Gregory Porter, chant
Jahmal Nichols, basse
Emanuel Harrold, batterie
Ondrej Pivec, orgue
Chip Crawford, piano
Tivon Pennicott, saxophone

1er juillet 2019 à la Basilique de Saint-Denis

Le festival de Saint-Denis a 50 ans et c’est lui qui nous gâte. Une belle programmation et côté jazz un choix judicieux : Gregory Porter, un chanteur américain dont les aficionados sont désormais nombreux en Europe. Il plait parce qu’à l’écoute s’il s’avère d’un abord aisé, il se révèle toujours d’une belle subtilité et d’une richesse toujours renouvelée. Une soirée avec Porter est rarement décevante, celle-ci n’a pas dérogé à la règle…

Un concert à Saint-Denis quel que soit le genre musical c’est d’abord et bien avant d’entrer dans la Basilique, cette odeur âcre du parking sous-terrain et ces pauvres hères, manifestement assommés d’alcool, qui s’invectivent les uns les autres au pied de l’escalier mécanique, synonyme de retour à la surface et d’air respirable, encore que, en ce début juillet 2019 l’air reste plutôt suffocant. Le retour à la surface laisse découvrir la Basilique, majestueuse nécropole des Rois, détachant sur un ciel à l’azur de saison, sa silhouette de calcaire lutétien. Il suffit de quelques mètres pour oublier un univers sans horizon et pénétrer dans ce lieu unique qui nous convie ce soir à un voyage musical aux horizons multiples.

Gregory Porter

Évacuons tout de suite la sempiternelle question du couvre-chef de Gregory Porter, oui ce garçon porte un chapeau ridicule (une casquette Kangol Summer Spitfire), oui manifestement cela le gène dans la chaleur étouffante qui règne depuis quelques jours sur Paris et oui c’est trop souvent par la médiation de celui-ci qu’on parle de ce chanteur californien qui écume les salles de concert et les festivals européens depuis quelques années comme s’il cherchait désespérément à rattraper un temps qu’il a peut-être perdu…

Ce jeune californien du Sud né au début des « seventies », issu d’une fratrie de neuf enfants délaissés par un père mais chéris par une mère pasteure à la ville et soucieuse de donner à ses enfants une éducation de qualité ne négligeant ni la musique ni le chant, ce jeune californien donc, qui avait gagné le droit de faire des études universitaires à San Diego par ses qualités de footballeur et qui, blessé à l’épaule avait perdu tout espoir d’y lancer sa carrière de professionnel, s’est, sur les conseils de sa mère trop tôt disparue, exilé à Brooklyn pour y travailler comme cuisinier et chanter, le soir venu, dans les clubs de jazz nombreux, à un âge où les jeunes noirs de la grosse pomme, n’avaient d’yeux que pour le rap et la culture Hip-Hop.

Gregory Porter est donc désormais un chanteur de jazz, mais il peut tout chanter : c’est une voix. Il est aussi un corps, un corps massif, vêtu non sans une certaine élégance un peu surannée, qui monte sur la scène sans souplesse, qui se meut avec emprunt presque empêché par quelques raideurs de ses jambes un peu grêles qui peinent à supporter ce coffre massif. Ce n’est pas un showman qui va occuper l’espace et quand bien même son imposante silhouette s’impose sur la scène, il n’est pas très à l’aise avec sa grande carcasse, tout au long du set il n’aura de cesse d’essayer de mettre ses mains quelque part, oui mais où ?

