En 2026, Katharina Wagner a annoncé que le Festival de Bayreuth pour marquer ses 150 ans, non seulement présentera les dix opéras « officiels » de Wagner qui font le Festival depuis l’entrée du dernier opéra au répertoire, Der Fliegende Holländer, en 1901, mais aussi Rienzi créé en 1842 et jusqu’ici absent de la liste des opéras présentables sur la Colline, même si en 2013, à l’occasion du Bicentenaire de Wagner, le titre arriva à Bayreuth mais hors Festival, dans une salle de sport réaménagée et donc des conditions disons, éloignées de l’idéal, malgré la présence de Christian Thielemann au pupitre.
Nous traiterons prochainement de la situation de Bayreuth et de la question Rienzi qui semble en agiter certains qui y voient une trahison et le début de la fin de Bayreuth, une fin qui s’éternise, vu le nombre de prophètes qui prédisent un Bayreutherdämmerung depuis des lustres.
Ce qui nous intéresse ici, c’est le sujet et la manière dont il peut interpeller notre époque. Wagner avait choisi un thème qui touchait aux revendications de la liberté des peuples, à l’instar de La Muette de Portici d’Auber et de Guillaume Tell de Rossini, œuvres qu’il connaissait bien, et de fait Cola di Rienzo, le personnage historique qui inspire l’opéra a été considéré comme un des ancêtres du Risorgimento italien au point qu’une des artères les plus symboliques de la nouvelle Rome-capitale porte son nom la Via Cola di Rienzo.
Par ailleurs, comme par hasard, Rienzi était un opéra aimé d’Hitler, qui en possédait le manuscrit original, et on comparait volontiers les deux parcours : retour au peuple, chasse aux prédateurs du pouvoir, retour aux valeurs éternelles, cela plaisait. De l’autre côté des Alpes, un Mussolini avec son retour à l’imagerie de la Rome antique, n’était pas loin non plus de ce Cola di Rienzo qui, profitant de la présence des papes à Avignon, avait chassé les grandes familles aristocratiques qui se partageaient le pouvoir à Rome, les Orsini et les Colonna, avait « rendu le pouvoir au peuple », en se faisant nommer « Tribun de la plèbe », tout en lançant un programme de préservation de l’héritage antique de Rome. Mais la roche tarpéienne étant près du Capitole, Cola di Rienzo fut victime des manœuvres politiques de l’Église et des grandes familles et finit lynché par la foule et décapité.
La mise en scène de Philipp Stölzl à la Deutsche Oper de Berlin en 2010 avait bien souligné ce parcours commencé à la gloire du peuple et fini en dictateur, en le rapprochant de qui vous devinez et jouant notamment sur Le Dictateur de Chaplin.
Un tel destin aujourd’hui parle inévitablement : le retour de l’usage du mot « peuple », « retour au peuple » par l’extrême droite, la valorisation de certains leaders putatifs jeunes (Notre Cola di Rienzo commença sa carrière autour de la trentaine), par ailleurs les images de leaders « populistes » qui essaiment en Europe (Meloni ou Orban) et ailleurs (Narendra Modi en Inde, Bolsonaro au Brésil, Trump aux USA et d’autres) montrent que la situation de crise et l’incertitude sur l’avenir du monde favorisent la croyance qu’un homme (ou une femme) aux idées simples et bien couillues résoudra tous les problèmes. Le monde est plein de petits Rienzi.
Alors, oui à Rienzi, parce que cette histoire de grandeur et chute d’un leader, grandeur par le peuple et chute par les adversaires du peuple, les méchantes forces négatives : les aristos, les (ultra)riches, les gauchistes, les cathos, les juifs, les islamistes les… les… les… inévitablement nous parle en ces temps de complotisme, de flottements politiques et de menaces diverses.
Alors, oui à Rienzi parce que l’opéra est un art d’aujourd’hui, qui lit notre monde ses grandeurs et ses failles, qui est donc capable de nous le faire mieux comprendre et ainsi de mieux nous armer ou nous prémunir.
Alors oui à Rienzi parce que Rienzi est culture et que le personnel politique (pas seulement français) dans son ensemble considère la culture au pire comme un danger et au mieux comme une variable d’ajustement qui ne manquera pas d’être victime des futurs assèchements budgétaires alors qu’elle est déjà victime depuis des années d’un assèchement des idées.