Wolfgang Amadé Mozart (1756–1791)
Le nozze di Figaro (1786)
Opéra en quatre actes
Livret de Lorenzo da Ponte d'après Le Mariage de Figaro de Beaumarchais
Créé le 1er mai 1786 au Burgtheater de Vienne

Direction musicale : Thomas Hengelbrock
Mise en scène : Lotte De Beer
Décors : Rae Smith
Costumes : Jorine van Beek
Lumière : Alex Brok
Dramaturgie : Peter te Nuyl
Collaboratrice aux décors : Alejandra Gonzalez
Collaboratrice aux mouvements : Joyce Henderson
Assistant à la direction musicale : Iñaki Encina Oyón
Chef de chant : Alessandro Benigni
Chef de chant, pianoforte : Andreas Küppers

Figaro : Andrè Schuen
Susanna : Julie Fuchs*
Il Conte di Almaviva : Gyula Orendt
La Contessa Almaviva : Jacquelyn Wagner
Cherubino : Lea Desandre*
Marcellina : Monica Bacelli
Il Dottor Bartolo : Maurizio Muraro
Don Basilio / Don Curzio : Emiliano Gonzalez Toro*
Barbarina : Elisabeth Boudreault
Antonio : Leonardo Galeazzi
Figurantes et figurants
Ana-Gabriela Castro, Charly Molle Cousin, Ludovic Coutaud, Mathilde Darcy, Juliette Malala Tardif, Evelise Mendes, Lucie Pedexes, Nathan Roumenov, Jade Saget, Raphaël Sawadogo-Mas, Emilie Yana, Qinyi Zhou
Chœur du CNRR de Marseille
Cheffe de choeur : Anne Perissé dit Prechacq

Balthasar Neumann Ensemble

En coproduction avec le Teatro Real de Madrid

Aix-en-Provence, Théâtre de l'Archevêché, 9 juillet 2021, 21h30

Expérience singulière à Aix-en-Provence que ces Nozze di Figaro signées Lotte de Beer passées au crible des phénomènes de société de l’époque (#Metoo et autres) à la sauce commedia dell’arte les bons moments et tarte à la crème phallique les moins bons. Il paraît que c’est rafraichissant après la période noire que nous avons passée.
Expérience singulière aussi que ce Mozart chanté et phrasé foutraque à quelques voix près, et dirigé à une vitesse supérieure au métro de Simon Stone (dans le Tristan) par un Thomas Hengelbrock dont on reconnaît difficilement les qualités.
Sommes-nous devenus si simplets qu’il faille renforcer jusqu’à la caricature ce que le livret et la musique semblent ne plus dire à un public d’aujourd’hui et en rajouter si lourdement pour qu’il comprenne que ce qui circule dans
Le Nozze de Figaro, c’est à la fois l’abus de pouvoir traduit par le sexe mais aussi partout le désir. Il y a 48 ans Strehler le disait déjà, Solti aussi en fosse à Versailles et au Palais Garnier, mais visiblement c’est « has been ».

Vidéo disponible sur ArteConcert : https://www.arte.tv/fr/videos/103061–001‑A/les-noces-de-figaro/

 

Lotte De Beer dans son Aida à Bastille avait montré déjà son goût pour le démonstratif asséné, mais il y avait des idées et un propos qui se tenaient et donnaient au spectacle au moins une cohérence que l’on retrouvait en fosse et sur le plateau. Nous retrouvons ici une volonté démonstrative et ce goût pour asséner des „idées“, en convoquant le théâtre didactique brechtien mais pour nous apprendre ce que le livret nous dit directement et que la vieille chanson de Jeanneton disait déjà :
La morale de cette histoire,
La rirette, la rirette,
La morale de cette histoire,
C'est qu'les hommes sont des cochons