Sa présence c’est sa voix. Une voix chaude, profonde, longue et puissante qu’il tord parfois pour aller chercher des sons étonnants au service d’une interprétation admirable de ses compositions ou de ses reprises. On notera le très intéressant « Mona Lisa » de son maître à chanter Nat « King » Cole dont la bouche aussi large qu’ouverte, presque démesurée, donnait à entendre une voix douce et cristalline contrastant avec un Porter à la bouche de taille plus modeste, contrainte par son passe-montagne et qu’il ouvre peu, se concentrant sur une interprétation originale, profonde, puissante et toute en émotion, éloignée de celle du crooner de l’Alabama mais pas moins agréable à l’oreille, loin s’en faut. L’éclectisme du programme permet à chacun d’y trouver son bonheur, entre ballades intimistes, soul inspirée et morceaux plus funky dont son désormais très célèbre « When Love Was King » ou encore « 1960 What ? », Porter accumule, les genres, les références, il veut être aimé par le plus grand nombre, c’est une évidence, il y réussit au risque parfois d’une forme de superficialité dont on se demande si elle est voulue ou fortuite, si elle reflète une volonté d’épater la galerie ou juste le plaisir d’explorer une palette qui semble porter en elle encore d’infinies possibilités.

Mis en valeur par ses musiciens, Gregory Porter ne cesse de leur rendre la pareille, les solos se succèdent, parfois dans une forme de discontinuité un peu artificielle confinant à la démonstration, on perçoit là un besoin de dire une virtuosité. Encore une fois essaye-t-on de rattraper un temps perdu en d’autres temps ? Ou peut-être de prendre au plus vite ce qui peut être pris ? De quelles fragilités cette accumulation et cette urgence sont-elles le signe ? Réminiscence d’une carrière sportive rêvée qui ne s’est jamais concrétisée ?

Gregory Porter n’en est pas moins un érudit, il multiplie, et ses musiciens avec lui, les références à ses aînés, à l’Histoire du jazz noir américain, mais aussi à la Motown, au Rythm’n Blues, aux chants religieux de l’office du dimanche, et même aux dissonances savoureuses du Monk, au travers quelques notes furtives que la maestria de son pianiste, Chip Crawford, nous donne à entendre. Tivon Penicott au saxophone fait le job, il est là au bon moment, il sonne juste malgré une amplification parfois approximative (les haut-parleurs à gauche de la scène grésillaient de façon un peu nasillarde à intervalles répétés), le très inventif batteur Emmanuel Harrold m’a ravi, mais c’est le bassiste, Jahmal Nichols et son solo sorti de nulle part qui, de mon point de vue emporte le morceau. Il est vrai que ce solo, isolé au centre de la prestation de ce soir, déconnecté de celle-ci, presque anachronique, fût un morceau de bravoure et un régal pour nos oreilles. Il a su nous rappeler la dimension métallique de cet instrument, en « martyrisant » ses cordes il nous a offert des sons peu conventionnels certes et qui ont pu choquer les amateurs de mélodies suaves et bien léchées, mais bon sang que cette « sauvagerie-là » est bonne à entendre.

Mon grand regret vient de l’organiste, Ondrej Pivec dont j’attendais beaucoup ce soir, dans l’acoustique imposante mais difficile, de ce lieu conçu pour donner de l’ampleur à cet instrument. Il nous a fallu attendre le deuxième rappel pour mesurer la réelle technicité de ce garçon et la gourmandise de son jeu, j’en aurais aimé plus…

Le public, dont je suis, a de toute évidence été conquis par Gregory Porter, on le serait à moins. A‑t‑il été ému par le souvenir de l’intensité et de l’émotion de « Take Me To The Alley »  lorsque regagnant le parking souterrain il a croisé les « laissés-pour-compte » de ce début de XXIe siècle, allongés sur des cartons, assoupis dans les odeurs fétides ? A‑t‑il compris la portée de cette chanson qui invite à s’intéresser aux plus démunis, qui suggère que celles ou ceux qui ont des vies qui brillent regardent celles ou ceux dont les vies sont condamnées à l’obscurité ? Si la vocation d’un festival est de donner à entendre, elle peut aussi être de donner à comprendre et à inciter à l’action, la musique est une interface émotionnelle qui peut permettre de faire se rencontrer les mains, celles qui donnent comme celles qui reçoivent.

 

Patrick Roult
Grand-père d'Elsa et de Hugo

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