Gioachino Rossini (1792–1868)
Il turco in Italia (1814)
Opera buffa en deux actes
Livret de Felice Romani
Créé à Milan, Teatro alla Scala, le 14 août 1814

Direction musicale 
Gianluca Capuano
Mise en scène
Christof Loy
Décors et costumes
Herbert Murauer
Lumières
Reinhard Traub
Chorégraphie
Jacqueline Davenport
Chef des chœurs
Stellario Fagone
Selim
Alex Esposito
Donna Fiorilla
Irina Lungu
Don Geronio
Misha Kiria
Don Narciso
Michele Angelini
Prosdocimo
Nikolay Borchev
Zaida
Laura Verrecchia
Albazar
Granit Musliu
Factotum
Maximilian Widmann

Opernballett der Bayerischen Staatsoper :
Erica Amico, Alexander Breiter, Jeremy Rucker, Bernd Schmidt, Karmen Skandali, Anja Straubhaar

Bayerischer Staatsopernchor
Bayerisches Staatsorchester

Munich, Nationaltheater, 11 février 2022, 19h

Il est toujours intéressant d’assister à une représentation dite de répertoire car elle est signe de la qualité réelle d’une institution théâtrale. Il n'est pas toujours aisé au quotidien de maintenir un niveau enviable. On en connaît les règles et on y reviendra. Cette production de Il Turco in Italia signée Christof Loy remonte à 2007 et ne marque pas tant de signes de vieillissement : elle continue de fonctionner à la satisfaction du public qui rit beaucoup. Mais c’est surtout la distribution et la direction musicale de Gianluca Capuano qui donnent de l’intérêt à cette reprise d’un des opéras de Rossini les plus joués aujourd’hui.

 

Irina Lungu (Donna Fiorilla)

Il turco in Italia est une œuvre qu’on voit beaucoup sur les scènes ces dernières années, elle a en effet un caractère hybride qui permet à la fois de jouer sur le sourire de l’œuvre bouffe, mais aussi sur un profil un peu plus sérieux que d’autres œuvres de Rossini de sa grande période bouffe qui va de L’Italiana in Algeri à La Cenerentola. Comme L’Italiana in Algeri (1813), Il turco in Italia (1814) est « une turquerie », un genre à la mode au théâtre comme à l’opéra depuis le XVIIe, qui met en relief non « la guerre des civilisations », comme on dirait aujourd’hui, mais la confrontation de modes de vie, l’observation de l’autre, que Montesquieu a su malicieusement mettre en scène dans ses Lettres persanes. La question de l’autre devient plus urgente en Occident avec les grandes découvertes, et au XVIe, Montaigne en fait une vraie question de réflexion humaniste. Il s’agit de relativiser ce qu’on estime être des vérités absolues, d’humaniser ces « sauvages » qu’on observe et leur donner une âme… c’est évidemment la question de la conquête et des grandes découvertes qui élargissent les champs de vision. Et Montaigne est largement en avance sur son temps, mais aussi sur le nôtre, à en juger de certains personnages politiques nauséabonds d'aujourd'hui.
Avec la Turquie, c’est aussi de confrontation géopolitique qu’il s’agit, l’Empire ottoman étant le grand empire qui se dresse en face des empires et royaumes occidentaux : christianisme contre islam – ce n’est pas neuf, empire (le Saint Empire romain germanique) contre empire (les Ottomans), cristallisé au XVIe siècle par la bataille de Lépante (1571). En fait, entre le XVe et le XVIIIe, chaque siècle a sa grande explication contre les ottomans. En 1453, c’est la conquête définitive de Constantinople qui marque la fin du dernier avatar de l’Empire romain et la victoire de Mehmet II, un empire en remplace un autre.
En 1571, c’est la victoire des « occidentaux » et notamment du Saint Empire (Don Juan d’Autriche) contre les troupes ottomanes, arrêtant leur volonté de conquête européenne.
Tout au long du XVIIe, les ottomans progressent vers l’occident et sont fascinés par l’Europe, et notamment sa culture et son art, ils sont en Hongrie et dans les Balkans, mais leur progression est arrêtée à Vienne, dont ils font le siège, grâce à Jean Sobieski en 1683.
Étrangement, ces considérables événements ne sont pas glorifiés par l’historiographie française, pour une raison géopolitique claire : la politique française a été tout au long de ces années de ménager les ottomans, car l’ennemi « héréditaire » c’est au XVIe l’Empire des Habsbourg (Charles Quint). Tant que les Ottomans pressurent les Habsbourg, c’est une bonne opération pour le Royaume de France puisqu’ainsi les Habsbourg sont pris en étau entre deux puissances. On voyait donc en France la puissance ottomane avec une certaine bienveillance, et le turc, même s’il apparaît comme un « perfide » aux yeux d’un Georges de Hongrie ((Des Turcs, traité sur les meours, les coutumes et la perfidie des Turcs, traduit du latin apr Jean Schnapp, Editions Anacharsis, distrib. Les Belles Lettres)), dominicain prisonnier des turcs entre 1438 et 1458, reste une « curiosité » et en France, à la faveur des échanges et du commerce, il devient « l’autre familier ».
Mais au début du XIXe, l’empire ottoman est affaibli : la guerre d’indépendance grecque qui commence en 1821 en est l’indice, même si le commerce et les échanges n’ont jamais cessé.  Et l’intrigue de ce turc qui arrive en Italie dans le livret de Felice Romani en est l'indice, qui se situe comme par hasard dans un grand port de la Méditerranée, Naples.

