véhémence du "Plebe ! Patrizi ! Popolo !" est remarquablement ajustée sur le jeu d'acteur. Plus à l'étroit dans le personnage d'Amelia, la soprano Keri Alkema vibre excessivement son "Come in quest'ora bruna", même si la voix gagne progressivement en chaleur et en présence par la suite. Luciano Batinic campe un Fiesco de belle stature, avec une autorité dans "Il lacerato spirito" qui séduit durablement. Une belle surprise également pour le Paolo d'Armando Noguera dont on découvre les qualités dramatiques dans un répertoire auquel il ne nous a pas accoutumés. Gianluca Terranova met en valeur un timbre assez léger, ce qui lui évite de surcharger d'intention son "Sento avvampar nell'anima". Légère déception en revanche pour le Pietro de Maurizio Lo Piccolo, trop neutre et atone.

Cravachant toujours comme à son habitude, Roberto Brizzi Brignoli impulse au chœur de l'Opéra de Dijon (préparé par Anass Ismat) une énergie un peu brouillonne mais avec des moments de grâce exceptionnels (fin de l'acte I et II). La cohérence des pupitres de cuivres est mise à rude épreuve dans les moments de tension mais il sait conserver une attention à la ligne et au chant qui signe la réussite de ce Simon, beaux prémices au Nabucco qu'il donnera bientôt à Lille et la saison prochaine ici-même à Dijon.

 

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David Verdier
David Verdier Diplômé en musicologie et lettres modernes à l'université de Provence, il vit et enseigne à Paris. Collabore à plusieurs revues dont les Cahiers Critiques de Poésie et la revue Europe où il étudie le lien entre littérature et musique contemporaine. Rédacteur auprès de Scènes magazine Genève et Dissonance (Bâle), il fait partie des co-fondateurs du site wanderersite.com, consacré à l'actualité musicale et lyrique, ainsi qu'au théâtre et les arts de la scène.

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