Il nous dit aussi qu’au bout du compte, les femmes sont les vainqueurs, parce qu’elles s’organisent entre elles pour ridiculiser les hommes gentiment (Figaro) ou méchamment (le comte). Ce livret nous dit enfin et directement que le désir circule à tout âge, de Barbarina à Marcellina, et de Cherubino au Comte, laissant d’ailleurs entendre que Cherubino est un comte en herbe.
Mais comme nous n’avions pas compris, comme ce message est sans doute cryptique, Lotte de Beer en institutrice zélée explique au public ce qu’il savait déjà. Oui, Le Nozze di Figaro est une histoire de sexe, de désir, de pouvoir. Mais, puissance de l’image (puisque le texte n’est visiblement pas clair) oblige, il fallait faire promener des phallus sur scène, mettre des vagins aux hommes et des zizis aux femmes,

L'Artémis d'Ephèse

et transformer Basilio en Artémis d’Ephèse aux seins multiples, multicolores (avec un gros vagin au milieu) pour nous apprendre la modernité et surtout la subtilité et la finesse. On nous prend pour des imbéciles.
Ce qui est plus grave, c’est que du même coup, il faut dire le texte autrement, il faut hacher les récitatifs, leur donner du tranchant, du contrasté, jusqu’à mettre en difficulté les chanteurs, comme Gyula Orendt, excellent baryton souvent remarqué, qui n’est pas ici au mieux de ses possibilités.
Deux moments différents dans cette production, un premier acte de type sitcom avec intérieur bourgeois, une chambre à coucher à jardin et un salon à cour, avec entre les deux une buanderie et deux machines à laver énormes, et au deuxième acte un espace vide et un cube de plexiglas au milieu (on dirait le rocher de la Walkyrie de Harry Kupfer à Bayreuth) qui abrite un lit de parade d’où émergera au quatrième acte l’arbre de vie (de vit ?) ou arbre du féminisme tricoté par les tricoteuses emmenées par Marcellina (le tricot…symbole fort de ce dernier acte).

 

 

Acte IV dans la nuit Shakespearienne (Le Songe d'une nuit d'été ou Falstaff, au choix)

Sous cet arbre multicolore final danseront les nouvelles divinités de la forêt, les nouveaux satyres et les nouveaux follets dignes du Songe d’une nuit (de baise) d’été ou du final de Falstaff qui sont ici de claires références.

Dans le cube, Walkyrie malgré elle, une comtesse dépressive contrainte à l’abstinence par un mari qui la délaisse, et qui reluque quand même le tendron androgyne qu’est Cherubin. Alors, on construit des gags qui font rire ou pas, comme ce comte mangeant du pop-corn qu’il fait tomber ad-hoc au passage de Susanna pour qu’elle le ramasse et qu’il puisse en profiter, ou les tentatives de suicide grandiloquentes (et quelquefois drôles) d’une Comtesse qui fait son jogging.

Il conte (Gyula Orendt), Susanna (Julie Fuchs), La contessa dans son cube (Jacquelyn Wagner)

Une des rares bonnes idées : cette comtesse regarde d’un air désabusé tout le début du 3ème acte de son cube sans être vue, préparant ainsi son air mélancolique du troisième acte (E Susanna non vienDove sono i bei momenti). Car il n’y a pas que le gros rire gras dans Le nozze di Figaro, il y aussi l’élégance et la mélancolie, mais visiblement pour ça le pass sanitaire n’était pas en règle.

Troisième acte, "l'anglais tel qu'on le parle"

Des accessoires s’ajouteront à ce décor hiératique (hiératoc ?) et sombre – il fallait montrer qu’entre les deux premiers actes et les deux derniers, il y avait quelque différence- dont des phrases en anglais (pourquoi en anglais d’ailleurs ? parce que le spectacle va voyager ?) puisqu’on on avait au premier acte « Applause » et « Laughters » comme dans les bons sitcoms et on lit au troisième acte : « If you love me you can have anything .»