Déjà chez Mozart, dans l’Enlèvement au Sérail, Pacha Selim était vu en quelque sorte comme un homme des lumières, qui donnait une leçon de tolérance à l’ennemi occidental traditionnel. Comme on le voit chacun a son turc… Détail amusant, Felice Romani puise le sujet chez Caterino Mazzola, librettiste de la Clemenza di Tito de Mozart (d’après Metastase) qui avait écrit un livret (Il turco in italia) mis en musique successivement par Seydelmann (1788) et Sussmayr (1794): le monde musical est un tout petit monde… mais on sait qu’entre Rossini et Mozart, il y a des ponts nombreux…
Tout ce développement sur les turcs pour arriver à constater que Christof Loy  refuse au contraire la turquerie, et que son Turco in Italia très contemporain, traite d’autre chose et d’une certaine manière d’une question plus sérieuse et moins caricaturale : l’ennui du couple et le désir d’autre chose, le désir de rupture et d’aventure chez une femme fatiguée de son mari. C’est donc une mise en scène bien plus contemporaine et plus centrée sur la situation personnelle de Donna Fiorilla dans son couple avec Don Geronio qu’il s’agit ,loin d’une observation-confrontation de mœurs.
Bien sûr, on tombe dans un autre des clichés de l’opéra bouffe, qui est celui de la femme mal mariée, de la relation entre une jeune femme plutôt alerte et son mari plus âgé, avec ici l’idée que Donna Fiorilla s’est mariée pour sortir de sa condition et qu’elle est devenue une « dame », une condition à laquelle elle n’a pas envie de renoncer (voir dans cette mise en scène l'armoire remplie de paires de chaussures aussi niombreuses qu'inutiles, mais témoignage d'une vie confortable…)
Troisième sujet de complexité, le quatrième personnage, celui de Prodoscimo, le poète qui observe les mœurs des couples pour en faire un sujet d’opéra-comique, en essayant d'orienter les situations, qui évidemment peut mener à ces constructions en abyme du plus bel effet de théâtre dans le théâtre.
Bref c’est un sujet inspirant pour un metteur en scène contemporain et non traditionnel.Voilà  la singularité d’un opéra-bouffe qui est coloré d’éléments plus sérieux qu’attendus dans une telle œuvre.

