Claude Debussy (1862–1918)
Pelléas et Mélisande (1902)
Drame lyrique en cinq actes et douze tableaux
Livret de Maurice Maeterlinck d'après sa pièce éponyme (1893)
Création le 30 avril 1902 à l'Opéra-Comique, Paris

Direction musicale : Susanna Mälkki
Mise en scène : Katie Mitchell
Décors : Lizzie Clachan
Costumes : Chloe Lamford
Lumières : James Farncombe
Dramaturgie : Martin Crimp
Responsable des mouvements pour la création en 2016 : Joseph W.Alford

Arkel : Vincent Le Texier
Geneviève : Lucile Richardot
£Pelléas : Huw Montague Rendall
£Golaud : Laurent Naouri
Mélisande : Chiara Skerath
Yniold : Emma Fekete
Un médecin, un berger : Thomas Dear

Chœur et Orchestre de l’Opéra de Lyon
Chef des chœurs : Benedikt Kearns

Reprise de la Production 2016

Aix-en-Provence, Grand Théâtre de Provence, samedi 6 juillet 2024, 20h

Huit ans après, Pierre Audi propose une reprise du Pelléas et Mélisande dans la vision de Katie Mitchell qui avait triomphé en 2016 avec une nouvelle équipe musicale et un travail renouvelé de la metteuse en scène qui propose une production qui va tout à l’opposé de l’idée d’évanescence que l’œuvre de Debussy diffuse parfois dans les fantasmes mélomaniaques. Là où l’on pense symbolisme, métaphores, forêts profondes et fontaines aux reflets argentés, on a une maison sombre, pesante, pleine d’objets et de meubles, et là où l’on a un pauvre petit être surgi de nulle part, sa Mélisande commence par faire un test de grossesse dans la salle de bains…
Drame familial, drame bourgeois, drame humain d’une femme esseulée
au lieu d’être l’évocation symboliste habituelle, cette vision avait à tout le moins désarçonné le public, et en revanche enthousiasmé par la réalisation musicale signée Salonen, avec Stéphane Degout et Sabine Devieilhe.
C’est une autre équipe (ou presque, à l’exception du Golaud de Laurent Naouri et du docteur de Thomas Dear) qui cette fois assure le spectacle. Avec Katie Mitchell fait équipe Susanna Mälkki, et sur scène les plus jeunes Chiara Skerath et Huw Montague Rendall, tout aussi convaincants que leurs prédécesseurs. Il en résulte un spectacle sensiblement différent, presque plus radical, et la mise en scène reste pour moi un peu indigeste.


Décidément non. À huit ans de distance, et même avec la raison qui progresse avec l’âge, je n’arrive pas à entrer dans cette production qui déborde de qualités, d’intelligence et d’idées, et qui de plus a été retravaillée pour l’occasion où une toute nouvelle distribution (Laurent Naouri et Thomas Dear exceptés) succède à la magnifique compagnie de 2016.(Lire notre article de 2016)
J’essaie d’en démêler les raisons.

Il y a dans ce travail une tension entre l’onirique, qui évoque quelque chose d’inexplicable, de contradictoire, d’imprécis, de vaporeux et de flou et l’extrême précision de l’espace et l’abondance de détails hyperréalistes, même dans leur absence totale de réalisme comme l’arbre qui envahit l’espace intérieur au début. Une tension que je n’arrive pas à résoudre.
C’est une habitude de Katie Mitchell d’inscrire ses productions dans des décors lourds, à plusieurs niveaux, et de faire jouer la dramaturgie par le glissement des espaces.
Dans cette production de Pelléas et Mélisande, elle prend au mot la structure en tableaux de l’œuvre, (cinq actes et douze tableaux) pour multiplier les lieux différents en une mécanique virtuose et silencieuse qui met à rude épreuve la machinerie du Grand Théâtre de Provence et nécessite une armée de techniciens qui viennent d’ailleurs justement saluer au rideau final.