 

Acte I en sitcom : Figaro (Andrè Schuen), Susanne (Julie Fuchs), Il conte (Gyula Orendt) Basilio (Emiliano Gonzalez-Toro)

Ainsi les deux premiers actes qui posent l’intrigue sont traditionnels dans la gestion des personnages, mais plus agressifs, accentuant le comique de situation et agrémentés de phallus qui se promènent ou de poupées gonflables qui illustrent les rêves de chacun et chacune, pour donner de la couleur et du pittoresque à l’histoire et surtout nous l’expliquer, car rien n’est jamais assez clair. Ainsi, un immense gâteau de mariage explose, ça c’est clair et symbolique…

Finale acte II, avec le comte en Falstaff…

Si les deux premiers actes illustrent un  monde où les phallus dansent autour des proies, les deux derniers montrent la vengeance organisée des femmes, orchestrée par Marcellina et Susanna, sorte d’exemple (qui existe chez Da Ponte et Mozart d’ailleurs) de la solidarité féminine, qui vise à faire accepter à la société phallocratique des deux premiers actes une société multisexuelle, intersexuelle, où tous sont tout, sauf le comte, le « méchant » qui se retrouve tout seul et tout bête en slip et chemise, autant dire isolé dans son statut d’homme (au sens latin de Vir, ou allemand de Mann), d’une identité masculine que tous les autres ont abdiqué dans un joyeux Melting-sex coloré.
Mais enlevé tout l’inutile, on ne lit aucune réflexion valide sur l’œuvre, aucune étude de caractères fouillée, le regard d’un conformisme affligeant. Le vide de la pensée habillé de toc.
Alors, on va lire le programme et on découvre que Le Nozze di Figaro seraient enfants de la commedia dell’arte comme l’ouverture nous en donne l’idée, avec ces personnages qui cabriolent au-dessus d’un lit… j’avais plutôt compris que Da Ponte sortait de la commedia dell’arte et la refusait, je me trompais sans doute. Et le Figaro de Beaumarchais ou de Da Ponte n’est pas Arlequin.

On lit aussi que les gens du XVIIIe ne lisaient pas cette œuvre comme nous. Sans doute avaient-ils d’autres références, mais le fait est que d’une part la pièce de Beaumarchais avait eu un succès au retentissement européen, et Mozart avait pris soin d’en atténuer les aspects plus directement politiques, mais il en a gardé les aspects sociaux : tout le monde comprenait bien de quoi il s’agissait.
Le XVIIIe est un siècle sexuellement bien plus ouvert et échevelé que le XIXe plutôt prude, voire des XXe et XXIe : il a produit Sade, Restif de la Bretonne, Choderlos de Laclos, Casanova et d’autres qui n’ont rien à envier aux guignolades sexuelles qu’on voit sur scène, qui n’ont même pas le goût de la paillardise rabelaisienne. Le Nozze du Figaro procèdent de tout ce monde-là et en disent les goûts et les exercices.
Cette mise en scène n’apprend rien, ne rajoute rien, mais contribue fortement à étouffer la force de l’œuvre de Mozart, qui n’a pas besoin de zizis dansants ni de tricoteuses pour exister. Mais il paraît qu’on y rit aux éclats…

 