Selim (Alex Esposito) fait-il le poids contre l'autre, Don Geronio (Misha Kiria)

Ce qui fascine Donna Fiorilla, l'héroïne, c’est le désir de l’autre, de celui qui va casser l’ennui, d’une sorte d’exotisme qui va tomber du ciel et de fait, l’arrivée de Selim se fait par un tapis volant, élément magique et fantasmatique qui arrive à point nommé pour une dame un peu lassée de sa vie routinière.
Mais face à cette magie initiale, la vie des deux couples (Fiorilla/Geronio et Zaida/Selim) à la fin s’installera dans un train-train, à l’occidentale ou à l’orientale où l’on se bagarre pour zapper face à la télévision, symbole de la vie tranquille au quotidien du couple revenu « ironiquement » à la raison et à l'ennui du quotidien.
L’autre ? Christof Loy le représente dans un groupe de bohémiens installés dans un terrain vague, à la fois conforme au livret, mais une Bohème sans doute moins pittoresque, et plus proche des communautés roms aux périphéries des villes, dans une altérité qui n’a rien d’exotique et qui nous ressemble furieusement, mais qui rend furieux les "braves gens" de Brassens. Des bohémiens qui n’ont pas l’allure de personnages clinquants d’opérettes , mais qui chantent leur nature de voyageurs : là encore, les bohémiens (ou roms ou gitans etc…) sont un peuple européen installé depuis plus d’un millénaire et célébré par l’art depuis le moyen-âge. Ces « autres » quelquefois détestés, c’est aussi nous-mêmes, installés chez nous et donc chez eux depuis des temps immémoriaux, et le livret de Romani par les première paroles du chœur initial le souligne…

Nostra patria è il mondo intero,
e nel sen dell'abbondanza
l'altrui credula ignoranza
ci fa vivere e sguazzar.
((Notre patrie est le monde entier,
Et au cœur de l'abondance
L'ignorance crédule des autres
Il nous fait vivre et nous vautrer.))

Ces éléments n’empêchent pas les scènes franchement bouffes, dont le sommet est le duo Geronio-Selim conçu comme un combat de boxe qui met la salle de fort bonne humeur et un dévut de deuxième acte autour d 'un plat de spaghetti.

 

Misha Kiria (Don Geronio), Nikolay Borchev (Prosdocimo), Alex Esposito (Selim)

Au total, un espace abstrait contemporain (décors et costumes de Herbert Murauer), une analyse psychologique non dénuée de justesse, et en même temps un spectacle fort bien adapté au répertoire puisqu’il survit après une quinzaine d’années sans avoir trop vieilli.

