Révélation « artiste lyrique » des 22e Victoires de la Musique Classique en 2015, Cyrille Dubois enchaîne les succès. Entretien avec un ténor heureux, qui garde les pieds sur terre.
Vous venez d’incarner Ferrando dans Cosi fan tutte de Mozart et Lucien de Rubempré dans Trompe-la-mort de Luca Francesconi, tous deux au Palais Garnier. Est-ce un nouveau cap dans votre parcours ?
J‘attendais beaucoup de ces deux spectacles, j’espérais qu’ils permettraient à ma carrière un nouveau rebond. Obtenir de grands rôles à l’Opéra de Paris, alors que la direction affiche une volonté revendiquée de donner leur chance à de jeunes chanteurs, est un privilège. Cela dit, il faut raison garder ; je suis mon chemin gentiment, je ne m’interdis rien mais je reste extrêmement prudent.
Venez-vous d’une famille de musiciens ?
Pas du tout, de mélomanes seulement, mais j’ai baigné depuis mon enfance dans une atmosphère musicale. Enfant, je chantais beaucoup et juste ; j’ai été accepté dans la Maîtrise de Caen et le chant a fait partie de ma vie. Je n’imaginais pas en faire mon métier puisque j’ai effectué des études scientifiques et que je suis ingénieur agronome. Pour financer mes études, j’ai fait partie pendant trois saisons des chœurs de l’Opéra de Rennes. J’ai fini par tenter les concours d’entrée au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris, et j’ai été admis. L’étape suivante a été l’Atelier Lyrique de l’Opéra.
Entre La Scala de Milan et le Festival de Glyndebourne, votre carrière internationale a pris elle aussi son essor. De quelles scènes prestigieuses rêvez-vous ?
J’ai chanté Nathanaël dans Les Contes d’Hoffmann d’Offenbach à La Scala il y a cinq ans ; j’ai été l’un des premiers de ma génération à me produire dans ce théâtre. Gonzalve dans L’Heure espagnole de Maurice Ravel, à Glyndebourne, c’était en 2015. J’aimerais, et ce n’est pas impossible, être engagé à Covent Garden, ne serait-ce qu’à cause de mon amour de la culture anglaise qui vient de mon passage, étant enfant, à la Maîtrise de Caen, où mon maître était anglais. Et je rêve du Metropolitan de New York et de l’Opéra de Sydney !
Ne craignez-vous pas d’aller trop vite ?
Non, je pense que les événements se succèdent à un rythme raisonnable. J’ai parfois l’impression de ronger mon frein mais j’ai le sens des réalités et on me propose rien qui aille au-delà de mes possibilités. Mon professeur au CNSM, Alain Buet, m’avait dit : « Il te faut trouver une façon de chanter qui te permette de te produire jusqu’à 50 ou 60 ans. », c’est à dire une fois passée l’énergie de la jeunesse. J’en suis encore à un stade où je dois montrer toutes les cordes que j’ai à mon arc mais sans cesser de me remettre en question. Je n’aimerais pas être rangé dans une catégorie ; je souhaite me positionner comme force de proposition dans un type de répertoire tout en restant polyvalent. J’ai commencé par le baroque à la Maîtrise de Caen et je ne suis pas indifférent à la musique contemporaine, loin de là.
Vous venez de le prouver dans Trompe-la-mort !
C’est toujours intéressant de mettre sa patte sur quelque chose de neuf. Si l’on pense aux grands interprètes du XIXe siècle, ils le faisaient couramment et sont passés à la postérité. J’ai participé à la création de La Dispute de Benoît Mernier à La Monnaie de Bruxelles en 2013. Dans Trompe-la-Mort, j’ai eu le plaisir de travailler avec une équipe formidable, une cheffe d’orchestre aussi bienveillante que Susanna Mälkki et un metteur en scène comme Guy Cassiers qui laissait à la musique l’espace nécessaire. La rencontre entre Francesconi et Balzac, la problématique posée par le romancier, sa critique du monde de la finance, sa vision de la société, dont les résonances sont si actuelles, sont passionnantes et m’ont permis d’avoir mon propre regard, alors que dans le grand répertoire il est difficile de ne pas penser à ce qui a été fait avant.