Hélas encore, du côté musical pas de grande consolation à chercher. J’ai songé au titre du roman de Gilbert Cesbron « C’est Mozart qu’on assassine », mais n'allons quand même pas jusque-là.
Mais tout de même, de l’orchestre au plateau, c’est un défilé de petits cailloux qui heurtent à tous niveaux, qu’on va essayer de prendre par le menu.
La première remarque est que sur le papier, tout devait fonctionner parfaitement, avec une distribution jeune, prometteuse, faites d’artistes qu’on estime ou qu’on apprécie vraiment, à commencer par l’orchestre le Balthazar Neumann Ensemble et son chef Thomas Hengelbrock.
Ce n’est pas le premier orchestre d’instruments anciens qui accompagne un opéra de Mozart, il y a un mois et demi, on entendait à Salzbourg les Musiciens du Prince-Monaco dans La Clemenza di Tito par exemple, et d’autres exemples ne manquent pas. Effet du plein air, effet de la mise en scène sur la fosse, peu importe, mais l’orchestre apparaît plusieurs fois approximatif, manquant de couleurs, souvent de justesse, et dirigé à une rapidité sans doute excessive qui nuit aux moments de stase, qui ne manquent pas dans la partition. L’ouverture est prise à un tempo très rapide, ce qui ne dérange pas, c’est dans l’ordre de l’œuvre. Mais souvent ça tourbillonne sans virevolter et ne donne pas d’impression de légèreté parce que l’orchestre manque d’une certaine limpidité. Que « Non so più cosa son… « de Cherubino soit pris à un train d’enfer, si la chanteuse suit, est presque normal, qu’à d’autres moments on ait l’impression de perdre le fil, le ton, le son, le sens, c’est plus problématique. On le ressent fortement à la manière dont sont dits les récitatifs, hachés, contrastés, heurtés disharmoniques quelquefois, ce qui nuit à l’air quand ils le précèdent. C’est frappant dans la manière dont Il Conte (Gyula Orendt) semble gêné, notamment quand on le force à arrêter tout pour prononcer « Onore », à la manière de Falstaff (cela semble la référence de la mise en scène pour le comte : mais le comte est-il un cousin de Falstaff ? On peut en douter), dans son récitatif au début du troisième acte ((Troppo sé stessa ; e l'onor mio… l'onore…dove diamin l'ha posto umano errore!)), plus généralement les récitatifs sont dits de manière si étrange ou agressive qu’on ne comprend pas toujours vraiment le texte, qui pourtant dans Le nozze di Figaro est essentiel. A force de courir, on butte sur des cailloux. Ainsi le texte est savonné, oublié, parce qu’il n’y a aucune respiration : au son rêche et à une lecture qui ne fouille rien tant elle file répond un chant souvent superficiel et sans vraies nuances, même si au détour d’un air ou d’une phrase ou découvre un orchestre merveilleusement dominé et sensible, mais cela reste rare.
On ne peut savoir si c’est ce qui se passe en scène qui a déterminé de tels choix musicaux, ou si l’option de Hengelbrock tient à cette vélocité qui n’est ni fluidité, ni écho musical d’une journée folle. On attendait Mozart vu par Hengelbrock qui est un analyste apprécié des partitions dont j’avais jadis entendu un merveilleux Requiem on a ici un Mozart inattendu souvent revu et corrigé par Usain Bolt qui évite de reprendre son souffle, mais avec des cailloux dans les Nike.

Jack in the box… Il Conte (Gyula Orendt), Susanna (Julie Fuchs) et La Contessa (Jacquelyn Wagner)

Dans la distribution, j’ai retenu une vraie surprise, agréable, c’est sans ironie aucune, l’Antonio de Leonardo Galeazzi. On a tellement entendu des Antonio pâles, offerts à des chanteurs âgés ou spécialistes des utilités, que l’on est surpris d’entendre un Antonio à voix qui chante, et qui chante bien. Je n’ose dire, ce serait excessif, que pour le reste ce n’est que déceptions, mais c’est au moins l’une des bonnes surprises de la soirée dans le cast.
J’ai écrit combien aujourd’hui il était difficile de réunir une bonne distribution pour Mozart. En général, les managers confient Mozart à de jeunes chanteurs valeureux au nom de la loi du chant qui veut que Mozart soit du velours pour la voix, et un apprentissage de haut vol, mais on a tendance à oublier que les grands qui ont chanté Mozart l’ont peut-être chanté jeunes (Freni dans Susanna par exemple) mais que souvent ils ont continué à le chanter et avec quel brio, quand ils étaient déjà plus avancés dans la carrière (Janowitz, Bacquier ou Van Dam). J’ai déjà écrit combien il était difficile aujourd’hui de trouver une Contessa de valeur, impossible d’en citer une en ce moment : je pense quant à moi que ce pourrait être par exemple Eleonora Buratto, mais elle préfère chanter Aida… C’est sûr que par les temps qui courent Verdi est plus bankable que Mozart. À Aix, ce devrait toujours être un diamant, vu que le festival a bâti histoire et réputation sur Mozart.

