Charles Gounod (1818–1893)
Faust (1859)
Opéra en cinq actes
Livret de Jules Barbier et Michel Carré d'après le premier Faust de Johann Wolfgang von Goethe
Créé à Paris, Théâtre lyrique, le 19 mars 1859
Créé à l'Opéra de Paris (Salle Le Peletier) le 3 mars 1869.

Direction musicale : Emmanuel Villaume
Mise en scène : Tobias Kratzer
reprise par Alejandro Stadler
Décors et costumes : Rainer Sellmaier
Lumières : Michael Bauer
Vidéo : Manuel Braun

Faust : Pene Pati
Méphistophélès : Alex Esposito
Valentin : Florian Sempey
Wagner : Amin Ahangaran
Marguerite : Amina Edris
Siebel : Marina Viotti
Dame Marthe : Sylvie Brunet-Grupposo
Faust âgé : Marc Diabira (rôle muet)

Orchestre et chœurs de l’Opéra national de Paris
Chef des chœurs : Alessandro di Stefano

Paris, Opéra-Bastille, mercredi 2 octobre 2024, 19h30

L’Histoire le dira, mais la dernière production du Faust de Gounod réalisée par Tobias Kratzer pour l’Opéra Bastille a de beaux jours devant elle. Moderne, graphique, visuelle et bien plus policée que la précédente conçue par Lavelli (passons sur les catastrophiques versions de Jean-Louis Martinoty en 2011 puis de Jean-Romain Vesperini en 2015) et destinée à tous les publics, de quoi rassurer le directeur des lieux dont l’initiative lui revient. Après la première édition diffusée en streaming en 2021, puis une seconde présentée deux ans plus tard, cette reprise confirme les mérites d’une lecture dans l’air du temps, qui plus est superbement interprétée.

Le Faust de Lavelli (plus que de Gounod) n’étant plus, il est probable que celui de Kratzer le remplace dans le cœur des mélomanes ; ainsi va le monde. À sa création en 1975 pour le Palais Garnier, le spectacle de Lavelli avait fait l’effet d’une bombe dont les secousses s’étaient bien émoussées au fil des ans. L’antimilitarisme revendiqué avait fait florès et avec le temps ce contexte politique n’avait plus cours.

Dans le Ciel de Paris

Il fallait une nouvelle version du célèbre opéra de Gounod et Tobias Kratzer s’en est chargé. Impossible pour le metteur en scène allemand de ne pas relire le mythe sans l’adapter à notre époque et prouver ainsi aux nouvelles générations combien certains chefs‑d’œuvre sont intemporels. Décors évocateurs (appartement bourgeois, barre d’immeubles de banlieue, terrain de basket, logement sans âme de Marguerite…), costumes d’aujourd’hui, survols de Paris (Notre-Dame, la Seine, les rues de la capitale), effectués par le duo Faust/Méphistophélès, images vidéo foisonnantes (embrasement de Notre Dame de Paris), Kratzer et son équipe traitent le sujet en cinéaste avec de gros moyens pour concevoir le grand spectacle qu’est le Faust voulu par Gounod d’après Goethe.

 

Joué par un comédien, le bon docteur Faust n’aspire qu’à retrouver sa jeunesse perdue ce que lui propose un énigmatique personnage (le Diable accompagné de ses sbires tout de noir vêtus et invisibles aux autres sauf à Faust) qui le pousse à jouir de la vie, non sans lui administrer régulièrement certaines substances sans lesquelles il reprendrait son aspect initial.

Mort de Valentin (Florian Sempey)

Quelque peu bousculée pour les besoins de cette relecture, la trame résiste malgré tout aux scènes de boîte de nuit où Faust rencontre Marguerite, aux transformations de Valentin, gentil chef de bande et amateur de basket qui reviendra non plus de la guerre mais sans doute d’une rixe entre rivaux, à l’extravagante descente dans le métro pendant la malédiction de Marguerite et autre séance chez le gynécologue (pendant laquelle Marguerite accompagnée par le fidèle Siebel voit que son fœtus porte des oreilles pointues et une queue…), tant réalisme et fantastique font ici bon ménage. Les idées pullulent, les images saisissent et l’ensemble conserve sa cohérence même si Siebel prend la place de Marguerite pour se laisser emporter par les diables au final et quitter ainsi la terre…

