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Enième production annulée pour cause de covid, le Così fan tutte programmé en mai à l’Opéra Royal de Wallonie a tout de même eu la chance de faire l’objet d’une captation – sans mise en scène malheureusement –, disponible sur le site de l’opéra pour la somme de huit euros.
Il n’y a pas à dire : bien que l’année passée nous ait abreuvés de streaming et de captations dans des conditions de représentation inhabituelles, on ne saurait s’habituer à voir un chef diriger masqué, ou des musiciens isolés derrière des plexiglas et un chœur distancié ; on ne saurait s’habituer, non plus, à l’absence d’applaudissements et on imagine comme il est difficile pour les interprètes d’incarner un personnage avec conviction face à une salle vide et aucun spectateur dont il s’agirait de capter l’attention. On est donc d’autant plus saisie par l’énergie dramatique avec laquelle s’ouvre ce Così fan tutte tandis que Ferrando (Cyrille Dubois) et Guglielmo (Leon Kosavic) lancent à l’initiative de Don Alfonso (Lionel Lhote) le pari dangereux d’éprouver la fidélité de leurs fiancées.
On devine assez rapidement que ce trio de solistes sera un atout majeur du concert, et la suite des événements ne fera que le confirmer : Lionel Lhote est un Alfonso mordant et bien chantant, qui n’a pas besoin de jouer au vieux philosophe pour montrer qu’il est le maître du jeu. Un regard, un geste suffisent parfois amplement à caractériser son personnage, et le peu qu’il chante ne suffit pas à le mettre au rang de personnage secondaire. A ses côtés, on apprécie tout particulièrement ce que Leon Kosavic fait de Guglielmo, débarrassé de la balourdise et de certaines outrances comiques qui lui collent souvent à la peau : Guglielmo est ici plus introverti, plus réfléchi, plus raffiné dans la séduction ; il ne sert pas seulement de contrepoint à Ferrando mais possède un réel potentiel sérieux, servi ici par un très beau timbre et une intelligence du texte qui trouve à se déployer dans le « Donne mie », où le baryton capte l’attention d’un auditoire invisible par le soin qu’il apporte à la diction et à la clarté des mots qu’il prononce.
Dernier membre de ce trio masculin, Cyrille Dubois retrouve le rôle de Ferrando – rôle qu’il avait interprété notamment à l’Opéra de Paris, sous la baguette de Philippe Jordan et dans la mise en scène d’Anna Teresa De Keersmaeker. S’il avait déjà montré à l’époque une affinité évidente avec la tessiture et l’écriture dévolues à ce personnage, l’interprétation a encore gagné en intensité grâce à un équilibre parfait entre l’expressivité du texte – toujours ciselé, habité – et la beauté vocale. Confortées par une belle palette de nuances, ces qualités permettent au ténor d’aller très loin dans l’incarnation du personnage, et il se révèle extrêmement touchant dans la scène des (faux) adieux de l’acte I, tout comme dans ses deux airs : rarement entend-on, qui plus est dans une version de concert, un tel engagement et une telle impression de sincérité, permis par cette adéquation entre la musique, le texte, et l’investissement de l’interprète qui les porte.
Ce Così fan tutte vaut donc en premier lieu pour la qualité de ses Alfonso, Guglielmo et Ferrando, et les rôles masculins emportent ici entièrement l’adhésion.
Sophie Karthäuser ne manque pas non plus d’atouts en Despina, à laquelle elle prête une ironie tout à fait à propos. Ce sont plutôt Dorabella et Fiordiligi qui suscitent des réserves, pour des raisons différentes : Lucia Cirillo tout d’abord est une Dorabella vive, expressive physiquement, qui construit bien son personnage, mais elle n’a pas autant le souci du détail que ses collègues en termes de dessin musical et de diction du texte. On aurait pu espérer plus de contrastes et de force dramatique dans le chant. Quant à Maria Rey-Joly, bien qu’elle ait un beau medium et un timbre qui s’épanouit dans l’aigu – qualités appréciables pour Fiordiligi ! –, on regrette des problèmes d’intonation fréquents dans sa prestation. On regrette aussi que la lecture qu’elle offre du personnage manque de relief et de complexité, alors que Mozart et Da Ponte ont offert à Fiordiligi tant de mutations et une telle évolution psychologique en l’espace de trois heures de musique. C’est dommage que la soprano n’ait pas réussi à s’emparer entièrement du personnage dramatiquement et vocalement.
On pourra malheureusement difficilement donner un avis précis sur le Chœur de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, qui non seulement chante peu dans cette œuvre, mais qui était surtout masqué et distancié au milieu du parterre. On peut en tout cas lui reconnaître de l’énergie et une présence affirmée, notamment au début du finale de l’acte II où l’on voit d’ailleurs Christophe Rousset diriger les choristes avec une gestuelle et une articulation très nettes.
Le chef laisse en effet peu de place à l’appesantissement dans sa direction, fermement tenue et qui permet d’alimenter une tension musicale et scénique. Dans le même ordre d’idées, Christophe Rousset souligne tout particulièrement le caractère martial de l’écriture, dans l’ouverture, mais aussi dans le « Ah che più non ho ritegno » et chaque fois que Mozart laisse la part belle aux cuivres et aux timbales. Mais ce qu’on apprécie le plus dans sa direction est l’attention portées aux différents soli à l’orchestre tout en apportant un soutien suffisant aux chanteurs. Le « Come scoglio » est peut-être la plus belle page de la représentation parce qu’on y trouve à la fois un souci des différentes voix, une présence affirmée des cordes, un dessin précis de la ligne à l’échelle de la phrase, et surtout un arc expressif très clairement défini du début à la fin de l’air qui participe à sa dimension théâtrale. On citera pour finir, naturellement, les pupitres de vents de l’Orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie qui ont maintes occasions de briller dans cette œuvre, et ne manquent pas de le faire.
Voilà un Così fan tutte qui ne suscite pas une adhésion sans réserve, mais Christophe Rousset et les solistes masculins ont en tout cas largement su convaincre. Pour ceux qui voudraient se faire une idée, la captation est à retrouver sur le site de l’Opéra Royal jusqu’au 15 juin.
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