Sur le papier, c’était plutôt une distribution attirante, au résultat, elle est décevante.
Et pour plusieurs raisons qui ne tiennent pas forcément aux circonstances.
D’abord, de manière surprenante, les ensembles ne fonctionnent pas bien, parce que les voix ne s’homogénéisent pas entre elles, parce que les volumes respectifs des uns et des autres ne se conjuguent pas : c’est net dans l’ensemble final du deuxième acte, certes perturbé par les poupées gonflables et autres zizis baladeurs, mais qui fait entendre les hommes aux voix plutôt fortes et timbrées (Figaro, Le comte) que des femmes aux voix plus petites : ce n’est pas une question de qualité intrinsèque, c’est une question d’équilibre, de même dans la scène finale où la musique « suspendue » et poétique qui fait tant respirer avant l’ensemble « Corriam tutti a festeggiar… » rate un peu son effet.
Ce cast manque d’homogénéité de ligne, de volume et de timbre.
C’est par exemple une bonne idée de mise en scène que de marquer l’âge de Marcellina et Bartolo de manière plus accusée que dans d’autres mises en scène : ils forment « couple de vieux » plus qu’un vieux couple, mais les voix de Monica Bacelli (méconnaissable) et de Maurizio Muraro sont usées. L’air « La vendetta » chanté par Muraro n’affiche que des graves à éclipses, des aigus inexistants, et une absence totale de Sillabati quand l’air est l’un des plus « pré-rossiniens » qui soient : Rossini l’a bien écouté et connaissait son Mozart. Muraro, basse-bouffe notable, qu’on a entendu dans Berlioz (Balducci dans Benvenuto Cellini) et aussi dans Cenerentola ou Barbiere di Siviglia de Rossini est ici vraiment à la peine.
Monica Bacelli chanteuse de qualité bien connue depuis des années est un beau personnage, mais la voix est devenue criarde, acide qui peut convenir dans le personnage voulu scéniquement, mais en aucun cas vocalement.
Il est par ailleurs regrettable qu’une jeune chanteuse comme Elisabeth Boudreault, délicieuse Barbarina qui laisse espérer un bel avenir, vu les accents de son « L’ho perduta… Me meschina » avec une voix qui porte (une des rares voix féminines qui porte et qu’on entend clairement, avec un beau phrasé), ne soit pas mise en valeur, bien qu’elle soit perchée sur le cube de plexiglas à cause du charivari ambiant.
Autre joli moment, celui de Basilio, Emiliano Gonzalez Toro que ce site a remarqué pour son enregistrement d’Orfeo (chez Naïve) qu’il dirige et chante : « Il possède en effet un relief et une densité qu’on n’entend pas toujours chez le poète et qui en fait vraiment la figure dominante de l’action. » écrivait Claire Marie-Caussin. Avec sa voix sans doute un peu petite mais raffinée, il donne un certain relief différent de l’habitude au personnage ; l’air de Basilio du quatrième acte « Quel che soffrono tanti… In quegli anni in cui val poco », souvent coupé, est ici remis à sa place et chanté avec sens de la couleur et une certaine ironie. De plus, comme il chante aussi Don Curzio, du même coup, on le remarque dans un rôle habituellement passé par profits et pertes (un peu comme Antonio plus haut).

Figaro (Andrè Schuen), Don Curzio (Emiliano Gonzalez-Toro), Il conte (Gyula Orendt), Bartolo (Maurizio Muraro)

Il reste la question des rôles principaux.
Celui qui s’en sort le mieux est Andrè Schuen, qu’on a entendu à Salzbourg dans Cosi fan Tutte, et qui est ici Figaro, la voix est forte, bien posée, avec un phrasé très acceptable mais apparaît un peu moins à l’aise que dans son Guglielmo salzbourgeois, même si son air du quatrième acte « Aprite un po’ quegli occhi » est plutôt réussi, dans l’énergie plus que dans la couleur : ce Figaro manque encore de maturité.
Le comte de Gyula Orendt a un très beau timbre, un sens dramatique marqué. La voix est forte, bien posée et projetée, il épouse le personnage voulu, assez détestable dans son rôle de porc (au sens #Metoo du terme). Et pourtant il déçoit un peu : nous l’avons entendu dans un excellent Zurga des Pêcheurs de perles, et encore meilleur dans Gaveston de Lessons in Love and Violence de George Benjamin à l’Opéra de Lyon. L’impression est ici mitigée, par la manière dont il dit ou qu’on lui fait dire les récitatifs, et son air « Hai già vinta la causa… Vedrò, mentr'io sospiro, » du troisième acte, au chant un peu agressif et heurté sans vraie ligne, et sans élégance (il est vrai que dans un tel contexte…) déçoit. Ceci étant, il reste un personnage plein de relief et son quatrième acte est plutôt réussi.