Il faut dire aussi que cette reprise ne manque pas d’arguments musicaux, avec une distribution solide partiellement renouvelée puisqu’elle compte des artistes déjà présents à la première en 2007 (Nicolay Borchev) ou à la reprise de 2017 (Michele Angelini) et d’autres nouveaux venus, comme Irina Lungu qui a sauvé le spectacle puisqu’elle a remplacé Lisette Oropesa prévue initialement.
Au pupitre, Gianluca Capuano, qui venait de diriger une production de Jean-Louis Grinda (avec Cecilia Bartoli) à Montecarlo  à la tête de son orchestre « Les Musiciens du Prince-Monaco », a montré qu’au pupitre du Bayerisches Staatsorchester il a su aussi imprimer sa marque, et entraîner l’orchestre dans un Rossini vif, aux tempi étourdissants comme on n’en entend pas souvent dans cette fosse. La qualité de l’orchestre, l’un des plus brillants des orchestres de fosse en Europe, et son adaptabilité, sa ductilité aussi qu’il a su travailler aux temps pas si lointains où Kirill Petrenko les emportait dans des trajectoires étourdissantes (souvenons-nous des Fledermaus et d’une Lucia di Lammermoor incroyables… Seulement, Rossini est souvent cantonné dans ce type d’institution au répertoire un peu plus routinier, et le Rossini bouffe (le seul qu’on entende pratiquement à Munich où le Rossini sérieux est classé dans les raretés) n’est pas emporté avec cette vivacité et cette légère brutalité qu’on entend souvent avec les orchestres baroques (par exemple, Les musiciens du Prince-Monaco). Pareil Rossini explosif, alerte, très juvénile (après tout, Rossini a 22 ans en 1814) semble tout se permettre et respire l’audace. Mais ce Rossini vu par Capuano, c’est aussi la clarté du rendu, la précision des attaques, la lisibilité au rendez-vous qui font de cette exécution l’une des plus brillantes et des plus modernes qu’on puisse entendre aujourd’hui. Je l’écris souvent, notre lecture de Rossini se fait souvent en fonction du futur, et des compositeurs qu’il inspira, les romantiques (Meyerbeer, Auber) et le bel canto, mais aussi Verdi, et Offenbach. On regarde moins d’où il vient : chronologiquement proche de l’âge baroque, de Mozart, de Gluck, de Haydn c’est à dire d’autres clefs de lecture et d’autres sons. On ne mesure pas toujours d’ailleurs l’influence d’un Gluck sur le XIXe, du Rossini sérieux à Wagner. Cette manière de relire l’orchestre rossinien ouvre aussi l’espace d’autres possibles, y compris dans la manière de chanter, et de colorer les œuvres et d’écouter une musique qui loin de la routine, n’est qu’invention. Bien sûr, Rossini reprend çà et là ses œuvres pour les insérer dans d’autres, il fait de son œuvre une sorte de ressource dans laquelle il puise à plaisir, mais curieusement moins dans il Turco in italia dont il n’a repris que l’ouverture pour celle d’Otello. Mais là encore reprendre une musique ne veut pas dire l’interpréter de la même manière selon le contexte et la notion d’œuvre « inaltérable » à l’opéra est plutôt un donné de la deuxième moitié du XIXe. Les œuvres ne cessaient de bouger (un air de plus, un air de moins etc…) au XVIIIe.
C’est donc un Rossini aérien qui nous est offert ici, et l’orchestre peu habitué à un Rossini de cette couleur semble suivre avec gourmandise le tempo imposé par le chef et les rythmes heurtés, les volumes changeants et une sorte de vie intérieure pleine de sève qui renouvelle notre écoute. C’était une première fois à Munich pour Gianluca Capuano , et le résultat est si convaincant qu’on l’y espère dans le futur
Le chœur de la Staatsoper d’ailleurs a peut-être moins pu s’adapter à ces options, on le sent plus gêné et moins à l’aise, dans ce répertoire que dans d’autres (notamment le grand répertoire germanique et même verdien), il n’a pas toujours la vivacité et le phrasé qui va avec…
Enfin il faut aussi saluer l’ensemble de la distribution qui a démontré être au rendez-vous de l’homogénéité. Dans ces soirées de répertoire où les répétitions sont réduites à l’os, trouver une cohésion n’est pas toujours facile et elle se fait au fil des soirées, il vaut donc souvent mieux ne pas assister à la première des reprises. Il reste que l’impression générale en cette deuxième soirée est plutôt flatteuse.
Granit Musliu jeune ténor au joli timbre venu du Kosovo est membre du studio de la Bayerische Staatsoper il ne manque pas d’élégance dans Albazar,

Laura Verrecchia (Zaida)

la Zaida de Laura Verrecchia qui fait ses débuts à la Bayerische Staatsoper est pleine d’allant, avec une voix de mezzo vive et légèrement acidulée qui convient au rôle : rappelons que Zaida se retrouve dans le groupe de Bohémiens car victime des jalousies des autres femmes du harem de Selim,  a dû fuir grâce à Albazar. Personnage un peu mélancolique, elle retrouve en présence de Selim l’amour du passé et s’en retourne avec lui. Elle a su à la fois donner cette couleur acide et en même temps désabusé, qui face à Selim devient la rivale de Fiorilla.  Un début prometteur.

Nicolay Borchev (Prosdocimo)

Nikolay Borchev est Prosdocimo et faisait partie de la distribution initiale de la production en 2007. Il incarne l’écrivain qui veut construire un livret d’opéra-comique et essaie de gérer au mieux l’avenir des deux femmes Fiorilla et Zaida dans une perspective de "bien pensance bourgeoise", et partant des deux couples qu’elles forment avec Geronio et Selim. Dans cette mise en scène, ses efforts pour construire l’histoire en font aussi une victime car il prend au total tous les coups, à chaque fois qu'une idée lui vient ou qu'il essaie d'intervenir. Borchev excelle dans les récitatifs, parfaitement scandés, avec de jolis accents, un ton et un style vraiment « idiomatiques », il est un personnage dit "de caractère". Malheureusement, la voix semble un peu plus éteinte dans les parties chantées, elle a perdu du relief et le la séduction du timbre, elle est devenue mate et sans couleur. C’est dommage car le personnage est impeccablement campé et incarné

