Le voyage pour suivre les concerts de l’Israel Philharmonic Orchestra commence sous de bons auspices : A l’angle de l’auditorium Charles Bronfman de Tel Aviv, le long de Huberman Street, un nom de rue nous interpelle. Le nom de Toscanini d’une rue latérale nous renvoie aux racines de cet orchestre et à l’un des plus grands moments de la vie du chef italien.
En 1936, après que de nombreux musiciens juifs des orchestres européens eurent été contraints de partir, le violoniste polonais Bronislaw Huberman décida de fonder un orchestre résident en Palestine. Ainsi naquit le Palestine Philharmonic Orchestra, sauvant ainsi un millier de juifs des tragédies de la seconde guerre mondiale et de l’holocauste..
À Tel Aviv, le soir du concert inaugural du 26 décembre 1936, la présence d’Arturo Toscanini sur le podium constitua une caisse de résonance exceptionnelle pour la nouvelle formation, et le nième pas vers son départ définitif aux Etats Unis.
En 1948, l’orchestre prit le nom d’Israel Philharmonic Orchestra suite à la création de l’état d’Israël.
Aujourd’hui c’est Zubin Mehta qui en est le chef principal et Gianandrea Noseda le premier chef invité. Le prochain chef principal désigné est l’israélien Lahav Shani, 29 ans, qui entrera en fonction en 2020.
Place Habima, au cœur culturel de la capitale, se trouve le siège de l’auditorium Charles Bronfman, construit à la fin des années cinquante pour devenir la résidence de l’Orchestre national. La salle, d’une capacité de plus de 2400 places, est élégante et fonctionnelle, recouverte de bois avec un plafond argent illuminé qui éclaire l’intérieur.
Le rendu acoustique de la salle est correct, avec un spectre sonore clair et détaillé, même si notamment dans les graves elle manque un peu de résonance. Il en résulte un son qui manque de corps et qui nuit dans certains passages, surtout aux cordes (en particulier les pizzicati du quatrième mouvement de la symphonie de Brahms).
Dans les très vastes espaces publics qui entourent la salle, pas de sièges, pas même de garderobe, qui aurait bien servi le soir du concert à cause d’un orage l’après-midi qui s’est répété à la fin du concert et a obligé le public à se couvrir évidemment plus que d’habitude.
-
Suivant un plan de travail qui impressionne, Kirill Petrenko au terme de représentations triomphales du Ring des Nibelungen à Munich, dont nous avons rendu compte, s’est envolé pour Israel pour un cycle de concerts qui dans leur première partie reprennent le programme qu’il exécutera à la Philharmonie de Berlin en avril, puis aux Festivals de Salzbourg et Lucerne à la fin du mois d’août. En tout cinq soirées à Tel Avis, deux à Haïfa et une à Jérusalem entre le 17 et le 25 février, où dans la première partie sont au programme le ballet La Peri de Paul Dukas et le troisième concerto pour piano de Prokofievavec en soliste Yuja Wang. Après l’entracte, la première symphonie de Brahms dans le premier cycle des concerts, Petrouchka d’Igor Stravinski pour les quatre autres.
Le troisième concerto pour piano et orchestre de Sergueï Prokofiev a été créé à Chicago en 1921, et c’est le plus connu et joué des cinq concerts du compositeur, notamment à cause d’un retour au classicisme qui le rend familier au public dès la première audition.
L’attaque de Petrenko est serré et fait un clin d’oeil à l’atmosphère de la Lady Macbeth de Mzensk de Chostakovitch : aux bois répond une ligne de cordes scintillante et le piano attaque frénétiquement. Les moments de virtuosité de Yuja Wang sont si nombreux dans une prestation qui cependant résulte souvent générique et manque d’une véritable sens du phrasé.
Les applaudissements du public sont spontanés à la suite du crescendo de piano et orchestre à la fin du premier mouvement, avec une Wang qui marque par la précision de la main droite, moins par la netteté des sons à la main gauche, globalement forts mais jamais sculptés.