Vous avez chanté dans La Caravane du Caire de Grétry, Le Roi Arthus de Chausson, Le Saphir et Le Désert de Félicien David. Que vous apportent ces œuvres rares ?
Elles satisfont ma curiosité et comblent ce besoin d’éclectisme et d’ouverture qui date de ma formation maîtrisienne. Pensez au nombre incroyable de rôles que Placido Domingo a si bien défendus ! Je suis fasciné par les collègues qui possèdent cette érudition et ces connaissances. Je n’ai aucune envie, toutefois, de tomber dans une boulimie de découvertes.
Mozart est toujours très présent dans votre répertoire.
Je n’y suis pas pour grand-chose mais j’en suis heureux car il est pour moi l’Alpha et l’Oméga de la musique. Plus on creuse son œuvre, plus on y trouve une forme de simplicité difficile à restituer. Là encore ma formation a eu son importance puisqu’à la Maitrise nous avions interprété des pages sacrées comme les Vêpres solennelles d’un confesseur. Tout ce que j’ai abordé jeune a laissé une trace dans ce que je suis aujourd’hui. J’ai chanté Belfiore dans La finta Giardiniera lorsque j’étais à l’Atelier Lyrique de l’Opéra de Paris, Marzio dans Mitridate, rè di Ponto en 2016, Belmonte de L’Enlèvement au sérail à Lyon la même année, Ferrando, et Tamino de La Flûte enchantée se profile à l’horizon. Mozart est un compositeur qui fait du bien, et pas seulement à la voix.
Est-ce une bonne préparation pour aborder le bel canto ?
Oui. Au début, j’avais très peur des ouvrages belcantistes mais l’évolution de ma technique vocale m’a permis de trouver des solutions pour résoudre certains problèmes, ceux posés par l’aigu entre autres. Almaviva du Barbier de Séville, que j’ai dû apprendre rapidement pour remplacer un collègue, et Narciso du Turc en Italie m’ont aidé à progresser.
Qu’en est-il de l’opéra comique français ?
Il m’est cher et je me dois de le défendre. Je suis heureux qu’il soit de plus en plus valorisé, entre autres par les efforts du Palazzetto Bru Zane de Venise. Je vais d’ailleurs participer à une table ronde sur le chant français que cette institution organise en juin prochain dans le cadre de son festival parisien annuel.
Un autre domaine qui vous tient à cœur est celui de la mélodie.
Je l’ai découvert assez tard, au Conservatoire, avec les pianistes Anne Le Bozec et Jeff Cohen. Son raffinement esthétique nécessite une haute exigence artistique. Dans un récital, les interprètes sont responsables des choix musicaux, du premier au dernier. Pas de chef d’orchestre ou de metteur en scène pour imposer une vision. Je fais équipe le plus souvent avec Tristan Raës, nous formons le duo Contraste. La musique de chambre oblige à une relation artistique construite sur la durée et un travail d’égal à égal. Notre but, c’est de prendre l’auditeur par la main et de l’emmener dans notre univers.
Quelles seront vos prochaines prises de rôles ?
Le 12 juin prochain j’aborderai Nadir des Pêcheurs de perles de Bizet en concert au Théâtre des Champs-Elysées aux côtés de Julie Fuchs, Florian Sempey et Luc Bertin-Hugault; je sais que c’est une soirée très attendue et la pression est là. La saison prochaine, ce sera le tour de Ramiro dans La Cenerentola en concert aux Champs-Elysées et à la scène à l’Opéra de Lyon. Et il est question, plus tard, du Domino noir d’Auber.
Comment imaginez-vous l’évolution de votre voix ?
Si je pouvais savoir… Je m’efforcerai de garder la simplicité de mon chant, je veux qu’il continue à plaire à mes oreilles, qu’il reste sain. J’ai des contrats jusqu’en 2020, je ne dois donc rien tenter d’imprudent et rester sage.
Félicitations pour ce beau parcours et toujours heureux de vous applaudir à Rouen comme au TCE