Emma Fekete (Yniold), Chiara Skerath (Mélisande), Huw Montague Rendall (Pelléas)

Le décor de Lizzie Clachan est en effet partie prenante de la dramaturgie, il fait plus que contextualiser, il exprime une pesanteur, avec sa couleur verdâtre d’eau stagnante, avec ces murs recouverts de tableaux, ces meubles d’objets, ces rideaux qui coupent de l’extérieur très lumineux et en atténuent la lumière (magnifiques éclairages de James Farncombe), créant sans cesse les ombres portées et les recoins plus obscurs et les tristes costumes de Chloe Lamford renforcent l'ambiance. Allemonde est une maison cossue qui semble s’être arrêtée, comme suspendue, comme fossilisée.

Deux lumières, deux niveaux

Le seul moment où on s’en échappe c’est une terrasse supérieure un peu plus éclairée et surtout c’est un horrible escalier extérieur en colimaçon, et métallique, un « escalier de secours » mais qui est aussi un piège qui va coincer les amants (car dans cette mise en scène, ils sont amants…).

L'escalier piège

Tout l’espace est un piège, y compris là où l’on pense échapper. Dans cet ensemble de décors somptueux qui s’imbriquent, on retiendra évidemment la fontaine, figurée par une piscine abandonnée, au milieu d’une nature extérieure qui ne demande qu’à pénétrer, comme si Allemonde n’était justement plus un monde, mais une mémoire de monde, un monde à l’arrêt où les autres (tous ceux qui ne sont pas Mélisande) vivent dans une sorte de quotidien sans but ni saveur, dans un univers crépusculaire, froid et humide, du moins est-ce l’impression générale diffusée ces ambiances.

Huw Montague Rendall (Pelléas), Chiara Skerath (Mélisande), Emma Fekete (Yniold), la fontaine-piscine

On retiendra aussi ces scènes de repas pesantes ou violentes, quelquefois à la limite du supportable, symbole de réunions familiales et de déchirures.

Laurent Naouri (Golaud), Chiara Skerath (Mélisande), Huw Montague Rendall (Pelléas), Lucile Richardot (Geneviève), Vincent Le Texier (Arkel), Emma Fekete (Yniold)

Katie Mitchell a voulu lire l’œuvre à travers le regard de Mélisande, quand la plupart du temps Mélisande est ce petit objet mystérieux placé sous le regard des hommes, cette petite chose fragile qui va se casser (ou qu’on va casser). En changeant le point de vue, ouvrant le spectacle par une Mélisande en robe de mariée qui passe dans la salle de bains se faire un test de grossesse et qui ensuite s’écroule dans le lit pour s’endormir profondément, elle commence « réaliste », presque comme une série TV et sans musique.
Puis on passe à l’onirique, où Mélisande va aussi se dédoubler, se regardant faire, et va se voir subir les assauts des hommes, évidemment plus violemment ressentis de son point de vue que s’ils étaient vus par les hommes… D’où une plus grande violence, une plus grande tension, une plus grande crudité et un refus de ce côté éthéré qui ont fait le miel de tant de productions de Debussy.

On admet en général la violence de Golaud (toujours impressionnant Laurent Naouri) : Golaud, c’est le mal aimé, avec son côté obsessionnel, amer et même cruel (j’avais évoqué le Prince de Clèves dans mon compte rendu de 2016) et donc a priori on peut tirer le personnage vers la violence physique, et vers le goût du sang, comme il apparaît dès le début (le chasseur) ou comme il va tuer sauvagement Pelléas en l’égorgeant prenant le couple en flagrant délit à l’issue d’une scène d’un érotisme marqué entre Pelléas et Mélisande. On s’attend moins à celle d’Arkel, généralement vu comme le vénérable qui se tient à distance et qui pourtant dès l’apparition de Mélisande lui caresse sensuellement la chevelure comme le fait Golaud. Dans son travail de mise en scène, Katie Mitchell a aussi retravaillé le rôle d’Yniold, le féminisant encore plus fortement et en faisant une jeune adolescente cherchant à échapper aux tentatives incestueuses,

Laurent Naouri (Golaud), Chiara Skerath (Mélisande), Huw Montague Rendall (Pelléas), Lucile Richardot (Geneviève), Vincent Le Texier (Arkel), Emma Fekete (Yniold)

Au milieu de cette famille coincée par sa violence rentrée et ses désirs louches, Geneviève voit tout sans doute et n’en dit mot, figure maternelle de soumission silencieuse, comme dans bien des familles, et Pelléas qui exprime dès son entrée en scène le désir de départ.