Michele Angelini (Don Narciso) Nikolay Borchev (Prodocimo)

Autre rescapé de reprises de la production (cette fois en 2017), Michele Angelini en Don Narciso au nom prédestiné : il est l’amant (ou l’aspirant) de Donna Fiorilla. L’histoire laisse toute l’ambiguité au mot « amant ». Il serait bien étonnant qu’en renonçant à son Selim Donna Fiorilla ne trompât pas son ennui avec Narciso, et que celui-ci ne soit que l’éternel amoureux transi. Routine pour routine, autant qu’elle soit une routine à trois, après tout assez habituelle. La voix est bien posée, bien projetée et il se sort du rôle avec tous les honneurs. Joli timbre et homogénéité sur l’ensemble du registre caractérisent sur l’ensemble de ses interventions, (avec une très légère faiblesse à l’aigu final de son air Tu secondo il mio disegno du deuxième acte, mais dans un ensemble excellent avec des agilités notables et une belle technique, et aussi une certaine vaillance qui séduit), mais vraiment une prestation vive, et une voix qui n’a pas la nasalité de certains ténors rossiniens et qui est très affirmée. Joli personnage et voix intéressante qui remporte un beau succès, très mérité.

Misha Kiria (Don Geronio) et Irina Lungo (Donna Fiorilla)

Le baryton géorgien Misha Kiria est Geronio. Il est un personnage à la fois comique et émouvant, qui n’a rien du barbon, plutôt jeune, mais légèrement embourgeoisé et non empreint d’une certaine tendresse. Tout au long de la représentation, on entend une voix bien posée, précise, très homogène, avec de beaux aigus très contrôlés et un vrai style rossinien sans scorie aucune, sans faute de goût et sans excès caricaturaux non plus. C’est sans nul doute une des voix du futur pour Rossini et ce soir, la prestation a vraiment convaincu le public qui lui a fait avec justice très bon accueil.
On ne présente plus Alex Esposito, qui est l’une des voix exceptionnelles de ce répertoire, très à l’aise en scène, très délié et avec une vis comica qui n’est jamais caricaturale. Son Selim est à la fois incarné et magnifiquement chanté sans aucune faute de style. C’est un chanteur qui donne toujours du plaisir dans ce type de rôle et qui remplit totalement la scène : le début du deuxième acte autour d’un plat de spaghetti est totalement désopilant, sans être ridicule ni excessif, sans parler du combat de boxe avec Geronio où il se confronte avec un format moins avantageux que son adversaire. Ne boudons pas notre plaisir, il nous fait passer une splendide soirée.

Irina Lungu (Donna Fiorilla)

Fiorilla c’est Irina Lungu qui a substitué Lisette Oropesa et donc sauvé la série, avec un allant et un talent d’actrice notable, pleine de séduction, en jouant un personnage à la fois  roué, mais non dénuée d’une certaine tendresse : c’est vraiment un caractère dominant de ce travail scénique et de ces personnages de n’être jamais des caricatures, et de laisser toujours deviner de la profondeur et de la tendresse. C’est une Fiorilla théâtralement au point, pétillante et vive.
Vocalement, elle se sort du défi (c’est un de ces rôles qu’ont toujours tenu des rossiniennes de choc – rappelons la Peretyatko ou la Bartoli) avec les honneurs, sans avoir toujours le style exact qu’on attend, chantant avec des couleurs quelquefois un peu plus verdiennes (Irina Lungu est une Traviata remarquable) et sans toujours la précision et l’exactitude métronomiques que Rossini demande dans les agilités (stylistiquement elle regarde un peu plus avant dans le XIXe), mais c’est de bien menues réserves face à une prestation qui remplit la scène sans barguigner et propose un personnage frais et là encore plus épais qu’attendu dans un opéra bouffe. Notamment dans son air final très réussi, spectaculaire et émouvant Squallida veste e bruna.

Au total une soirée de répertoire qui vaut bien des nouvelles productions de théâtres de stagione, et c’est justement ce qui fait la valeur de ce système, qui lorsqu’il n’est pas routine, réussit comme ici à maintenir un vrai niveau. On sort heureux et c’est le but du jeu

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Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.

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