Créé en 1836 à la Salle de la Bourse où était alors provisoirement établie l’Opéra-Comique, Le Postillon de Lonjumeau d’Adolphe Adam se situe entre Micheline ou l’Heure de l’esprit (1835) et Le fidèle berger (1838). Cette œuvre en trois actes sur un livret d’Adolphe de Leuven et Léon-Lévy Brunswick rencontre un immense succès grâce à la célébration des conditions et métiers populaires alors en vogue à l’époque et surtout à la grande popularité de l’Opéra-Comique qui fournit quantité de spectacles légers aux théâtres de province et de l’Europe entière.
Composé par Adam à l’intention du ténor virtuose Jean-Baptiste Chollet, Le Postillon de Lonjumeau est joué plus de 500 fois Salle Favart en moins de soixante ans, avant de sombrer dans l’oubli au tournant du siècle dernier. Si Helge Rosvaenge interprète la célèbre « Ronde du Postillon » dans une scène du film Der Knalleffekt daté de 1932, cet air est régulièrement chanté par de grands ténors (Gedda, Blake et plus récemment Florez), l’ouvrage, plus que rare sur les grandes scènes parvenant à se maintenir au répertoire par l’intermédiaire de l’enregistrement discographique réalisé par Thomas Fulton en 1986 pour Emi, qui réunissait John Aller et June Anderson.
Rares sont les artistes du rang de Michael Spyres((Voir ci-dessous les rôles où il est apparu récemment et commentés dans ce site)), capables de passer sans la moindre hésitation d'un répertoire à l'autre, du tragique au comique, avec le même respect et la même parfaite assurance. Cet Enée, ce Tito, ce Don José, ce Florestan ou cet éblouissant Pirro d’Ermione de Rossini, prend un plaisir manifeste à redonner vie à ce Postillon (comme il l'avait fait précédemment Salle Favart en réhabilitant La muette de Portici d’Auber en 2012 et Le pré aux clercs de Hérold en 2015), joli cœur, capable de quitter sa jeune épouse le jour de son mariage pour devenir un chanteur d'opéra à la cour de Louis XV. Tout en rondeur, en jovialité, l'œil égrillard, Spyres incarne à merveille cet anti-héros dont la voix d'or lui permet de changer du jour au lendemain de condition, avant d'être ramené dans le droit chemin et que l'amour l'emporte sur la gloire, dix ans plus tard. Redoutable, le double-rôle de Chapelou/Saint-Phar est resté célèbre grâce au fameux air du 1er acte « Mes amis écoutez l'histoire », crânement maîtrisé ici et ce jusqu'au contré ré ; c'est cependant sans compter sur la romance « Assis au pied d'un hêtre » parodie de ces divertissements allégoriques fort appréciés au XVIIIème, où Spyres excelle en roucoulant comme personne, suivi au 3ème de l'air « A la noblesse je m'allie » dont les difficultés expliquent pourquoi l'ouvrage n'a plus été joué depuis des décennies. La performance du chanteur est sans appel, la prouesse, le naturel, l'extension et la facilité avec lesquelles celui-ci exécute cette partition – et dont il transforme chaque passage parlé en numéros de comédie inénarrables – et la joue, produisant sur l'auditoire une immense satisfaction physique.
Dans le rôle de l'aubergiste Madeleine et de Mme de Latour, la toute jeune soprano canadienne Florie Deliquette est elle aussi pour le moins rafraîchissante. D'abord sur la réserve, celle-ci prend de l'assurance dès lors qu'elle accède, grâce à l'héritage d'une lointaine tante, à un statut social totalement opposé et inattendu ; sa voix gagne alors en ampleur et en sûreté, notamment pendant l'air du second acte « Je vais donc le revoir » hérissé d'aigus et techniquement hardi (où June Anderson dans l'enregistrement Emi de 1986 signé Thomas Fulton excellait), tandis que la comédienne se plaît visiblement à se dédoubler et à passer allègrement de l'accent populaire à celui plus châtié de la Marquise. En Marquis de Corcy, Intendant des menus plaisirs du Roi Louis XV, Franck Leguérinel rompu à ce type de rôle dit « de caractère », est comme un poisson dans l'eau, Laurent Kubla en Biju/Alcindor s'avérant modeste vocalement, mais efficace scéniquement. Michel Fau qui assure la mise en scène et s'est octroyé le rôle parlé de Rose, la domestique de Mme de Latour, qui nous vaut un énième numéro de travesti plus que réchauffé, n'y va pas par quatre chemins : adepte des comédies de boulevard et des opérettes il ne recule devant rien, surligne à gros traits chaque effet, chaque pose, chaque œillade, suivi par une troupe docile. Décors kitchissimes (Emmanuel Charles), toiles peintes aux couleurs criardes violemment éclairées (Joël Fabing), costumes bigarrés façon santons de Provence (Christian Lacroix) nous ramènent à une esthétique très « années cinquante », quelque part entre La route fleurie et Le chanteur de Mexico de Francis Lopez remis au goût du jour par le duo Pierre et Gilles. Une fois la stupeur passée, rien n'empêche le public de se laisser charmer ou de résister…, mais c'est vraiment parce que les protagonistes se prêtent au jeu et chantent bien sans craindre la caricature que le spectacle parvient à trouver une certaine cohérence.
Sébastien Rouland à la tête de l'Orchestre de l'Opéra de Rouen-Normandie se tire plus que bien de cette résurrection ; l'écriture en apparence simple et modeste, mais diablement adroite, est impeccablement restituée, le chef ayant à cœur de rester fidèle à l'esprit typiquement français d'Adam, à son style, à son alacrité et à sa légèreté. Divertissant.