C’est dans cet univers irrespirable que Mélisande entre, et croise le regard de Pelléas.
La différence avec 2016, ce sont deux protagonistes nettement plus jeunes et moins « mûrs » que Stéphane Degout et Barbara Hannigan. Huw Montague Rendall commence à peine une carrière prometteuse et Chiara Skerath arrive dans la production remplaçant au dernier moment Julia Bullock qui était programmée et qui a dû renoncer. Cette renonciation est si récente que l’on a seulement changé son nom dans la distribution mais pas dans le corps des textes ni dans les biographies des artistes. La jeunesse des protagonistes face au même Golaud qu’il y a huit ans change aussi les rapports d’âge et des personnages.  Mélisande est l’épouse contrainte d’un homme d’âge mûr.

Laurent Naouri (Golaud), Chiara Skerath (Mélisande), Huw Montague Rendall (Pelléas), Lucile Richardot (Geneviève), Vincent Le Texier (Arkel), Emma Fekete (Yniold)

De tout cela il résulte des scènes plus tendues, plus âpres, et notamment des scènes d’intimité plus insistantes, voulues ainsi, car la relation entre Pelléas et Mélisande est une relation charnelle, voulue ainsi, et affirmée parce que consentie, quand toutes les relations aux autres hommes sont d’un ordre plus malsain. Et la metteuse en scène insiste dans le programme sur sa satisfaction d’avoir fait appel à une « coordinatrice d’intimité » pour les régler – il faut reconnaître qu’à l’opéra les scènes intimes sont assez limitées dans leurs manifestations, mais en développant largement cette thématique dans son texte, Katie Mitchell en affirme la portée politique.

Chiara Skerath (Mélisande), Thomas Dear (Le docteur)

Mais, au-delà du travail d’acteurs précis, pointilleux, des mouvements, tantôt naturels, tantôt ritualisés (comment les bonnes habillent Mélisande…), de la fluidité (voire la virtuosité) dans la manière dont Katie Mitchell gère le jeu du double de Mélisande, et plus généralement d’un travail scénique d’une qualité indiscutable, il y a une volonté démonstrative implicite et explicite à la précision presque cinématographique qui ne me paraît pas correspondre à l’univers musical. Certes la musique commence quand Mélisande commence à rêver, et cesse quand elle se réveille à la fin, mais la musique de Debussy est-elle vraiment onirique ?
Je ne nie pas des visions d’une grande justesse, comme le fait que Pelléas et Mélisande se retrouvent parce qu’ils sont les seuls à vouloir un ailleurs, à refuser le monde étouffant qui leur est imposé. Et la projection onirique de Mélisande lui annonce une existence sans joie et mortifère, elle lui induit aussi la recherche d’échappatoire, de reconquête de soi, sans considération pour le prix à payer qui sera probablement haut.
Je me suis demandé si l’histoire voulue par Katie Mitchell pouvait se dérouler sans la médiation du rêve, qui permet par exemple un Yniold féminin ou des scènes de repas d’une violence marquée et qui permet de créer une vision de Mélisande, comme il y eut en son temps Impressions de Pelléas, spectacle de Peter Brook sur une adaptation de Marius Constant, on eût pu penser ici à « impressions de Mélisande » .

Il en est ainsi de certains spectacles dont on reconnaît l’intelligence et les qualités, mais qui nous paraissent à la limite devenir prétexte à une volonté « politique » (ce que dit clairement Katie Mitchell) et finissent par laisser de côté le tissu mystérieux et vaguement féérique de la pièce de Maeterlinck. Pour ma part, j’en reste à mon émerveillement devant  le Pelléas d’Antoine Vitez, un phare – encore un, du théâtre- dirigé par Abbado vu trois fois à la Scala et une fois plus tard à Londres, poésie, intensité, larmes. Mais je suis sans doute d’un autre temps…
Enfin, une dernière remarque, plus générale. Certains ont noté qu’une reprise était rare dans un Festival…D’abord, cela dépend des Festivals : Bayreuth vit essentiellement sur les reprises, Pesaro reprend au moins une production par an, cette année deux, Salzbourg vient de reprendre la production de Don Giovanni signée Castellucci… Brandir la nouveauté et la singularité comme identité d’un Festival serait juste si les productions n’étaient jouées qu’une seule saison, mais à Aix certains spectacles sont repris ailleurs par les coproductions (Samson à l’Opéra-Comique, Madama Butterfly à Lyon et l’an dernier, Cosi fan tutte au Châtelet) et Aix dans son histoire notamment à ses débuts, s’est appuyé sur des reprises (le Don Giovanni de Cassandre par exemple) et personne ne s’en plaignait.