La contessa (Jacquelyn Wagner), Chrubino (Lea Desandre)

Face à lui La Contessa de Jacquelyn Wagner est certes contrôlée, mais désespérément plate, sans profondeur, sans couleur. Son « Porgi amor » qui tel un Lied, devrait déjà évoquer tout un univers (c’est là qu’on voit immédiatement les grandes comtesses) ne frémit pas, et ne provoque aucune émotion, quant à l’air du troisième acte, il est inodore et sans saveur, chanté tout sur la même ligne, sans modulations ni reprises a mezzavoce, c’est un chant appliqué, sans épaisseur interprétative, sans relief, qui ne transmet aucune émotion.

Lea Desandre (Cherubino) et Susanna (Julie Fuchs) de dos.

Lea Desandre est Cherubino, et comme souvent, elle fait preuve d’une intelligence scénique et vocale qui rend le personnage immédiatement crédible, frais, intéressant. Il reste que si le personnage est vraiment campé, si l’interprétation est musicalement assez convaincante, le volume reste limité et dans les ensembles, cela gêne. Ce type de voix passe mal en plein air car on perd beaucoup, Lea Desandre serait un Cherubino pour théâtre baroque de type Cuvilliés Theater ou Opéra Royal de Versailles. Sa Despina et son Annio salzbourgeois nous ont vraiment convaincus, mais son Cherubino ne se place pas encore dans la lignée des Cherubino du passé (Baltsa, Von Stade, Berganza) ni même ceux plus récents (Isabel Leonard au MET ou Kate Lindsey à Aix même).
Julie Fuchs est une autre des voix intéressantes du moment, et aussi une actrice assez engagée, ce qui dans cette production est important. Sa Susanne est fraîche, très correcte dans l’ensemble, mais elle n’arrive pas à rendre toute la complexité du personnage. Il est vrai que le rôle est difficile à la fois par une mise en scène particulièrement exigeante pour elle et par les facettes multiples qui exigent une palette de couleurs vocales qu’elle n’a pas encore ; on le remarque dans son « Deh vieni non tardar » un peu superficiel, qui ne « suspend pas le temps » comme on aimerait pour ce qui est peut-être le plus bel air de la partition.

Mise en scène qui projette des choses que l’œuvre dit directement sans besoin de surcharge, et qui surtout, si l’on fait abstraction du charivari ambiant, laisse les personnages sans trop de consistance, n’approfondit pas les rapports entre eux, leur préférant la caricature ou le rire gras.
Direction rendue énigmatique par des choix peu clairs et chant pas vraiment homogène dans son ensemble qui fait d’une distribution intéressante sur le papier une déception à la scène, sans qu’on sache si la mise en scène ou la direction musicale en sont responsables, ou simplement si beaucoup des participants sont passés à côté de la profondeur, préférant le show.
Au total le bilan est triste pour une soirée soi-disant « fou rire ». Mais visiblement, il est moins grave de toucher à Mozart qu’à Wagner, vu l’accueil comparé de deux productions problématiques. Wagner, on le respecte, et donc on hurle, Mozart, on le piétine, et donc on passe.

Vidéo disponible sur ArteConcert : https://www.arte.tv/fr/videos/103061–001‑A/les-noces-de-figaro/

Corriam tutti a festeggiar : image finale
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Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.

