Qui mieux que Felicity Lott, la légendaire soprano britannique, française de cœur et d’esprit, pouvait inaugurer ces « Lundis Musicaux » de l’Athénée, censés redonner vie au fameux cycle créé par Pierre Bergé en 1977 ? Personne ! Toujours en activité, l’inoubliable interprète de Strauss, Mozart, Britten et Offenbach n’a rien perdu de son art et de ce charme qui n’appartiennent qu’à elle. Si cette dernière a abandonné la scène voici quelques années, elle n’a pas pour autant renoncé au récital, une forme musicale où elle a toujours excellé et qui lui permet, à un âge où tant d’autres se sont tues, de partager avec le public un dialogue qui semble ne jamais pouvoir s’interrompre. Rien de guindé ou de fabriqué chez cette merveilleuse passeuse qui n’hésite pas à prendre la parole et à raconter avec modestie, sincérité et naturel pourquoi elle a choisi les airs qui constituent ce délicieux programme-patchwork. De ses premiers pas sur scène à quinze ans elle se souvient de l’opérette de Gilbert and Sullivan The Mikado et de l’air ravissant de Yum-Yum « The sun whose rays are all ablaze » ; déterminante la découverte de la mélodie française qui ne va pas la quitter dès son premier séjour français près de Grenoble, comme la voix de Crespin entendue sur disque dans la cultissime Shéhérazade de Ravel dont elle rend ici un vibrant hommage, avec une délicate « Flûte enchantée », admirablement phrasée et dosée. Quel plaisir de retrouver quasi intacte la voix si caractéristique de la chanteuse ; fine, ciselée, gracieuse, elle dispense une fois chauffée, les même harmoniques ondoyantes et ses piani si reconnaissables. La chanson de Vilja, en français, n’a plus la souplesse d’autrefois, mais la ligne de chant est toujours hautement maitrisée.
Drôle et émouvante entre chaque air qu’elle tente de relier par un souvenir ou une anecdote savoureuse, tant ils peuvent sembler disparates, la conteuse se risque après deux douces mélodies de Reynaldo Hahn (« Rêverie et « Si mes vers avaient des ailes »), admirables de sensibilité et de souffle, à faire revivre l’espace d’un instant les souvenirs straussiens avec le 3ème des Vier letzte Lieder « Beim schlafengehen », dont elle fut une interprète de choix : quelle émotion de réentendre ce timbre se poser à nouveau sur cette musique et se laisser porter par ce flot que l’on aimerait interminable…En fermant les yeux on pouvait toucher à l’éternité, comme si le temps était suspendu. Britten et Poulenc suivaient, ouvrant le bal à la chanson, une discipline que cette grande dame du chant classique a refusé de s’interdire, avec, nous le rappelait-elle, une première tentative parcimonieuse autour de la figure d’Yvonne Printemps ici même à l’Athénée où elle vint à trois reprises (en 1982, 1984 et 1987), départ d’une fréquentation assidue du genre. Avec « Ca fait pas mal aux oiseaux » de Paul Bernard (Bredouille) chanté avec un aplomb désarmant et une élégance folle, Lott peut comme par le passé révéler un pan de sa personnalité et s’encanailler dans un répertoire où d’autres, moins curieuses, ne se sont pas risquées. La Belle Hélène et La Périchole et Belle Lurette ont gardé leur inénarrable drôlerie et l’on en aurait presque redemandé si cette infatigable hôtesse ne s’était décidée à chanter le célèbre « Bewitched » (Ensorcelé, envoûté ! comme nous) de Richard Rogers, sommet de mélancolie contrôlée. Avec « A bar on the piccola marina » de Noel Coward, Flott sait qu’elle va porter l’estocade et mettre à ses pieds un public absolument conquis par cette magicienne. Encore une valse, celle des « Chemins de l’amour » évoquant cette Leocadia de Jean Anouilh, confiée en son temps à Yvonne Printemps (encore elle !) prise à un tempo rapide mais conclue comme autrefois par un long aigu piano, puis c’était au tour du très coquin « Yes » de Maurice Yvain, exécuté avec cette force comique et cette persuasion inaltérées.
Chaleureusement acclamée, la cantatrice en compagnie du jeune pianiste Sebastian Wybrew, précieux accompagnateur, revenait avec deux de ses bis préférés : « J’ai deux amants » extrait de L’amour masqué de Messager et « Adieu, les amis, adieu bonsoir » issu du Belle Lurette d’Offenbach, tout simplement parfaits, comme l’ensemble de ce récital.
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