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Dans le cadre d’un Festival appelé Lux aeterna, « Fête musicale pour l’âme » dédié à la musique spirituelle et religieuse par des manifestations aussi bien en salle de concert que dans les églises, et en liaison avec un partenariat « Musique et Science » avec le Max Planck Institut (comment la science s’empare de la manifestation des émotions et répond aux questions philosophiques comme savoir et croire, par exemple), ce concert, le deuxième programme du Philharmonisches Staatsorchester Hamburg dans sa nouvelle salle depuis Arche le 13 janvier (voir notre article) affichait deux parties distinctes et en même temps chacune d’inspiration spirituelle ou religieuse, une première partie à l’orgue seul, table de jeux mobile au centre du podium, Bach le protestant et Messiaen le catholique, par l’organiste Christian Schmitt, et en deuxième partie la Symphonie n° 8 d’Anton Bruckner, morceau de choix de ce concert de matinée dominicale.
Les deux pièces initiales à l’orgue étaient d’une part la Fantaisie et Fugue en sol mineur BWW 542 de Bach et Offrande et Alleluia final, 18ème et dernière pièce du « Livre du Saint Sacrement » de Messiaen créé à Detroit en 1986. Ce dialogue de l’orgue avec la symphonie de Bruckner était évidemment voulu par Kent Nagano, qui voulait construire au départ un pont entre la pièce de Messiaen et la symphonie de Bruckner, dans l’esprit des « Musiques pour l’âme » du Festival Lux Aeterna.
La célèbre pièce de Bach a été composée en 1720, date à laquelle Bach fit un voyage à Hambourg, dans l’espoir dit-on d’y obtenir un poste d’organiste, où il rendit visite au Maître organiste Jan Adams Reinken. Elle est faite de deux parties, l’une d’une grande tristesse (sans doute une référence à la récente mort de sa femme Maria-Barbara), l’autre, la fugue, appuyée sur un chant populaire flamand est beaucoup plus joyeuse. Une construction dialectique où à l’expérience du désespoir et du drame répond la lumière de la joie qui dispense l’énergie.
Christian Schmitt, un des grands organistes actuels particulièrement intéressé par la musique d’orgue contemporaine, est pour la première fois à l’orgue de la Elbphilharmonie, dont il a dit beaucoup de bien. La programmation très serrée de la grande salle ne lui a pas permis de répéter beaucoup à l’instrument 2h en décembre 2h en février), dont il évalue la perte sonore à 10% entre répétition et concert, ce qui dit-il est très remarquable pour l’instrument. Sans doute entre les deux concerts (le second concert était le 20) va-t-il retoucher quelques éléments de sa prestation du premier concert. Christian Schmitt est aidé par l'acoustique très précise de la salle, qui donne au son de l’orgue une très grande netteté qu’on ne retrouverait sans doute pas en église. La solitude du soliste, au centre de la scène devant sa table de  jeux mobile, et le son incroyablement enveloppant qui saisit l'auditeur est particulièrement impressionnant. Il est rare d’entendre Bach sonner de cette manière si particulière. Christian Schmitt dit dans un entretien que c’est un orgue très « symphonique » qui a un spectre très dynamique et qui permet aussi – nous l’avons vérifié évidemment – des sons très légers (incroyable sons de flûtes!!), presque effleurés qu’on n’imaginait pas possibles avec ce type d’instrument. C’est cette incroyable variation de couleurs qui frappe, et en même temps une netteté qui n’a rien de froid, rien de sec, mais qui permet de mieux percevoir la composition, les jeux de contrepoints, les dissonances pas si loin de Messiaen. Le jeu de Christian Schmitt est très fluide, aussi bien aux mains qu’aux pieds, et la netteté du toucher se perçoit parce qu’on voit évidemment très rarement l’organiste jouer et que la disposition de la salle permet de suivre l’exécution de manière très claire. Jeu impulsif mais aussi contrôlé dans la fantaisie, avec une singulière force, mais aussi une sorte de juvénile dynamisme dans la fugue. L’impression d’une musique qui surgissait de tous les points de la salle en fait pour moi une expérience unique dans ma vie de mélomane.
Messiaen, élève de Marcel Dupré, titulaire de l’orgue de l’Eglise de la Trinité en 1930 à l’âge de 22 ans écrit en 1984 sa dernière œuvre pour orgue « Le livre du Saint Sacrement », créée en 1986 aux Etats-Unis. La musique, fervente et très personnelle, traduit la religiosité du compositeur, dont Christian Schmitt rend à la perfection la palette coloriste, tout en préservant d’une manière intense l’élan vers Dieu ; c’est particulièrement virtuose, particulièrement impressionnant, et très émouvant, évidemment mis en valeur par une acoustique exceptionnelle et surprenante. Céleste.
On comprend la volonté de Kent Nagano d’accoster cette musique à celle de Bruckner pour la plus monumentale de ses symphonies, dont la composition, finie en 1887, fut reprise à la suite du refus d’Hermann Levi, qui avait créé avec succès la septième symphonie, de diriger la huitième, source d’un grand choc de la part de Bruckner, qui reprit la composition pour transformer profondément la partition, d’où des problèmes d’édition notables, qui ne vit le jour qu’en 1892 à Vienne sous la direction d’Hans Richter. C’est la deuxième version qui est ici exécutée.
Ce qui frappe d’abord, c’est la parfaite adéquation entre l’approche du chef et la salle. Cette acoustique si discutée apparaît ici parfaitement en phase avec une approche sans effets inutiles, mais sans froideur, avec une clarté inouïe de l’ensemble de chacun des instruments malgré l’importance de l’effectif, installé très confortablement sur le plateau immense de la Elbphilharmonie, favorisant un jeu aisé. On remarque la finesse des pizzicati, le son charnu des cordes, et la profondeur des cordes graves (magnifiques violoncelles et contrebasses), mais surtout les cuivres, les cors, magnifiques, le tuba wagnérien, et surtout la harpe vraiment merveilleuse, si claire et si tendre.