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1 COMMENTAIRE

  1. Ces Noces de Figaro à Aix 2021 sont tout à fait passionnantes. J’entends cela en raison des questions qu’elles posent.
    J’indique mes références pour cette œuvre : d’abord dans l’adolescence les retransmissions (noir et blanc) d’Aix avec T Stich-Randall (pas la plus grande actrice mais quelle musicienne !) sans doute Rehfuss, Panerai, Lorengar, direction Rosbaud (mise en scène Jean Meyer et décors de Cassandre !!!)…. Bon disons que c’était carton-pâte et conventionnel mais la musique ! Puis en avril 1980 à Garnier la mise en scène de G Strehler, direction C von Dohnanyi, Margaret Price, W Schöne, T Berganza, M King, S Ghazanian… gemutlich ! D’autres fois aussi, mais j’arrête.
    Ici qu’ouïs-je ? Un orchestre et une direction que j’aime bien (même si le grand final du II est massacré) et des chanteurs plutôt bons (surtout Julie Fuchs). Bon, c’est un peu rustique, mais ça se tient (évidemment pas au niveau de ce qui est indiqué avant).
    Ici que vois-je ? Et bien, je suis comme l’innocent de Wozzeck, je n’ai d’abord pas vu grand-chose sauf des gens qui s’agitent, de la couleur et des formes bizarres… ensuite j’ai évidemment lu (le Wanderer et ses concurrents) et j’ai compris ce que je n’osais imaginer….
    Du coup, je me suis posé des questions sur la relative longueur de l’analyse du Wanderer, puisque finalement il n’y avait pas grand-chose à analyser. Mais sans doute a‑t‑il été éclairé par les notes d’intention de la metteuse (ou metteure) en scène. Bref je me posais beaucoup de questions sur la dialectique de la chose. Finalement je me mis à butiner sur le site du Wanderer pour découvrir non pas la pépite mais tout l’or de Fafner dans l’excellent dialogue platonicien de 45 pages (en WORD TimesRoman 10) d’avril 2020 sur « Mise en scène d’opéra : l’éternel débat ». C’est tout à fait remarquable mais curieusement m’avait échappé (cependant je n’avais pas loupé la série sur Regie-Theater tout aussi passionnante). Cependant je ne voyais pas ou classer cette « mise en scène ». Et bien j’ai une proposition à faire : c’est une mise en scène clip-vidéo. Je crains qu’il ne faille se former à la question qui peut être déclinée selon tous les concepts commençant par #. 

    Juste une réflexion sur les textes de Wanderer (qui sont toujours remarquables, faut-il le dire, même s’il est possible de ne pas toujours les partager). La structure en est en général une évaluation courte sur la qualité de la représentation puis une analyse (éventuelle) du contexte, puis une analyse détaillée de la mise en scène puis les interprètes puis l’orchestre et le chef. Découpage classique. Cependant je me laisse aller à une suggestion qui s’appuierait pour l’illustrer sur ce qu’on disait de Pierre boulez (comme chef). On vantait toujours sa qualité « analytique ». je vous passe tous les termes. Est-ce à dire qu’il était toujours froid et rationnel ; je ne le crois pas. Ainsi je ressens un manque dans les textes de Wanderer : celui d’une impression totalement subjective en conclusion. Vous avez disséqué l’objet sous tous les aspects mais : cela vous a‑t‑il plu ? vous sentez vous plus heureux après avoir assisté à la représentation ? ce que vous avez-vous correspond il à ce que vous attendiez de l’œuvre ?
    Cet aspect subjectif, j’essaie de l’illustrer. Par exemple il y a des œuvres que je n’aime pas : curieusement c’est le cas de Carmen, mais j’ai beaucoup aimé la mise en scène de Tcherniakov à Aix 2017. Dans le même type de mise en scène j’aime bien Tosca (ce n’est pas mon Puccini préféré) mais je n’ai pas du tout aimé la mise en scène (à Lyon) de Christophe Honoré (alors que j’avais aimé son Pelleas). Dans une œuvre que j’aime, Salomé, Je n’ai pas aimé la mise en scène de Castelucci à Salzburg, mais, du même metteur en scène j’aime celle de Tannhäuser à Munich. Et puis il y a aussi le contexte dans lequel on écoute l’ouvre et son propre état d’esprit comme spectateur. Franchement ce serait un plus, car finalement on finit, à force de lire le Wanderer, par évaluer un spectacle à travers ses écrits, mais de temps en temps il serait agréable de le lire plus subjectif. Simple suggestion.

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