C’est donc un faux débat et un faux argument ; la reprise d’une production réussie peut justifier pour des raisons artistiques (nouveau cast par exemple) ou économiques (ce qui à Aix semble être nécessaire), mais aussi éthiques : la course à la nouveauté à tout prix finit par nuire à l’opéra, à la culture, à l’approfondissement et devenir une course à l’échalote, c’est-à-dire au vide quand on fait le bilan des « nouveautés » dont la mémoire se souvient… Ainsi, on attendrait avec ardeur une reprise aixoise d’Innocence qui a tant marqué les esprits plutôt qu’une énième pochette surprise.
Ainsi j’applaudis à la reprise de ce spectacle dans lequel j’ai toujours de la peine à rentrer, mais que j’ai eu malgré tout plaisir à revoir, notamment parce que le spectacle était porté par une équipe musicale et vocale différente, et donc permettait d’avoir une autre « Impression de Pelléas et Mélisande ».
Autre son et autre approche en fosse où à Esa-Pekka Salonen et au Philharmonia succédait Susanna Mälkki et l’orchestre d’Opéra de Lyon. Ainsi Pierre Audi a proposé pour cette production féministe une équipe entièrement féminine.
Au-delà du clin d’œil, Susanna Mälkki est une cheffe suffisamment aguerrie depuis des années pour ne pas être surgie là par la nécessité d’une sorte de parité qui semble tant agiter le milieu musical.  Et son triomphe dans Innocence à la tête du LSO est encore dans les mémoires aixoises. Sa connaissance approfondie du répertoire contemporain ne l’a d’ailleurs pas toujours favorisée quand elle a cherché à élargir son répertoire. Mais désormais, elle dirige un peu partout, vient de triompher à Lucerne avec la Staatskapelle Berlin dans Das Lied von er Erde, dirigera Fidelio au MET en mars prochain avec Lise Davidsen et Le Nozze di Figaro à Munich en janvier prochain. Tout cela se normalise donc, comme sa présence dans la fosse pour Pelléas.
Cette direction m’a frappé par son souci de faire émerger le texte, d’accompagner la prosodie, et sans nul doute sa parfaite connaissance du français est un atout indéniable. Ainsi, des détails de la partition apparaissent, au détour d’un mot ou d’une expression dans un souci permanent d’analyse précise, d’une très grande clarté, laissant apparaître tous les détails et toute l’épaisseur de l’instrumentation, avec un soin appuyé pour en faire émerger les couleurs mais sans jamais rien effacer des aspects impressionnistes de la partition,  préservant ainsi ce qui fait sa singularité, et sans jamais que cela apparaisse plat- comme c’est souvent le risque, avec une réelle fluidité des enchainements en ayant aussi le souci de préserver l’ambiance générale de la mise en scène.  Il y a là un vrai travail sur le dosage des nuances et des équilibres sonores et même la coquetterie de faire ressortir les imprégnations wagnériennes, ici Parsifal, là Walkyrie ou Siegfried. Enfin, Susanna Mälkki n’étouffe jamais le drame scénique, dans le souci permanent de préserver une atmosphère, tout en affirmant la partition dans sa plénitude. Et sa réussite est plutôt flatteuse, avec un orchestre de l’Opéra de Lyon précis, sans bavures, parfaitement en place également sollicité dans le Festival par la production de Madama Butterfly. À cette direction musicale parfaitement maîtrisée correspond une distribution vocale complètement modifiée ou presque, sans conteste de haut niveau.
Thomas Dear était déjà dans la production 2016 le médecin et le berger, qui marque par son timbre clair et séduisant.
Yniold prend une importance nouvelle, interprété par Emma Fekete, jeune fille soumise elle aussi aux regards des hommes et qui ne sait où éviter la lubricité mâle ambiante. La voix est claire, parfaitement projetée, et rend le personnage moins mièvre que dans d’autres productions, plus présent, presque plus urgent par son énergie et sa force. C’est un Yniold qui existe, et c’est rare.
De même Lucile Richardot impose en Geneviève un vrai personnage, dans la parole (la lettre) avec sa voix profonde et affirmée, mais aussi dans le silence et les attitudes, car elle est souvent présence silencieuse. Elle campe un personnage d’une grande humanité, le seul peut-être de tout le plateau, observateur douloureux du naufrage.