Nagano refuse tous les effets qui pourraient perturber le rendu et la majestueuse simplicité de l’œuvre telle qu’elle sonne pour lui. Si l’œuvre est une cathédrale musicale, elle aura la simplicité romane, ce qui au fond n’est pas si contradictoire avec une ville protestante. Mais cela ne sonne jamais rigoureux, cela ne sonne jamais froid, et implique au contraire particulièrement l’auditeur, fasciné par ce son si précis et en même temps si global, avec des effets qui invitent à la méditation et à la spiritualité. Ma dernière audition remonte à cet été avec Haitink et le LFO à Lucerne, dans une acoustique très différente, mais avec le même premier violon, le magnifique Gregory Ahss (Premier violon du Lucerne Festival Orchestra, ex. Mahler Chamber Orchestra et actuellement à la Camerata Salzburg). L’effet de chaleur de Lucerne est équilibré ici par une netteté et une limpidité du son uniques. Aucun instrument ne couvre l’autre et on entend par exemple la flûte jamais couverte par les neuf cors utilisés ici ou l’ensemble des cuivres, sans parler du son incroyable, je le souligne encore, de la harpe. C’est une salle qui fait découvrir une partition dans tous ses secrets, jusqu’aux plus cachés.
Et le sens de la respiration inhérent à l’approche de Nagano, notamment dans le mouvement final, fait irrésistiblement penser à Parsifal, créé par cet Hermann Levi qui refusa cette Symphonie, et l’on se prend à rêver d’une exécution concertante de l’œuvre de Wagner, complètement spatialisée dans cette salle, qui serait le complément singulier de cette musique de l’âme célébrée en ce février.
Aussi bien l’Orchestre, exceptionnel que le chef particulièrement inspiré et surtout imposant une vision en majesté mais jamais rutilante, jamais extérieure, jamais superficielle, jamais écrasante sans aucun effet que la simple musique, ont fait de ce concert un des très grands moments de ce début d’année où la salle a démontré sa plasticité acoustique et son rendu impressionnant. Une invitation à la transcendance.

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Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.
Crédits photo : © Felix Broede (Phil.Staatsorchester Hamburg et Kent Nagano)
© Bettina Zacher (Christian Schmitt pendant le concert) 

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2 Commentaires

  1. Bonsoir et merci de ce beau texte ; juste une question concernant les orchestres de Hambourg avec à priori 2 : 1 la NDR(elb)philharmonie, orchestre de radio bien connu et recréé après guerre par H Schmitt Isserstedt 2 et ce philharmonisches Staatsorchester, moins connu . Orchestre de la ville ? Travail à l'opéra ?

    • Le Philharmonisches Staatsorchester Hamburg est l'orchestre historique de la ville, l'orchestre historique de l'opéra (fondé en 1678), comme la Staatskapelle de Berlin ou de Dresde ou le Bayerisches Staatsorchester de Munich. Les orchestres d'opéra sont en Allemagne souvent les orchestres historiques des villes où ils siègent et ont une saison symphonique régulière avec des concerts recherchés pour la plupart. Le troisième orchestre est le Symphonique de Hambourg (Hamburger Symphoniker) fondé en 1957 dont le chef est Jeffrey Tate qui joue à la Laeizhalle et non à la Elbphilharmonie.
      Le Philharmonisches Staatsorchester Hamburg travaille à l'opéra et a pour siège la Elbphilharmonie pour les concerts, comme l'orchestre de la NDR.

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