Dans la fosse, Emmanuel Villaume qui dispose d’excellents musiciens fait de la dentelle, heureux semble-t-il de pouvoir accompagner une distribution de très grande qualité, soucieux de respecter chaque nuance, dans une prosodie châtiée. Entre Pene Pati et Amina Edris, Faust et Marguerite à la scène ainsi qu’époux à la ville, l’entente est parfaite et l’on a rarement entendu duo du 3ème acte si élégiaque et transparent que sous leurs auspices

Pene Pati (Faust), Amina Edris (Marguerite)

Le ténor qui succède au déjà très stylé Benjamin Bernheim, compose un Faust également proche de l’idéal, la douceur de son timbre et la richesse de son instrument s’accordant à merveille à ce Faust d’abord maladroit puis fougueux et finalement ingrat. Comme dans le nouvel album d’airs français et italiens qu’il vient d’enregistrer sous la baguette d’Emmanuel Villaume[1], où il réalise un quasi sans faute, le célèbre « Adieu demeure chaste et pure » est exécuté archet à la corde dans une espèce d’atmosphère délicieusement cotonneuse et couronné d’un superbe aigu piano. La santé et l’éclat vocal se retrouvant sur toute la durée de la représentation.

Amina Edris (Marguerite)

Voix aujourd’hui plus centrale, moins à l’aise dans l’aigu, mais un timbre corsé et au jeu convaincant, Amina Edris saisit chaque linéament du personnage de Marguerite, cette fausse ingénue dupée, poussée à l’infanticide et qui sombre dans la folie.

Alex Esposito (Mephisto), Amina Edris (Marguerite)

Alex Esposito retrouve avec bonheur la figure maléfique de Méphistophélès qu’il se plait à dépeindre d’une voix carnassière et glaçante. Toujours aussi sûr de sa composition physique que de sa prestation vocale admirablement restituée (quel souffle, quelle ligne, quel français !), Florian Sempey est sans rival dans le rôle de Valentin, pieux, violent, parfait caïd, aussi excessif dans la foi qu’il porte à sa sœur qu’intraitable quand il s’agit de la maudire. Sylvie Brunet-Grupposo est évidemment une Dame Marthe parfaite mais comme on aimerait l’entendre dans d’autres rôles que ces utilités, Marina Viotti un Siebel plus vrai que nature, le jeune Amin Ahangaran en Wagner devant encore travailler sérieusement la langue française pour la rendre intelligible. Préparation des chœurs idoine par Alessandro di Stefano : une soirée superlative, comme on les aime

[1] « Nessun dorma » CD Warner dirigé par Emmanuel Villaume à la tête de l’Orchestre national Bordeaux Aquitaine avec Amina Edris et Amitai Pati (Puccini/Gounod/Massenet/Mascagni/Verdi/Berlioz/Donizetti….)

 

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François Lesueur
Après avoir suivi des études de Cinéma et d'Audiovisuel, François Lesueur se dirige vers le milieu musical où il occupe plusieurs postes, dont celui de régisseur-plateau sur différentes productions d'opéra. Il choisit cependant la fonction publique et intègre la Direction des affaires culturelles, où il est successivement en charge des salles de concerts, des théâtres municipaux, des partenariats mis en place dans les musées de la Ville de Paris avant d’intégrer Paris Musées, où il est responsable des privatisations d’espaces.  Sa passion pour le journalisme et l'art lyrique le conduisent en parallèle à écrire très tôt pour de nombreuses revues musicales françaises et étrangères, qui l’amènent à collaborer notamment au mensuel culturel suisse Scènes magazine de 1993 à 2016 et à intégrer la rédaction d’Opéra Magazine en 2015. Il est également critique musical pour le site concertclassic.com depuis 2006. Il s’est associé au wanderesite.com dès son lancement

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1 COMMENTAIRE

  1. Vous dites que Florian Sempey est un Valentin sans égal, certes.. j’ai néanmoins le souvenir du Valentin d’ Etienne Dupuis dans la production de Castorf à Vienne, vue sur le site de l’opéra ( c’était l’époque du Covid), où il était époustouflant de rage, de désespoir et de haine pour sa sœur ( sa femme Nicole Car ) !
    C’est un très grand baryton, francophone, qui
    mène une très belle carrière, certes assez discrète. C’est un Posa magnifique à Vienne en ce moment, et il a été à Paris un très beau compagnon de Don Quichotte..

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