Vincent Le Texier (Arkel), Lucile Richardot (Geneviève) Chiara Skerath (Mélisande)

L’Arkel de Vincent le Texier a sans doute la voix plus instable que Franz Josef Selig, formidable Arkel en 2016, mais ce caractère sert le personnage ambigu et vaguement lubrique et en même temps émouvant, laissant paraître une sorte de frustration et donnant encore plus l’impression de malaise, à la fois usé et dépassé, avec ses éveils de désir mal maîtrisé et ses vraies émotions : il y fait apparaître une complexité qu’on ne perçoit pas toujours chez Arkel.

Chiara Skerath (Mélisande), Laurent Naouri (Golaud)

On connaît le Golaud complètement maîtrisé de Laurent Naouri, un Golaud qui ne sait exprimer ce qu’il ressent ici que par les gestes gauches, brutaux ou violents, à la souffrance rentrée, bouillonnant intérieurement et apparemment sans empathie aucune. Pourtant, épouser Mélisande plutôt que la Princesse Ursule, est une décision loin d’être froide, mais au contraire impulsive. Le Golaud de Naouri est fait de ces contradictions, et donc dangereux, tel qu’il apparaît dès le départ à la chasse…
Inutile de revenir sur un chant impeccable, par son autorité, par sa parfaite maîtrise stylistique, par la clarté de l’émission, mais aussi par la moindre inflexion dans les accents ou les couleurs, un chef d’œuvre de ciselure : le chant français dans sa perfection, tel qu’en lui-même l’éternité le change, avec cette touche supplémentaire de la maturité qui rend le personnage encore plus désespéré..

Laurent Naouri (Golaud), Chiara Skerath (Mélisande), Huw Montague Rendall (Pelléas)

Chiara Skerath réussit à remplir immédiatement le rôle de Mélisande de sa personnalité. Elle fait oublier Hannigan (et son souvenir pourtant brûlant) parce qu’elle n’est pas du tout sur ces traces-là. Elle est plus jeune, plus décidée, plus « nature ». Elle n’est ni moins engagée, ni moins actrice, mais elle s’impose par son côté direct, presque plus brut, et par sa voix claire, forte, affirmée, à l’émission soignée et à la diction impeccable, avec un soin permanent des couleurs, et des accents à la fois passionnés et déchirants. Ni rêveuse, ni évanescente, elle est une Mélisande qui s’impose, qui décide, et qui tranche avec les Mélisande qu’on a pu voir sur d’autres scènes ; Belle incarnation, très neuve.
Autre découverte, Huw Montague Rendall, que nous avions entendu à Munich dans il Conte de Nozze di Figaro où il n’était sans doute pas à l’aise avec la mise en scène ni avec le personnage et qui n’avait pas réussi à s’imposer.
Ici, pas de doute, il s’impose comme un des plus beaux Pelléas possibles aujourd’hui. D’abord par le français impeccable, didascalique, cherchant à rendre la moindre inflexion, la moindre modulation, le moindre accent, et avec une clarté de la diction qui est un modèle. Mais surtout c’est une incarnation d’un personnage présent-absent, pas off-limits, mais à la limite. Il a une présence-évanescence qui serait presque « mélisandienne » comme si les données traditionnelles du couple s’étaient inversées. On le sent mal à l’aise, engoncé, et d’une raideur qu’il n’abandonne qu’avec Mélisande, Il a un côté « enfant » comme le désigne Golaud, un côté que la Mélisande de Chiara Skerath n’a pas.  C’est une incarnation étonnante, et qui est destinée à imposer ce jeune chanteur dans le rôle pour longtemps. Habemus Pelleam.

Finalement, la joie de la soirée est venue de la musique, ce fut pour moi une soirée verlainienne, de la musique avant toute chose, et ce fut heureux…

Avatar photo
Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.

Autres articles

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire !
S'il vous plaît entrez votre nom ici