Si le deuxième mouvement est ciselé par Petrenko et Wang avec une précision millimétrée qui n’évite pas une sensation de froideur dans l’ensemble, c’est dans le troisième plutôt que s’affiche une véritable réussite qui rend parfaitement compte de l’écriture et de l’esprit de la page.
À la fin de la première partie, succès personnel pour Yuja Wang qui concède deux bis.
Après la pause, Kirill Petrenko nous guide dans la Première symphonie de Johannes Brahms avec une direction serrée caractérisée de sons liés et incisifs aux cordes, ouvrant le premier mouvement avec un poco sostenuto magistral par la tension et le mystère. Leur répondent hautbois et flûte avec une entrée un peu rigide et sans beaucoup de nuances, en dépit de l’indication espressivo (espr. à la mesure 29).
L’introduction terminé, le premier mouvement se poursuit avec l’allegro au pas de charge et tendu, au parfum beethovénien. C’est une accumulation de tension qui se dénoue seulement au Meno allegro qui arrive à rendre l’atmosphère plus sereine. La direction de Petrenko ne laisse pas d’espace à la grandiloquence ou au sentimentalisme si chers à la tradition romantique, et se place toute à l’opposé.
Dans le second mouvement le dessein reflète l’orientation générale et dans ce cas aussi le hautbois échappe à tout sentimentalisme facile, même en présence de l’indication espressivo à la mesure 17.
Ce sont les cordes qui attaquent l’Andante à la grâce et à la sérénité toutes mozartiennes à partir de la mesure 27, et le dialogue hautbois-clarinette à la mesure 41 et suivantes résulte remarquable, sans verser dans le rallentando. Un tantinet terne, sans doute à cause de l’acoustique un peu sèche que nous avons évoquée, le solo final du premier violon et les interventions des cordes.
Entre des interventions des clarinettes, bassons et cors, le troisième mouvement Un poco allegretto e grazioso nous entraîne dans une atmosphère de la Vienne de Schubert, un rapide songe aux dimensions réduites, jusqu’au réveil du quatrième mouvement, qui cohérent avec l’empreinte générale de l’approche court rapidement mais pas distraitement vers l’énergique péroraison du final.
Une symphonie, renforcée par la lecture analytique de l’instrumental par Petrenko, dans laquelle Brahms commence à chercher le chemin de ce symphonisme de chambre qui distinguera sa grande production orchestrale.
On a gardé pour la bonne bouche les remarques sur la pièce La Peri de Paul Dukas, par laquelle s’ouvrait la soirée, moins connue que son plus célèbre poème symphonique L’Apprenti sorcier.
Le ballet La Peri, ou la fleur d’immortalité, dernière œuvre publiée par Dukas, semblerait être l’ouverture d’une soirée destinée à faire attendre les pièces plus fortes.
Et pourtant, selon l’avis de qui écrit, c’est le moment le plus intéressant par le résultat d’ensemble, avec un début subtil et mystérieux aux cordes, très doux au début pour laisser place ensuite à un véritable kaléidoscope de couleurs et de sons aériens.
Passion et danse s’entremêlent dans un tissu impressionniste qui renvoie directement à la musique de Debussy.
Tenant l’ensemble de manière très sûre, Petrenko maintient un équilibre idéal entre cordes, cuivres et bois et prépare le terrain à un final miraculeux, quand la musique se fond progressivement dans une atmosphère calme et sereine, presque une transfiguration au sens du final de Tristan und Isolde.
La prestation de l’Israel Philharmonic orchestra a été bonne, même si qualitativement inférieure au regard de ce que furent les meilleures saisons d’il y a quelques décennies. Le son est correct et sans scories, même si un peu raide et sans particulières nuances de timbres.
La soirée suivante, le concert a été donné dans la salle Ussishkin de l’International Convention Center de Jerusalem, deuxième étape avant Haïfa et le retour à Tel Aviv. Bonne acoustique, mais plus ouatée que celle de l’auditorium Bronfman.
Dans les deux cas, les concerts ont été accueillis avec de vibrants applaudissements d’un public à l’adhésion inconditionnelle et résultant, aux dires des auditeurs locaux, l’un des meilleurs ici depuis de nombreuses années.